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Responsabilité solidaire des dettes sociales du sous-traitant : importance des factures

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2016, R.G. 2015/AB/433

Mis en ligne le mardi 30 mai 2017


Cour du travail de Bruxelles, 21 décembre 2016, R.G. 2015/AB/433

Terra Laboris

Dans un arrêt rendu le 21 décembre 2016, la Cour du travail de Bruxelles vérifie la double condition pour que des travaux à un immeuble soient soumis à l’obligation de retenue lorsqu’il s’agit d’opérations touchant des biens meubles placés dans un immeuble : ceux-ci doivent être fournis et placés afin de devenir des immeubles par nature.

Les faits

Un entrepreneur général fait appel à une entreprise de châssis, qui lui facture des travaux de fourniture et de pose en avril et mai 2011. Un peu plus d’un an après, elle est déclarée en faillite. La créance de l’O.N.S.S., déposée au passif de celle-ci, est de l’ordre de 35.000 euros. L’Office se retourne contre l’entrepreneur général, estimant devoir mettre en cause la responsabilité solidaire de celui-ci. Il lui réclame un montant supérieur à 25.000 euros, conformément à l’article 30bis, §§ 3 à 5, de la loi du 27 juin 1969 relative à la sécurité sociale des travailleurs. Au moment du paiement des factures, la société actuellement faillie avait déjà des dettes sociales et l’Office considère que l’entrepreneur général aurait dû procéder à la retenue des 35%. Il est dès lors solidairement responsable à concurrence des factures émises.

Une procédure est engagée à l’initiative de l’O.N.S.S. et la société est condamnée par jugement du Tribunal du travail de Nivelles du 17 mars 2015. Elle effectue des versements mensuels et, en même temps, fait appel du jugement.

La décision de la cour

La cour rappelle le cadre juridique, étant l’article 30bis de la loi du 27 juin 1969. La question est de déterminer si l’activité en cause est visée par les obligations en matière de retenues. Il s’agit d’apprécier la situation dans le cadre des dispositions en vigueur à l’époque (2011). Les activités en cause sont celles visées à l’article 20, § 2, de l’arrêté royal n° 1 du 29 décembre 1992 (en matière de TVA). Est visé dans ces dispositions tout travail de construction, de transformation, d’achèvement, d’aménagement, de réparation, d’entretien, de nettoyage et de démolition de tout ou partie d’un immeuble par nature, ainsi que toute opération comportant à la fois la fourniture d’un bien meuble et son placement dans un immeuble (la cour souligne) en manière telle que ce bien meuble devienne immeuble par nature.

Elle rappelle ensuite le dispositif de l’article 30bis, étant que, si le sous-traitant a des dettes sociales au moment du paiement de la facture qu’il adresse à son commettant, ce dernier doit retenir 35% du montant hors TVA et le verser à l’O.N.S.S. La possibilité de vérifier l’existence de dettes existe, vu la création par l’Office d’une banque de données spéciale accessible au public, celle-ci ayant force probante pour l’application de la disposition ci-dessus. En outre, si la facture est d’un montant égal ou supérieur à 7.143 euros, le co-contractant peut se voir demander de produire une attestation de l’O.N.S.S. établissant le montant de sa dette globale. La sanction en cas de défaut de versement à l’O.N.S.S. est non seulement la responsabilité solidaire à concurrence du montant fixé, mais également l’obligation de verser une majoration qui est égale à ce montant.

La défense de l’entrepreneur est de dire qu’il ne s’agissait pas, en l’espèce, de pose de châssis et que les éléments sur lesquels se fonde l’O.N.S.S., à savoir les factures, qui reprennent cette intervention, ne sont pas conformes. Elle considère n’avoir fait que demander la fourniture de ceux-ci, à l’exclusion du placement. Elle ne conteste pas les autres éléments du dossier.

La cour doit dès lors vérifier si cet argument peut valablement être opposé. Il s’agit de vérifier dans quelle mesure la facture peut permettre de déterminer la nature de la prestation. La cour renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 29 janvier 1996 (Cass., 29 janvier 1996, n° C.94.9271.N), selon lequel, en matière d’engagements commerciaux (tels des travaux d’entreprise), pour lesquels il est d’usage de dresser des factures, le juge peut retenir au titre de présomption de l’homme l’acceptation de la facture et y trouver la preuve de l’accord du débiteur.

Dans la mesure où les factures déposées font état de fourniture et de pose de châssis – même si elles ne semblent pas complètes au sens de la réglementation TVA –, elles ont une valeur probante quant à la description des prestations en cause.

La cour constate encore que la société a entrepris de rectifier sa déclaration TVA, après la première mise en demeure de l’O.N.S.S., afin de se rendre redevable d’une TVA sur lesdites factures, qui ont été requalifiées en factures de livraison de biens. Il s’agit d’une rectification opérée in tempore suspecto, selon l’arrêt, et celle-ci n’est pas probante. Elle ne fait que confirmer le caractère qualifié d’« invraisemblable » de la thèse de la société, qui est un acteur professionnel de la construction.

La cour rejette également des attestations qui ont été demandées à des personnes impliquées dans la convention, dont les responsables de la société faillie.

Elle confirme dès lors le jugement.

La société ayant effectué des versements mensuels, ceux-ci étant cependant limités à 200 euros, la cour retient leur caractère dérisoire, ces sommes couvrant à peine les intérêts. Elle refuse dès lors des termes et délais et invite la société à négocier ceci directement avec l’O.N.S.S.

Intérêt de la décision

Outre le rappel général du mécanisme de l’article 30bis – et les conséquences potentiellement lourdes sur le plan financier pour le commettant –, l’arrêt apporte un point de précision important sur la nature des travaux en cause. Est notamment visée toute opération qui comporte à la fois la fourniture d’un bien meuble et son placement dans un immeuble, en manière telle qu’il va devenir immeuble par nature. Cette double condition de fourniture et de placement peut être avérée par l’examen des factures entre parties.

Soulignons que l’article 19 § 2 de l’A.R. a été modifié avec effet au 1er avril 2017 par un A.R. du 16 février 2017. Ces modifications ne touchent pas la question étudiée, les travaux restant visés à l’article 20 § 2, tant pour les travaux immobiliers en tant que tels que pour les travaux effectués à des bâtiments.


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