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L’incapacité de travail temporaire résultant d’un accident du travail est-elle constitutive d’un handicap au sens de la Directive européenne 2000/78 ?

Commentaire de C.J.U.E., 1er décembre 2016, C-395/15 (DAOUIDI c/BOOTES PLUS SL E.A)

Mis en ligne le mardi 14 février 2017


Cour de Justice de l’Union européenne, 1er décembre 2016, C-395/15 (DAOUIDI c/BOOTES PLUS SL E.A)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 1er décembre 2016, la Cour de Justice de l’Union européenne donne au juge national les clés d’interprétation permettant de déterminer si l’incapacité temporaire découlant d’un accident du travail est constitutive d’un handicap au sens de la Directive. L’interprétation donnée vaut pour la loi du 10 mai 2007, qui contient une série de mesures de protection envers la personne handicapée afin d’éviter toute discrimination.

Les faits

Monsieur D. est occupé comme aide-cuisinier au sein d’un restaurant espagnol depuis le 17 avril 2014, dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel. Le 1er juillet 2014, la durée du travail est portée à un temps plein. Le 15 juillet 2014, son occupation est renouvelée jusqu’au 16 avril 2015.

Le 3 octobre 2014, le travailleur est victime d’un accident du travail. Glissant sur le sol de la cuisine, il subit une luxation du coude gauche et un plâtre est posé. Il est mis en incapacité de travail, selon le régime espagnol de l’incapacité temporaire.

Deux semaines plus tard, le chef de la cuisine le contact, s’enquérant de son état de santé et signalant son inquiétude quant à la durée de l’absence. Le travailleur est alors dans l’impossibilité de préciser la durée de l’incapacité de travail.

Le 26 novembre 2014, il est licencié. Le motif précisé est d’ordre disciplinaire (ne répond pas aux attentes de l’entreprise et n’atteint pas le rendement adéquat).

Monsieur D. introduit ensuite une procédure afin que son licenciement soit, conformément au droit espagnol, déclaré nul. La nullité s’appuie notamment sur le caractère discriminatoire de celui-ci. La discrimination invoquée repose sur le motif réel du licenciement : l’incapacité temporaire résultant de son accident, dont il prétend qu’elle relève de la notion de « handicap » au sens de la Directive 2000/78.

La procédure devant le Juge national et la question préjudicielle

La juridiction espagnole constate que le motif réel du licenciement n’est pas le motif disciplinaire invoqué au moment du licenciement mais l’incapacité de travail à durée indéterminée résultant de l’accident du travail dont l’intéressé a été victime. Elle relève qu’en application de la jurisprudence, le licenciement fondé sur ce motif (maladie ou situation d’incapacité résultant d’un accident du travail) n’est pas discriminatoire (et donc nul) au sens de la réglementation nationale.

Par contre, elle se pose la question de la compatibilité du licenciement avec le droit de l’Union européenne, notamment en ce qu’il pourrait y avoir une discrimination fondée sur le handicap au sens de la Directive 2000/78. Ceci eu égard aux circonstances suivantes : i) l’intéressé souffre d’une limitation manifeste en raison de la lésion au coude gauche, ii) à la date de l’audience, 6 mois après l’accident du travail, le coude gauche est toujours plâtré, iii) l’employeur a lui-même considéré que l’incapacité de travail était trop longue, entraînant la reconnaissance du caractère « de longue durée » de la limitation et, enfin iv) la décision de licenciement entrave la pleine et effective participation du travailleur à la vie professionnelle.

Plusieurs questions sont posées à la Cour de Justice. Celle-ci ne se prononce que sur la 5e, qui porte sur l’interprétation de la notion de handicap, selon la notion dégagée dans ses arrêts précédents. Rappelons que, depuis l’arrêt HR Danmark (également connu sous le nom de Ring – arrêt du 11 avril 2013, C-335/11 et C-337/11), le handicap est défini par la Cour comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques durables, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs. La question préjudicielle porte plus particulièrement sur le critère « durable » des atteintes et limitations eu égard à la situation de fait. La question est ainsi de savoir si, lorsqu’une personne se trouve en situation d’incapacité temporaire de travail, au sens du droit national, pour une durée indéterminée et en raison d’un accident du travail, cette situation d’incapacité de travail implique, en soi, que la limitation de la capacité de cette personne soit qualifiée de « durable ».

