Terralaboris asbl

Conditions d’une renonciation après la rupture

Commentaire de Cass., 30 janvier 2017, n° S.15.0119.F

Mis en ligne le jeudi 15 juin 2017


Cour de cassation, 30 janvier 2017, n° S.15.0119.F

Terra Laboris

La Cour de cassation précise dans quelles conditions le travailleur peut valablement renoncer à un droit né du contrat de travail, s’agissant, dans le cas d’espèce, du droit aux causes de suspension légales du préavis.

Faits de la cause

Mr F. a été engagé en mars 1997 en qualité d’employé par la société N. et B. Knauf et Cie (ci-après la société). Lors des élections sociales de mai 2004, il a été élu délégué du personnel au Comité pour la Protection et la Prévention du Travail.

Le 4 octobre 2007, la société a introduit devant le Tribunal du travail de Huy une procédure aux fins d’être autorisée à le licencier pour motif grave.

En cours de procédure, les parties ont conclu un accord transactionnel, qui s’est matérialisé le 18 décembre 2007 par, tout d’abord, la signification à Mr F. de son licenciement moyennant le préavis légal de 21 mois prenant cours le 1er janvier 2008 et, ensuite, la signature d’une convention fixant la durée du préavis à 60 mois à partir de sa prise de cours. On ne précisera pas dans le détail les dispositions de cette convention qui sont sans intérêt pour la question tranchée par l’arrêt commenté, précisant seulement que les parties ont eu en vue l’accès du travailleur à la prépension conventionnelle. Cet accord a été entériné par le tribunal par un jugement du 24 décembre 2007.

Au cours de l’exécution du préavis, presté à son domicile, Mr F. a connu de nombreuses périodes d’incapacité de travail.

Le 2 janvier 2013, soit à l’expiration de ces soixante mois, Mr F. a écrit à la société, précisant avoir déjà, le 13 novembre 2012, eu l’occasion de rappeler que son préavis ne prendrait pas fin le 31 décembre 2012, compte tenu des périodes de suspension pour maladie et vacances annuelles. La société a, le 3 janvier 2013, attesté de la fin du contrat à la date du 31 décembre 2012 et indiqué sur le C4 que le contrat de travail avait pris fin à cette date et que le préavis n’avait pas été suspendu selon la convention transactionnelle.

Mr F. a, à la même date, demandé à titre provisoire le bénéfice des allocations de chômage avec complément d’entreprise, précisant qu’il y avait litige sur la date de fin du préavis, et a obtenu ce bénéfice.

Par une requête introduite devant le Tribunal du travail de Liège, Mr F. a postulé la condamnation de son ex-employeur au paiement d’une indemnité complémentaire de préavis correspondant aux périodes de suspension de son préavis.

Le tribunal a, par jugement du 5 septembre 2014, accueilli cette prétention.

L’arrêt attaqué

L’arrêt prononcé par la 15e chambre de la Cour du travail de Liège (division Liège) le 18 juin 2015 (R.G. n° 2014/AL/583) déboute Mr F. de ses prétentions au paiement de l’indemnité complémentaire de préavis en décidant i) qu’il a pu valablement renoncer à se prévaloir des causes de suspension après la notification de la rupture et ii) qu’il y a effectivement renoncé.

Seul le premier point est ici commenté. La cour du travail retient que le droit du travail, et plus particulièrement l’article 38, § 2, de la loi du 3 juillet 1978 – qui prévoit qu’en cas de congé donné par l’employeur avant ou pendant la suspension, le délai de préavis ne court pas pendant cette suspension –, étant impératif, le travailleur ne peut renoncer par avance aux droits que la loi lui accorde. Par contre, la renonciation peut valablement intervenir après la naissance du droit. A partir du moment de la notification du préavis, tout risque de pression émanant de l’employeur a disparu. Se référant notamment à la jurisprudence de la Cour de cassation, l’arrêt indique que le travailleur peut conclure toute convention par laquelle il renonce à des avantages contractuels (Cass., 22 mai 1978, Pas., p. 1072), à son droit au préavis légal (Cass., 11 février 1980, Pas., p. 672), convenir que le contrat de travail continuera à être exécuté jusqu’à une date déterminée (Cass., 12 décembre 1992, Pas., n° 792), en bref conclure tout accord sur les modalités de ce congé, notamment sur la durée du préavis et/ou le montant de l’indemnité compensatoire (Cass., 12 octobre 1998, Pas., n° 438).

Dans la mesure où il est admis que la convention conclue entre parties est intervenue postérieurement à la notification de la rupture moyennant préavis, Mr F. a pu renoncer aux causes de suspension du préavis, s’agissant d’une modalité du congé portant sur la durée du préavis.

