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Limitation des allocations d’insertion : violation du principe de « standstill »

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Huy), 2 décembre 2016, R.G. 15/97/A

Mis en ligne le lundi 27 février 2017


Tribunal du travail de Liège, division Huy, 2 décembre 2016, R.G. 15/97/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 2 décembre 2016, jugement particulièrement motivé, le Tribunal du travail de Liège (Div. Huy) confirme la jurisprudence qui retient, à propos de la limitation des allocations d’insertion à trois années, une violation de l’effet standstill, qui s’impose à tous les acteurs normatifs.

Les faits

Un assuré social reçoit un courrier de l’ONEm le 8 janvier 2015 l’informant de ce que, en application de l’arrêté royal du 28 décembre 2011, ses allocations d’insertion sont arrêtées à partir du 1er janvier. Il a, à ce moment-là, 28 ans. Il bénéficie d’allocations d’insertion depuis le 21 août 2006.

Il perçoit, par la suite, une intervention du CPAS, de l’ordre de 27,50€ par mois, en lieu et place de cette allocation et ce dans le cadre d’un revenu d’intégration, dans lequel il est tenu compte d’une cohabitation.

Décision du tribunal

Le tribunal reprend les articles 23 et 159 de la Constitution et renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 28 juillet 2006 (C. Const., 28 juillet 2006, n° 123/2006) rendu en matière d’aide sociale, arrêt dans lequel la cour constitutionnelle a exposé la méthode permettant de juger la violation éventuelle par une norme législative de l’effet de standstill attaché à l’article 23 de la Constitution. Il se réfère également à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 8 novembre 2013 (C. trav. Liège, 8 novembre 2013, R.G. n° 2012/AL/532) rendu en matière d’aide aux personnes handicapées.

Le tribunal renvoie encore à l’article 12 de la Charte sociale européenne, qui contient l’engagement des parties contractantes d’assurer l’exercice effectif du droit à la sécurité sociale et rappelle les exigences en matière de motivation reprises dans la Charte de l’assuré social.

Sur les données de fait, elle résume la position des parties.

Le demandeur fait essentiellement valoir une régression sociale, vu qu’il ne perçoit plus qu’un montant dérisoire du CPAS et est tenu de continuer à vivre chez ses parents. Il demande l’écartement de la disposition qui lui est appliquée, en application de l’article 159 de la Constitution.

Quant à l’ONEm, il considère qu’il n’y a pas de violation du principe de standstill. S’il reconnaît qu’il y a réduction du degré de protection sociale applicable par la réglementation antérieure, il fait valoir que la mesure est justifiée par des motifs d’intérêt général et qu’elle est raisonnable et proportionnée au regard de ceux-ci, les conséquences n’étant pas disproportionnées en ce qui concerne la substance du droit.

L’ONEm renvoie au préambule de l’arrêté royal du 28 décembre 201, dont il ressort que sont invoqués essentiellement des motifs budgétaires ainsi qu’un programme de relance de l’emploi des jeunes.

Le tribunal examine le fond, eu égard à l’ensemble de ces points.

En premier lieu, il annule la décision, pour défaut de motivation adéquate. Elle contient en effet une erreur en ce qui concerne le fondement réglementaire, étant visé l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et non celui du 28 décembre 2011.

Le tribunal se substitue, ensuite, à l’autorité administrative et examine s’il y a violation du principe de standstill. La doctrine (I. HACHEZ, Le principe de Standstill dans les droits fondamentaux : une irréversibilité relative, Bruylant, 2008, p. 35) retient que deux idées maitresses caractérisent le concept, étant une obligation négative (qui garantit le maintien du niveau de protection conféré) et une obligation relative (qui tolère des restrictions, à condition qu’elles soient justifiées).

Le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège (Div. Neufchâteau), 10 février 2016, R.G. n° 2015/AU/48) qui a approuvé la doctrine selon laquelle quand bien même ils seraient dépourvus d’effet direct, les droits économiques, sociaux et culturels n’en conservent pas moins la qualité de règle de droit dans l’ordre interne et sont loin d’être dépourvus de tout effet. A tout le moins, les dispositions supranationales (en l’occurrence l’article 12 de la Charte sociale européenne) constituent un fond interprétatif de la consécration constitutionnelle du droit au travail et à la sécurité sociale.