L’arrêt de la Cour de Justice

Après avoir rappelé sa jurisprudence antérieure (notion de handicap précitée), la Cour relève que le travailleur, en raison de son accident du travail, présente un état physique réversible entrainant une incapacité à exercer l’activité professionnelle encore constatée 6 mois après l’accident. Il y a donc limitation de la capacité professionnelle résultant d’une atteinte physique. La notion de handicap ne peut cependant être retenue que si cette limitation de la capacité est durable.

La Cour se penche ensuite sur cette notion de « limitation durable de la capacité de la personne », composante de la notion de handicap. Elle estime tout d’abord que cette notion, non définie par la Convention des Nations-Unies relative aux personnes handicapées (approuvée par décision du 26 novembre 2009), doit faire l’objet d’une interprétation autonome et uniforme. La Cour ne donne néanmoins pas, dans l’arrêt examiné, une définition de cette notion. Elle en précise uniquement la portée via plusieurs indications.

D’une part, le fait que le travailleur relève d’un régime juridique (national) d’incapacité temporaire n’exclut pas que la limitation de la capacité soit durable. D’autre part, le caractère durable de la limitation doit être examiné au regard de l’état d’incapacité tel que présenté par la personne à la date à laquelle l’acte allégué comme discriminatoire a été posé. Enfin, l’hypothèse envisagée est une entrave à la vie professionnelle de longue durée.

C’est à la juridiction nationale d’apprécier, eu égard à la situation factuelle, si la limitation de la capacité de la personne présente ou non un caractère durable. La Cour cite deux indices (non cumulatifs) permettant de trancher la question : la circonstance qu’à la date de l’acte litigieux, l’incapacité de la personne ne présente pas une perspective bien délimitée quant à son achèvement à court terme ou le fait que l’incapacité de travail est susceptible de se prolonger significativement avant le rétablissement de la personne. Les indices portent ainsi sur le pronostic médical : le rétablissement est-il possible ? Serait-il complet ? Quelles sont les séquelles ou conséquences éventuelles qu’aura l’accident sur l’exécution du travail convenu ?

La Cour de justice ajoute encore que le Juge doit, dans son examen de la question, se fonder sur l’ensemble des éléments objectifs dont il dispose (ce que ne constitue pas nécessairement l’opinion de l’employeur sur le sujet), et, en particulier, les documents et certificats médicaux relatifs à l’état du travailleur, établis sur la base des connaissances et des données médicales et scientifiques actuelles.

Intérêt de la décision

L’incapacité temporaire est caractérisée, dans les régimes de réparation des risques professionnels (accident du travail et maladie professionnelle) par son caractère réversible, non définitif. Le dommage professionnel n’acquiert en effet, dans ces réglementations, un caractère définitif (permanent) que lorsque l’état de santé résultant du risque n’est plus (raisonnablement) susceptible d’évolution (notion qui correspond à la consolidation dans le régime des accidents du travail). Ce caractère temporaire (non définitif) n’empêche pas qu’il y ait handicap au sens de la Directive européenne, et donc de la loi du 10 mai 2007 (qui en est la norme belge de transposition). Tel est l’enseignement de l’arrêt examiné.

Les mesures de protection de la loi, parmi lesquels figurent les aménagements raisonnables, peuvent donc s’appliquer à la période d’incapacité temporaire et ne sont pas limitée à la reconnaissance d’une incapacité permanente. Des demandes d’aménagements raisonnables pourront donc, si la condition de limitation durable est remplie, être posées par une victime d’un accident du travail en situation d’incapacité temporaire. Celle-ci pourra ainsi trouver dans la loi « discrimination » un outil intéressant pour organiser une reprise progressive et aménagée du travail.


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