Terralaboris asbl

Participation aux séances du conseil d’entreprise dans l’enseignement et temps de travail

Commentaire de Cass., 28 novembre 2016, n° S.15.0108.F

Mis en ligne le lundi 27 février 2017


Cour de cassation, 28 novembre 2016, n° S.15.0108.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 novembre 2016, la Cour de cassation se prononce sur un litige qui concerne la question de la rémunération des heures passées par un enseignant de l’enseignement libre subventionné à participer aux séances du conseil d’entreprise

Les faits de la cause

Mr E., enseignant nommé à temps plein à l’ASBL Communauté scolaire Sainte Marie, a cité ce pouvoir organisateur de l’enseignement libre subventionné en paiement de la rémunération pour ses participations en qualité de représentant du personnel au conseil d’entreprise de mai 2004 à décembre 2012.

Il est constant que les réunions du conseil d’entreprise avaient lieu en semaine, pendant les heures d’ouverture de l’école et durant lesquelles des cours étaient donnés mais à des heures où les représentants du personnel ne donnaient pas cours et que la charge de travail des enseignants ne faisait pas l’objet d’une réduction en raison de cette participation.

Ces enseignants ont en vain sollicité la rémunération desdites heures et l’inspection sociale a émis un premier avis le 4 mars 2005 quant à l’obligation de rémunération du pouvoir organisateur.

En janvier 2010, Mr E. a dénoncé la situation à l’auditorat du travail, qui a décidé de classer le dossier sans suite. Il a alors introduit la procédure judiciaire.

Le tribunal du travail a dit la demande recevable mais non fondée. Mr E. a interjeté appel de cette décision.

L’arrêt attaqué

L’arrêt rendu par la 13e chambre de la cour du travail de liège division Namur le 21 avril 2015 (R.G. 2013/AN/190, sur Juridat, sur Jura et sur www.terra.laboris.be) écarte tout d’abord l’exception d’irrecevabilité de la demande soulevée par le pouvoir organisateur, qui soutenait que l’action aurait dû être dirigée contre la Communauté Française. La cour du travail relève que, même si l’enseignant dispose d’une action directe contre la Communauté française en paiement de la subvention traitement, le pouvoir organisateur, tenu en vertu de l’article 9, 3° du décret du 1er février 1993 de payer la rémunération aux temps, au lieu et dans les conditions convenues, est bien le premier débiteur de celle-ci.

La cour examine ensuite le droit de Mr E. à une rémunération complémentaire pour sa participation aux conseils d’entreprise. Elle décide que cette participation ne relève pas des prestations accomplies en exécution du contrat de travail, qui sont les prestations présentielles comme donner cours, participer à des réunions et les prestations non-présentielles comme les préparations de cours et corrections. Le fait, propre au secteur de l’enseignement et spécialement de l’enseignement secondaire, que les prestations non-présentielles aient un caractère assez forfaitaire et qu’elles englobent des prestations de travail parfois très variées ne remet pas en cause cette appréciation.

D’autre part, pendant ce temps, l’enseignant n’est évidemment pas sous l’autorité de l’employeur.

Ces heures de participation doivent donc être rémunérées de manière complémentaire au salaire convenu pour les heures de travail. L’absence de rémunération est contraire à l’objectif de l’article 23, alinéa 1er, de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie, qui dispose que les séances du Conseil d’entreprise, même en dehors des heures de travail, sont considérées comme temps de travail effectif et sont rémunérées comme tel. La volonté du législateur a en effet été d’encourager et de ne pas défavoriser la participation au conseil d’entreprise.

La cour du travail adopte également l’argumentation de l’enseignant, contestée par le pouvoir organisateur, que ne pas rémunérer de manière complémentaire ses heures de présence au conseil d’entreprise créerait une discrimination des enseignants membres de ce conseil par rapport aux enseignants non membres dès lors que les deux catégories recevraient la même rémunération, soit la subvention-traitement alors que la seconde catégorie ne doit pas, en plus des 38H de travail représentant une charge à temps plein consacrer du temps pour les réunions du conseil d’entreprise.

