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Retenues opérées sur des pensions complémentaires de bénéficiaires résidant à l’étranger : l’arrêt de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 6 mars 2017, n° S.12.0147.N

Mis en ligne le vendredi 30 juin 2017


Cour de cassation, 6 mars 2017, n° S.12.0147.N

Terra Laboris

La Cour de cassation a rendu son arrêt, le 6 mars 2017, après avoir interrogé la Cour de Justice sur la conformité de la législation belge avec le Règlement européen 1408/71, question à laquelle la Cour de Luxembourg avait répondu par arrêt du 26 octobre 2016, concluant à la non-conformité au droit européen.

Rétroactes

La Cour de cassation vient de rendre son arrêt, après la décision de la Cour de Justice du 26 octobre 2016 (C-269/15 – RIJKSDIENST VOOR PENSIOENEN c/ HOOGSTAD & alii), qu’elle avait interrogée dans un arrêt du 18 mai 2015 (S.12.0147.N).

La question qui avait été posée à la Cour de cassation impliquait de déterminer si les retenues effectuées en Belgique sur des pensions complémentaires dues à un bénéficiaire qui ne réside pas sur le territoire belge mais dans un autre Etat membre et qui était soumis à la législation nationale de celui-ci étaient conformes à l’article 13 du Règlement 1408/71, qui pose le principe de l’unicité de la législation applicable. Les pensions complémentaires sont en effet des prestations non visées à l’article 1j) du Règlement.

La Cour de cassation interrogea dès lors la Cour de Justice sur la question de savoir si une telle retenue, qualifiée de retenue fiscale selon la loi nationale, pouvait entrer dans le champ d’application du Règlement de coordination.

Dans son arrêt du 26 octobre 2016, la Cour de Justice a répondu par l’affirmative. La qualification d’impôt par la loi nationale ne fait pas obstacle à ce qu’un tel prélèvement entre dans le champ d’application du Règlement. De même, pour ce qui est des prélèvements portant sur les revenus du patrimoine, ceux-ci peuvent être inclus si leur produit est affecté (directement et spécifiquement) au financement de la sécurité sociale. La Cour de Justice a rappelé que l’objectif du Règlement est d’assurer la libre circulation des travailleurs sur le territoire de l’Union en retenant pour principe l’égalité de traitement au regard des différentes législations des Etats membres. Le régime de la coordination contient des règles de conflit dont le caractère complet a pour effet de soustraire au législateur national le pouvoir de déterminer l’étendue et les conditions d’application de sa législation quant aux personnes qui y sont soumises et au territoire à l’intérieur duquel elles produisent leurs effets.

La Cour a rappelé que c’est le principe de l’unité de la législation applicable, prévu à l’article 13, § 1er. Le Règlement ayant été modifié par le Règlement CEE 2195/91, elle a ajouté que ce principe s’applique également aux travailleurs qui ont cessé définitivement leurs activités professionnelles.

La décision de la Cour de cassation

La Cour reprend la problématique issue de l’article 191, 7°, 1er alinéa, de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, qui prévoit que les ressources de l’assurance sont constituées notamment par le produit d’une retenue de 3,55% effectuée sur les pensions légales de vieillesse, de retraite, d’ancienneté, de survie ou de tout autre avantage tenant lieu de pareille pension, à charge d’un régime belge de pension, d’un régime étranger de pension ou d’un régime de pension d’une institution internationale, ainsi que sur tout avantage destiné à compléter une telle pension, même si celle-ci n’est pas acquise et allouée, soit en vertu de dispositions légales, réglementaires ou statutaires, soit en en vertu de dispositions découlant d’un contrat de travail, d’un règlement d’entreprise, d’une convention collective d’entreprise ou de secteur.

La retenue est effectuée par l’organisme de paiement, qui est responsable civilement de l’effectuer. Le produit de celle-ci est versé à l’I.N.A.M.I. dans le courant du mois qui suit la date à laquelle elle a été effectuée.

