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Personnel communal contractuel et droit à l’interruption de carrière

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 août 2016, R.G. 2012/AB/00802

Mis en ligne le lundi 30 janvier 2017


Cour du travail de Bruxelles, 19 août 2016, R.G. 2012/AB/00802

Terra Laboris

Dans un arrêt très fouillé du 19 août 2016, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le cadre légal de la situation juridique des agents contractuels dans une commune, ainsi que le droit pour ceux-ci à bénéficier d’une interruption de carrière.

Les faits

Le litige oppose une commune à un de ses agents, engagé depuis 2007 et exerçant la fonction de secrétaire d’administration-évaluateur adjoint, à temps plein. L’intéressé a sollicité le bénéfice d’une interruption de carrière en novembre 2009, étant la réduction de ses prestations à concurrence d’un cinquième du temps, situation qui fut accompagnée de difficultés professionnelles et relationnelles, l’autorité décidant finalement de le licencier au motif qu’il ne convenait plus. Une indemnité compensatoire de préavis lui fut octroyée. Les explications données par les autorités communales quant au motif visaient les absences répétées de l’intéressé ainsi que les difficultés en résultant pour le service.

La décision de la cour

Sur appel du travailleur, qui a été débouté par le tribunal du travail de sa demande d’indemnité de protection (d’autres postes annexes étant admis), la cour rappelle le contexte juridique.

Les agents contractuels des communes sont soumis à la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. La cour rappelle que ces agents ne peuvent être soumis au régime disciplinaire applicable aux travailleurs statutaires.

Par ailleurs, s’agissant de services publics, les communes sont exclues du champ d’application de plusieurs lois, dont celle du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires. Ceci a une incidence sur le chef de demande né de l’interruption de carrière.

La cour rappelle, ensuite, l’ensemble des législations qui s’appliquent indifféremment aux contractuels et aux statutaires, dont la loi de redressement du 22 janvier 1985 concernant des dispositions sociales, dont les articles 99 et suivants règlent l’interruption de carrière.

La cour en vient ensuite à la question de la motivation formelle des actes administratifs ainsi que des principes généraux de bonne administration. Elle renvoie à l’important arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 (Cass., 12 octobre 2015, n° S.13.0026.N) sur la question. En application de cette jurisprudence, l’employeur public peut licencier sans être tenu par la loi sur la motivation formelle des actes administratifs, non plus que par les principes généraux de bonne administration.

La cour constate que l’intéressé persiste à défendre la thèse selon laquelle cette jurisprudence ne peut être suivie et qu’il demande qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour constitutionnelle. La cour rejette cette demande, constatant cependant, avec la partie appelante, que subsiste une insécurité juridique pour les employeurs du secteur public, puisque les règles relatives à la motivation du licenciement demandées par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 7 juillet 2011 ne s’appliquent à ce jour qu’aux employeurs du secteur privé.

Elle relève que, s’agissant d’appliquer la loi du 3 juillet 1978, l’employeur doit respecter les obligations contenues dans celle-ci et qu’il lui est, ainsi, interdit de faire un usage abusif de son droit de licencier.

En ce qui concerne le fondement de l’interruption de carrière, celui-ci ne peut résider dans la convention collective n° 77bis du 19 décembre 2001, s’agissant d’un employeur qui relève du secteur public, mais bien les articles 99 et suivants de la loi du 22 janvier 1985. Les mesures d’exécution de ces dispositions figurent dans un arrêté royal du 2 janvier 1991 relatif à l’octroi d’allocations d’interruption, ce texte s’appliquant au personnel tant contractuel que statutaire. Le champ d’application de cet arrêté royal concerne en effet d’une part les administrations locales et provinciales ainsi que les services qui en dépendent et d’autre part le personnel contractuel des services publics, ministères ou organismes qui ressortissent à ceux-ci, et ce tant au niveau fédéral, régional et communautaire.

Sur les modalités de l’interruption de carrière elles-mêmes, la cour reprend les trois types existants, étant l’interruption complète, l’interruption partielle dans le régime général ou encore l’interruption partielle dans le régime fin de carrière.