La procédure en cassation

Le premier moyen est dirigé contre la décision que Mr F. pouvait valablement, après la notification par son employeur de la rupture moyennant préavis, renoncer au droit de se prévaloir des causes de suspension de celui-ci. Il est pris de la violation des dispositions légales qui régissent la rupture moyennant préavis et ses causes de suspension (article 38, § 2, LCT), dispositions impératives en faveur du travailleur. Mr F. soutient que l’état de subordination et, partant, le risque de pression de la part de l’employeur ne disparaissent pas avec la rupture moyennant préavis. L’article 82, § 3, de la loi du 3 juillet 1978, dans sa version applicable à l’époque litigieuse, autorise certes la conclusion d’une convention sur la durée du préavis au moment où le congé est donné, mais pas une renonciation aux causes de suspension de celui-ci dont le droit ne naît qu’au fur et à mesure que surviennent les événements emportant cette conséquence.

L’arrêt commenté

La Cour décide que le premier moyen est fondé en ce qu’il invoque la violation de l’article 38, § 2, 2e alinéa, de la loi du 3 juillet 1978 : « Cette disposition impérative instaure en faveur du travailleur une protection à laquelle ce dernier ne peut renoncer aussi longtemps que subsiste sa raison d’être. Il s’ensuit que le travailleur ne peut renoncer à la suspension du préavis qu’une fois qu’elle s’est produite et uniquement pour le temps déjà couru de cette suspension ». Or, il ressort des constatations de l’arrêt attaqué que la convention contenant selon la cour du travail cette renonciation, soit le 18 décembre 2007, est antérieure aux périodes de suspension. Le motif de cet arrêt, étant qu’« à partir (…) de la notification du préavis (…), tout risque de pression de l’employeur a disparu », ne justifie donc pas légalement la décision.

Intérêt de l’arrêt commenté

La jurisprudence de la Cour de cassation à laquelle se réfère l’arrêt attaqué ne faisait pas l’unanimité en ce qu’elle permet au travailleur, dès l’annonce de la rupture moyennant préavis, de conclure tout accord sur la durée de celui-ci alors que le lien de subordination n’a pas disparu (voir not. F. KEFER, « Un travailleur peut-il renoncer aux droits issus de son contrat de travail ? », Rev. Fac. ULG, 2013, pp 53 et suiv. et plus spéc. pp 58 à 60).

En ce qui concerne la durée du préavis, l’article 82, § 3, de la loi du 3 juillet 1978 qui – avant son abrogation par la loi du 26 décembre 2013 – permettait à l’employé dont la rémunération dépasse un certain montant de conclure une convention fixant le délai de préavis au plus tôt au moment où le congé est donné et les travaux préparatoires de cette disposition pouvaient conforter la jurisprudence de la Cour (sur ces travaux préparatoires cf. F. KEFER, eodem cit p.58 n° 8), bien que l’on puisse douter que la seule annonce de la fin du contrat prive l’employeur de tout moyen de pression.

L’intérêt de l’arrêt commenté est qu’il concerne la possibilité pour le travailleur de renoncer au bénéficie de l’article 38, § 2, al. 2, de la loi du 3 juillet 1978 aux termes duquel, en cas de congé donné par l’employeur, l’exécution du préavis est suspendue pendant les vacances annuelles et les périodes d’incapacité de travail. Cette renonciation, intervenue en l’espèce le jour même de la notification du préavis après celle-ci mais avant la prise de cours dudit préavis, était donc une renonciation anticipative.

La solution dégagée par la Cour est très claire : « le travailleur ne peut renoncer à la suspension du préavis qu’une fois qu’elle s’est produite et uniquement pour le temps déjà couru de cette suspension », car la disposition de l’article 38, § 2, de la loi du 3 juillet 1978 continue à avoir sa raison d’être pendant toute la durée du préavis, ce qui interdit toute renonciation anticipative. Le moment auquel le travailleur peut valablement renoncer à se prévaloir des causes de suspension est donc le moment où l’événement emportant suspension se produit.

Dans d’autres arrêts, la Cour de cassation a fait application du critère de la date de la naissance du droit pour déterminer à quel moment une disposition impérative en faveur du travailleur cessait de l’être, notamment dans l’hypothèse d’une renonciation à l’indemnité d’application dans le cadre d’une clause de non-concurrence (Cass., 13 décembre 2010, Pas., n° 753) et de la renonciation à l’indemnité de protection prévue par la loi du 19 mars 1991 en faveur des délégués et candidats du personnel au Conseil d’entreprise et au C.P.P.T. (Cass., 16 mai 1991, Pas., n° 321), hypothèses où l’interdiction de renonciation persiste après la fin effective des relations contractuelles. L’intérêt de l’arrêt commenté est qu’il reprend ce critère pour une renonciation aux causes de suspension survenant entre la notification de la rupture et la fin des prestations.


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