Par ailleurs, en vertu de l’article 68, § 5, de la loi du 30 mars 1994 portant des dispositions sociales, l’organisme débiteur belge d’un avantage complémentaire payé après le 31 décembre 1996 sous la forme d’un capital dont le montant brut est supérieur à 2.478,94 € prélève d’office, lors du paiement de celui-ci, une retenue égale à 2% de ce montant. Ce pourcentage est remplacé par 1% pour les capitaux dont le montant brut est inférieur à 24.789,36 €. La loi définit également ce qu’il faut entendre par « avantage complémentaire », étant tout avantage destiné à compléter une pension (au sens de ce même article, a) ou b)) même si celle-ci n’est pas acquise et allouée, soit en vertu de dispositions légales, réglementaires ou statutaires, soit en vertu de dispositions découlant d’un contrat de travail, d’un règlement d’entreprise, d’une convention collective ou de secteur, qu’il s’agisse d’un avantage périodique ou d’un avantage accordé sous forme d’un capital.

La Cour reprend ensuite les dispositions pertinentes du Règlement 1408/71, étant ses articles 4, alinéas 1er et 2, 1j), et 13. Elle rappelle la question posée dans son arrêt du 18 mai 2015 sur la conformité du mécanisme de retenues ci-dessus sur des prestations de pension complémentaire belge, qui ne constituent pas des régimes légaux au sens de l’article 1j), 1er alinéa, du Règlement, dans l’hypothèse où les prestations sont dues à un bénéficiaire qui ne réside pas en Belgique et qui, conformément à l’article 13, alinéa 2, f), du même texte est soumis au régime de sécurité sociale de l’Etat membre de sa résidence.

La Cour de cassation reprend la conclusion de l’arrêt de la Cour de Justice du 26 octobre 2016, qui a conclu à la non-conformité de la législation belge au droit européen.

Pour la Cour de cassation, la Cour de Justice a considéré, en bref, que, quoique les régimes de pension complémentaire dans le cadre desquels les prestations ont été payées à l’intéressé n’entrent pas dans la notion de « législation » au sens de l’article 1er, j), 1er alinéa, du Règlement. Les retenues opérées sur les prestations fournies dans le cadre de ceux-ci entrent néanmoins dans celui-ci, dans la mesure où ces retenues sont destinées directement et de manière spécifique au financement de diverses branches de la sécurité sociale.

La Cour rejette dès lors le pourvoi, qui s’était fondé sur le principe de l’unicité de la loi applicable visé à l’article 13, alinéa 1er.

Intérêt de la décision

Cet arrêt clôture cette très intéressante question du champ d’application des règlements de la coordination, dans l’hypothèse de retenues à caractère fiscal, au sens du droit national. La Cour de cassation précise l’apport de l’arrêt de la Cour de Justice comme signifiant que la question doit être appréhendée à partir de l’article 1j), 1er alinéa, du Règlement, qui vise la notion de « législation », et non eu égard à son article 16, 1er alinéa, qui dispose que les personnes auxquelles le Règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul Etat membre.

L’on avait déjà pu souligner la constance de la jurisprudence de la Cour de Justice sur la question, étant que divers arrêts ont été rendus sur les critères du lien direct et suffisamment pertinent que doit présenter une disposition nationale avec les lois régissant les branches de la sécurité sociale. Ainsi, dans un arrêt du 26 février 2015 (C.J.U.E., 26 février 2015, Aff. n° C-623/13, DE RUYTER), elle avait rappelé qu’un prélèvement pouvait être qualifié d’impôt par une législation nationale, mais que ceci n’excluait nullement qu’il puisse être considéré comme relevant du champ d’application de la coordination, le critère déterminant étant précisément l’affectation spécifique au financement d’un régime de sécurité sociale. L’intérêt de l’affaire DE RUYTER avait été d’aboutir à la même conclusion pour les prélèvements qui ne frappent des revenus de remplacement, mais des revenus du patrimoine, dès lors que l’affectation directe au financement de certaines branches de la sécurité sociale était établie.


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