Le litige se meut dans le cadre de la deuxième hypothèse et la protection contre le licenciement court dès lors le jour de la demande, pour prendre fin trois mois après l’interruption elle-même. La cour définit le jour de la demande comme étant celui de l’avertissement écrit s’il est fait usage d’un droit. Le licenciement ne peut dès lors plus intervenir, sauf motif grave ou motif suffisant. La Cour de cassation a jugé à cet égard que la preuve du motif suffisant incombe à l’employeur, la cour du travail renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 janvier 2008 (Cass., 14 janvier 2008, n° S.07.0049.N), et ce même si le texte ne le précise pas. Enfin, sur la définition du motif suffisant, elle rappelle qu’il s’agit de celui dont la nature et l’origine sont étrangères à la suspension ou à la réduction du contrat (hors motif grave).

Appliquant ces règles à la situation de fait qui lui est soumise, la cour examine les éléments avancés et constate qu’il ne peut être conclu à l’existence d’un motif suffisant, les griefs (retard dans le travail, agressivité, inaptitude, etc.) n’étant pas vérifiés en l’espèce.

Pour la cour, l’intéressé justifie de son droit à une interruption de carrière. Il bénéficie de la protection légale à partir du jour de la demande et, vu le licenciement intervenu sans que soit apportée la preuve de motifs suffisants, il est en droit de bénéficier de l’indemnité de protection. Celle-ci est de l’ordre de 21.000 €.

La cour en vient encore à la question des conséquences de l’absence d’audition. Celle-ci n’est pas une obligation dans le cadre de la loi du 3 juillet 1978 et elle constituerait dès lors une modalité du principe général de bonne administration. En l’espèce, la cour retient que la légitime confiance que le Collège des Bourgmestre et Echevins avait accordée à la hiérarchie de son administration semble avoir été surprise, les conclusions soumises au Collège étant excessives. Pour la cour, la convocation du travailleur s’imposait d’évidence et elle retient ici six indices qui auraient dû être vérifiés par la Collège, ceux-ci étant essentiellement liés à la nature des observations faites ainsi que les appréciations, le caractère péjoratif du constat fait quant à la qualité des prestations, l’unilatéralité des observations, etc.

Il y avait dès lors une précaution à prendre, étant celle d’auditionner l’intéressé. Il y a de ce fait une faute dans le chef de l’employeur et l’intéressé réclame de ce chef réparation d’un dommage évalué à l’équivalent d’un mois de rémunération. La cour alloue ce montant, en l’arrondissant. C’est dès lors une somme de 3.500 € qui est allouée, au titre de dommage moral. Celui-ci ne constitue pas de la rémunération et l’indemnité n’est dès lors pas soumise aux cotisations de sécurité sociale.

Intérêt de la décision

L’arrêt rendu par la cour du travail le 19 août 2016 est intéressant au moins à deux égards :

1. Il fait un examen très complet et rigoureux des conditions d’exercice du droit à l’interruption de carrière, rappelant que celui-ci est fondé, pour le personnel contractuel et statutaire des administrations communales, sur la loi du 22 janvier 1985, la C.C.T. 77bis n’étant pas applicable au secteur public vu l’exclusion du champ d’application de celui-ci contenue à la loi du 5 décembre 1968.

2. En ce qui concerne l’obligation de motivation, la cour du travail reprend la décision de la Cour de cassation du 12 octobre 2015, qui a fait grand bruit. Les opinions étaient très partagées, avant que la Cour de cassation ne prenne position dans cet arrêt de principe (à la motivation très succincte) et il a été écrit que celui-ci mettait un terme à la controverse. Ceci n’est cependant pas le cas, puisque, dans un jugement du 14 avril 2016 (Trib. trav. fr. Bruxelles, 14 avril 2016, R.G. 14/13.388/A – précédemment commenté), le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a interrogé la Cour constitutionnelle eu égard à l’obligation des employeurs du secteur privé de motiver le licenciement dans les conditions prévues par la C.C.T. n° 109 du Conseil national du Travail. Deux questions ont été posées, la première portant sur la constitutionnalité de la différence de traitement entre le travailleur contractuel et le travailleur statutaire, la seconde visant la question de l’audition préalable au licenciement (n° 6409 FR).


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