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La Cour constitutionnelle interrogée sur la compétence du tribunal du travail pour les aspects collectifs d’un harcèlement

Commentaire de Prés. Trib. trav. Liège, 11 janvier 2017, R.G. 16/15/C

Mis en ligne le lundi 15 mai 2017


Prés. Trib. trav. Liège, 11 janvier 2017, R.G. 16/15/C

Terra Laboris

Par ordonnance du 11 janvier 2017, Le Président du Tribunal du travail de Liège interroge la Cour constitutionnelle sur la compétence d’attribution des juridictions du travail pour les aspects collectifs de la législation bien-être telle que complétée par les dispositions en matière de harcèlement et de risques psychosociaux.

Les faits

A la requête d’une organisation syndicale, Le Président du Tribunal du travail de Liège est saisi d’une demande tendant à ordonner la cessation d’un comportement de harcèlement sous peine d’astreinte. Celle-ci est dirigée contre une société (employeur) et un travailleur.

Il s’agit d’une société active dans le secteur du matériel agricole, qui occupe environ 170 travailleurs. Deux de ceux-ci ont été désignés représentants du personnel, étant seuls candidats lors des élections de 2016. Celles-ci n’ont dès lors pas été tenues.

Depuis leur désignation, les deux délégués se plaignent de voies de fait quotidiennes (lancers de boulons, d’écrous, d’œufs, etc.), ainsi que de menaces de mort et d’autres vexations.

La direction ayant été interpellée, l’organisation syndicale a constaté qu’elle n’avait pris aucune mesure et qu’au contraire, elle avait manifesté une certaine hostilité vis-à-vis des délégués. Une plainte a été déposée par les deux travailleurs successivement auprès de l’Auditorat et celle-ci a été transmise à un juge d’instruction (une plainte ayant été déposée précédemment avec constitution de partie civile auprès de ce dernier).

Des incidents sont relatés et le climat est loin de s’apaiser, malgré l’intervention d’un conciliateur social appelé par la FGTB, ce dernier concluant que le problème réside plutôt dans un différend entre une organisation syndicale et le personnel d’une entreprise plutôt que dans un conflit entre l’employeur et les travailleurs.

L’organisation syndicale dépose alors une requête contradictoire comme en référé, et ce en octobre 2016. S’agissant d’une question de la compétence du président du tribunal, l’affaire est refixée devant lui.

La décision du Président siégeant en référé

Se pose d’abord une question de compétence d’attribution. Le président retient qu’il est compétent en application de l’article 587bis du Code judiciaire (4°bis), du moins sous les aspects « litige individuel ». Il relève cependant que la question est bien plus délicate pour les aspects collectifs. Or, ceux-ci ne peuvent être séparés. Les juridictions du travail ne sont pas compétentes pour intervenir dans les litiges collectifs. Cette règle découle de l’article 144 de la Constitution, ainsi que des articles 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par ailleurs, s’il y a un conflit social, il est souvent admis que le tribunal de première instance peut être saisi (et non le tribunal du travail).

Cependant, la législation en matière de bien-être au travail a été complétée de dispositions spécifiques relatives au harcèlement (chapitre 5bis intégré dans la loi du 4 août 1996) et son article 32decies permet qu’une action de ce type soit initiée par une organisation syndicale. En l’espèce, les travailleurs concernés ne sont cependant pas à la cause et le tribunal conclut qu’il y a lieu, dans ce contexte, de poser à la Cour constitutionnelle une question fondée sur les dispositions ci-dessus (article 587bis, 4°bis, du Code judiciaire et article 32decies, § 2, de la loi du 4 août 1996), étant de savoir si elles donnent compétence au président du tribunal du travail de statuer comme en référé dans un litige de harcèlement moral ou de violence au travail ayant de fortes connotations collectives ou dans un litige collectif dont certains aspects touchent aux notions de harcèlement moral et de violence au travail. Le tribunal demande à la Cour constitutionnelle de dire si ces dispositions violent les articles 10, 11, 23 et 27 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les normes de droit international ci-dessus (articles 6 de la C.E.D.H. et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques).