Il examine ensuite si la disposition litigieuse (art. 9, 2° de l’arrêté royal du 28 décembre 2011) introduit effectivement une régression sensible dans la protection sociale de l’intéressé. L’allocation d’insertion, qui a été octroyée au jeune travailleur qui n’a pas cotisé au système de l’assurance chômage est un avantage social complémentaire au principe de l’assurance. Ce constat est historique et le tribunal constate qu’en modifiant l’article 63 de l’arrêté royal chômage, il a été apporté une régression importante du statut social des jeunes travailleurs.

Les motifs budgétaires sont écartés, le tribunal rappelant que la dette de l’Etat belge est repassée au-dessus des 100% du PIB dès 2012 et ce consécutivement à la crise financière et au sauvetage de banques (le tribunal renvoyant au 168e Cahier de la Cour des comptes 2011). Le tribunal relève en outre que l’Etat a accordé sa garantie pour un maximum de 138,1 milliards d’euros aux banques. Quant à la relance de l’emploi des jeunes, il relève explicitement que la toute grande majorité des jeunes ne souhaitent qu’une chose, étant de trouver un emploi rémunérateur et non de vivre oisivement aux crochets de la société.

Si le juge ne peut juger de l’opportunité de mesures budgétaires, il peut vérifier – ce qu’admet l’ONEm - s’il existe des motifs liés à l’intérêt général justifiant qu’il soit dérogé à l’obligation de standstill inscrite dans l’article 23 de la Constitution.

Le recul social est significatif, eu égard à la quasi-privation de tout revenu.

Rejoignant l’avis de l’auditeur du travail, le tribunal renvoie encore à un jugement (Trib. Trav. Liège (Div. Liège), 21 juin 2016, R.G. n° 15/3413/A), qui avait également constaté une perte en termes de protection sociale, le tribunal retenant dans cette dernière décision que l’intéressé s’était retrouvé à charge de la dernière institution publique pouvant l’aider, et ce avec la circonstance que l’insertion socio-professionnelle la plus recherchée dans les CPAS est un emploi (art. 60 et/ou 61), afin de pouvoir rouvrir les droits au chômage et de « remonter » d’un échelon.

Il examine, enfin, la justification de la régression constatée, et ce tant par rapport à l’objectif fixé qu’à la nécessité de la mesure et au principe de proportionnalité. Il conclut que cette justification n’existe pas.

Le constat de la régression sociale flagrante étant posé, le tribunal décide d’écarter l’application de l’article 9, 2° de l’arrêté royal en cause, ordonnant l’application de l’article 63 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 tel qu’il existait avant la modification écartée.

Intérêt de la décision

Cette décision du Tribunal du travail de Liège (Div. Huy) reprend les divers soutènements juridiques existant tant en doctrine qu’en jurisprudence.

Le jugement s’aligne sur l’arrêt de la Cour du travail de Liège (Div. Neufchâteau), 10 février 2016, R.G. n° 2015/AU/48 – précédemment commenté. Cette décision concernait une bénéficiaire d’allocations d’insertion de 48 ans, inscrite par ailleurs en ALE en tant que bénéficiaire de ces allocations. La cour avait longuement abordé les règles de droit international et notamment l’article 12 de la Charte sociale européenne ainsi que l’article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

L’arrêt avait également renvoyé longuement à la doctrine de D. DUMONT (D. DUMONT, « Dégressivité accrue des allocations de chômage versus principe de standstill », J.T.T., 2013, p. 773). Cette doctrine, reprise par la cour du travail, fait valoir qu’il faut vérifier si l’auteur de la norme s’est assuré de ce qu’il n’existe pas de mesures moins restrictives susceptibles d’atteindre le même objectif. Il faut dès lors comparer, pour vérifier le respect de l’effet de standstill, par rapport à la norme de référence, la norme de base et la norme litigieuse.


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