La cour du travail aborde enfin la question de la période à partir de laquelle la rémunération complémentaire est due. Elle écarte l’exception de prescription annale fondée sur l’article 8 du décret, dès lors que Mr. E. fonde sa demande sur l’infraction de non-paiement de la rémunération. C’est la prescription prévue par l’article 26 du Titre préliminaire du code de procédure pénale qui s’applique.

La cour du travail relève que le seul accomplissement du fait infractionnel permet de présumer la volonté de son auteur d’agir fautivement, sous la réserve que celui-ci peut invoquer une cause de justification telle que l’erreur invincible, la contrainte ou l’état de nécessité, ce que rien en l’espèce ne permet d’établir. Elle relève également que l’infraction de non-paiement de la rémunération est instantanée et non continue, mais que, en cas de répétition d’infractions instantanées procédant d’une unité d’intention, la prescription ne commence à courir, pour l’ensemble des faits qu’à compter du dernier d’entre eux, pour autant qu’ils ne soient pas séparés d’un laps de temps plus long que le délai de prescription.

En l’espèce, elle retient l’unité d’intention à compter seulement du 4 mars 2005, date du premier courrier de l’inspection des lois sociales.

Le moyen de cassation

Le moyen critique la décision qu’un complément de rémunération doit être payé à Mr E. pour les heures de participation aux séances du conseil d’entreprise.

On se bornera à exposer la première branche du moyen, dès lors que les deuxième et troisième ne sont que des conséquences des violations alléguées dans celle-ci. On précisera néanmoins que la troisième branche était prise de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution et soutenait qu’il n’y avait ni charge supplémentaire de travail ni inégalité à compenser lorsque les réunions du conseil d’entreprise se tiennent pendant les heures d’ouverture de l’école, en sorte que les rémunérer ferait naître une inégalité de traitement en défaveur des non-membres du conseil d’entreprise.

La première branche reproduit la position de l’école, telle que résumée au point 16 de l’arrêt attaqué. En synthèse, le pouvoir organisateur soutient : que, dans l’enseignement secondaire, le temps plein des enseignants est de 38H de travail par semaine : ce travail se divise en prestations présentielles à raison d’un peu plus de 16H et pour le reste des prestations non-présentielles ; que toutes les périodes pendant lesquelles des cours sont donnés et qui figurent à l’article 2 § 1er al.2 du règlement de travail, soit de 8H20 à 16H50, sont nécessairement des heures pendant lesquelles Mr E. était tenu d’exécuter son travail au temps, au lieu et dans les conditions convenues, conformément à l’article 15 du décret de la Communauté française du 1er février 1993 fixant le statut des membres du personnel subsidiés de l’enseignement libre subventionné et à l’article 6 §1er de la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail ; que celui-ci était donc, pendant qu’il participait au conseil d’entreprise, à la disposition de l’employeur quel que soit l’endroit où il se trouvait et que la tolérance laissée aux enseignants quant à l’endroit où ils effectuaient les tâches non-présentielles ne modifiait pas l’analyse. Cette participation était dès lors rémunérée par la subvention traitement payée à l’enseignant en contrepartie de ses 38H de travail hebdomadaire et devait être prise en compte comme temps de travail tel que défini par les articles 2.1 du Règlement 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail et 19 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail. En décidant que les séances du conseil d’entreprise avaient lieu en dehors des heures de travail de Mr E., l’arrêt attaqué violait donc toutes ces dispositions légales.

Ce grief partait du postulat que l’arrêt attaqué, en ne le déniant pas, avait admis que les séances du conseil d’entreprise étaient fixées à des heures au cours desquelles Mr E. était tenu d’être présent dans l’établissement et que celui-ci était tenu d’effectuer ses prestations non-présentielles aux heures d’ouverture de cet établissement.

L’arrêt commenté

La Cour rejette le pourvoi.