Le président aborde encore des problèmes relatifs à la recevabilité de l’acte introductif, ainsi qu’à la capacité et à la qualité à agir de la partie requérante. Il rappelle à cet égard que l’article 32duodecies, § 2, de la loi du 4 août 1996 permet à différentes institutions, dans le cadre de la défense des droits des personnes visées par ce chapitre de la loi, d’ester en justice, dont les organisations représentatives des travailleurs et employeurs telles que définies à l’article 3 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires (1°). Cette dernière disposition énonce qu’il faut notamment entendre par « organisation représentative » les organisations professionnelles affiliées à ou faisant partie d’une organisation interprofessionnelle constituée sur le plan national et représentée au Conseil Central de l’Economie et au Conseil National du Travail.

Se pose cependant la question de la représentation en justice de l’organisation en cause, qui n’a pas le statut d’organisation interprofessionnelle. Celle-ci n’a pas la personnalité juridique et, pour le président du tribunal, elle doit agir en justice à l’intervention de ses organes compétents. Il n’est pas avéré à ce stade de la procédure qu’elle a en tant que telle qualité à agir. Il est dès lors sursis à statuer pour que cette question soit clarifiée.

Enfin, en ce qui concerne le fond de la demande, qui est réservé dans l’attente du règlement des questions ci-dessus, le président invite les deux délégués syndicaux – absents de la procédure – à faire usage des moyens dont ils disposent, s’ils s’estiment victimes de harcèlement, l’employeur ayant dû mettre en place des dispositifs destinés à traiter les demandes d’intervention psychosociale formelle en cas de faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail. Le président relève encore que diverses plaintes ont été déposées (police, auditorat du travail, juge d’instruction) et qu’une procédure a été menée devant le président du tribunal du travail mais qu’aucune plainte formelle n’a été déposée auprès du conseiller en prévention, ce qui est pour le moins étonnant. Le président rappelle encore les sanctions figurant dans le Code de droit pénal social en cas d’acte avéré de violence et de harcèlement.

Il ordonne une réouverture des débats d’office aux fins de clarifier les points ci-dessus. Parallèlement, la question est posée à la Cour constitutionnelle de la compétence d’attribution pour les aspects collectifs du litige.

Intérêt de la décision

Deux points importants sont abordés dans cette ordonnance, étant en premier lieu la question de la compétence d’attribution du président pour connaître de l’aspect collectif d’un litige, eu égard à la réglementation en matière de risques psychosociaux, étant ici visés des faits de harcèlement moral et de violence au travail. La question est posée non seulement par rapport aux dispositions de référence de la Constitution mais également aux articles 6 de la C.E.D.H. et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Par ailleurs, s’il est répondu affirmativement à la question par la Cour constitutionnelle, étant qu’il y a violation des normes en cause, l’affaire ne devrait pas connaître d’autres développements. L’on notera que l’aspect collectif ressort d’autant plus que les travailleurs qui se prétendent victimes des faits en cause ne sont pas présents à la procédure et qu’ils n’ont par ailleurs pas mis en œuvre les mécanismes que contient la loi du 4 août 1996, dont plus spécifiquement ici la plainte formelle.

La seconde question importante, si l’affaire passe le cap de la compétence d’attribution, est la recevabilité d’une action introduite dans ce contexte, l’organisation n’étant pas une organisation interprofessionnelle mais manifestement une organisation sectorielle et régionale affiliée à une telle organisation siégeant au C.C.E. et au C.N.T. Se pose ici une question spécifique, étant de savoir si elle peut agir en tant que telle, étant qu’elle peut se prévaloir d’une personnalité juridique limitée pour introduire une action dans le cadre de la loi du 4 août 1996 ou si elle doit intervenir par le biais d’un organe ou d’une personne physique désignée dans ses statuts.


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