Sur la première branche, elle décide que l’arrêt attaqué ne contient pas les constatations que la demanderesse y lit quant à la présence obligatoire de Mr E. dans l’établissement aux heures où se tenaient les conseils ni que celui-ci était tenu d’effectuer ses prestations non-présentielles aux heures d’ouverture de l’établissement. Dans cette mesure, l’examen du moyen requiert des vérifications de fait, ce qui excède le pouvoir de la Cour. Pour le surplus, les considérations de l’arrêt justifient légalement la décision. Outre la constatation que les séances du conseil d’entreprise n’avaient jamais lieu pendant les heures de cours de enseignants membres du conseil d’entreprise, les autres constatations de l’arrêt attaqué que la Cour relève sont que le travail convenu comporte des prestations présentielles et non-présentielles qui, ensemble, forment le travail convenu qui doit être effectué en exécution du contrat de travail. La participation aux séances du conseil d’entreprise ne relève ni des premières ni des secondes et l’horaire de travail de Mr E. n’a pas été réduit en raison de cette participation.

En droit, la Cour relève qu’il ressort de l’article 23 al.1er de la loi du 20 septembre 1948 « que les séances du conseil tenues en dehors des heures de travail effectif, sans réduction de celles-ci, doivent être rémunérées en sus de la rémunération ordinaire ». Au sens des articles 2 point 1 de la Directive 2003/88/CE et 19 al. 2 de la loi du 16 mars 1971 , la durée du temps de travail s’identifie comme une période de présence du travailleur obligé de se tenir à la disposition de son employeur, d’être présent au lieu déterminé par lui pour pouvoir assurer immédiatement les prestations appropriées en cas de besoin. « La durée du travail d’un travailleur, qui en vertu de son régime de travail, est tenu d’effectuer une partie de ses prestations au lieu déterminé par l’employeur et est autorisé à effectuer l’autre partie de ses prestations en un lieu de son choix, est déterminée par le total des heures où il est à la disposition de son employeur au lieu déterminé par celui-ci et de celles consacrées au travail effectué en dehors de ce lieu. Sauf convention contraire, le travailleur n’est pas tenu d’effectuer les prestations, qu’il est autorisé à effectuer hors de l’entreprise, aux heures d’ouverture de celle-ci ». L’article 15, al. 1er du décret du 1er février 1993 « ne déroge pas à ces principes ».

Ces constatations justifient donc légalement la décision.

La Cour décide que les moyens proposés par les deuxième et troisième branches sont irrecevables dans la mesure où les critiques sont entièrement déduites de la violation vainement alléguée par la première branche de la notion légale de temps de travail ou de durée du travail. La troisième branche était prise de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution et soutenait qu’il n’y a ni charge supplémentaire de travail ni inégalité à compenser lorsque les réunions du conseil d’entreprise se tiennent pendant les heures de travail, en sorte que les rémunérer ferait naître une inégalité de traitement défavorable aux non-membres du conseil d’entreprise.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la cour du travail de Liège section Namur aborde plusieurs questions intéressantes et ce de manière très pédagogique et documentée : travaux préparatoires de la loi du 20/9/1948, doctrine, jurisprudence…

Seule la question du droit de l’enseignant à une rémunération complémentaire pour sa participation aux séances du conseil d’entreprise a été soumise à la Cour de cassation.

La Cour a ainsi eu l’occasion de se prononcer sur la portée de l’article 23 de la loi du 20/9/1948, qui ne fait pas l’objet d’une abondante jurisprudence, et de faire application de la jurisprudence de la Cour de Justice sur le temps de travail dans le cas de tâches présentielles et non-présentielles.

La question d’une discrimination contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution entre les enseignants membres de conseil d’entreprise et les autres enseignants est intéressante car elle permet de mettre en exergue un point crucial du litige. En effet, si comme le soutenait le pouvoir organisateur, tous les enseignants doivent prester leur horaire pendant les heures d’ouverture de l’école en sorte que la subvention traitement couvre également les réunions du conseil d’entreprise tenues pendant ces heures d’ouverture, soit l’enseignant membre de ce conseil consacre une partie des heures devant être consacrées à son métier d’enseignant à faire autre chose que ses tâches d’enseignant, soit il est forcé de faire une partie non-présentielle desdites tâches en dehors des heures d’ouverture de l’école.


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