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Délai de révision en accident du travail et Charte de l’assuré social

Commentaire de C. trav. Liège, (div. Liège), 7 novembre 2016, R.G. 2015/AL/700

Mis en ligne le vendredi 27 janvier 2017


Cour du travail de Liège, division Liège, 7 novembre 2016, R.G. 2015/AL/700

Terra Laboris

Par arrêt du 7 novembre 2016, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle, à la lumière des principes de la Charte de l’assuré social, les obligations de l’assureur-loi dans le cadre de l’information de l’assuré social sur la procédure en revision des séquelles de l’accident du travail.

Les faits

Une employée d’une maison de repos est victime d’un accident sur le chemin du travail (glissade sur la neige). Après une période d’incapacité de travail, elle reprend ses fonctions et les parties concluent un accord-indemnité sur les séquelles (I.P. de 2%), accord entériné par le Fonds des Accidents du Travail. Dans le cours du délai de revision, elle subit une nouvelle incapacité temporaire d’environ 8 mois prise en charge par l’assureur-loi. Une autre incapacité subséquente est indemnisée par la mutuelle.

Six mois avant l’expiration du délai de revision, l’assureur l’informe quant à la possibilité d’introduire une action devant le tribunal. L’intéressée consulte un médecin, qui conclut à un taux d’I.P.P. de 7% et considère qu’il faut introduire une action en revision. Ce certificat est enregistré par l’assureur-loi avant l’expiration du délai (scannage). Il n’en accuse cependant réception que précisément le premier jour après l’expiration de ce délai et considère que la demande est tardive.

Suite à l’intervention du F.A.T., l’assureur fait cependant examiner l’intéressée, son médecin concluant au maintien du taux d’I.P.P. initial.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège. L’intéressée met en cause la responsabilité extracontractuelle de l’assureur et invoque qu’il a manqué à ses obligations d’information et de conseil prévues par la Charte, ainsi qu’à une Circulaire du 23 juillet 2008 de la Ministre de l’Emploi (n° 265), manquement constitutif d’une violation de l’article 1382 du Code civil. Elle sollicite l’indemnisation de son préjudice en nature, étant l’allocation calculée sur la base de 7% d’I.P.P.

Elle est déboutée par jugement du 18 septembre 2015 et interjette appel.

Position des parties devant la cour

La partie appelante rappelle que le délai de revision est un délai préfix et, s’appuyant sur les mêmes points de droit que ceux invoqués devant le tribunal, elle expose que l’assureur aurait dû prendre l’initiative d’introduire l’action en revision dès qu’il a eu connaissance du rapport de son médecin, celui-ci étant suffisant pour permettre la chose. Elle estime avoir un préjudice et considère que le lien causal est établi. Sa demande porte sur l’équivalent de la rente annuelle à laquelle elle aurait pu prétendre sans l’erreur de l’assureur.

Quant à celui-ci, il considère que, si une obligation de réactivité et de proactivité repose sur lui, ceci suppose néanmoins qu’il ait reçu une information susceptible d’avoir une influence sur les droits de l’assurée. Il invoque l’avoir informée six mois avant l’expiration du délai et considère que sa lettre rencontre le prescrit de la circulaire en cause, ainsi que son devoir d’information tel que fixé par la Charte. Les informations qu’il a données sont utiles à l’exercice des droits de l’intéressée et elles ont été communiquées en temps voulu. Il souligne également qu’aucune disposition légale n’enjoint à l’assureur d’introduire une procédure en justice en lieu et place de l’assuré social.

Subsidiairement, il conclut à un partage de responsabilité avec l’assurée. Il estime, enfin, que le lien causal et le dommage ne sont pas établis.

La décision de la cour

La cour réforme, en premier lieu, le jugement sur le point relatif à la recevabilité de l’action en revision. Le premier juge avait admis celle-ci, alors que, pour la cour – et les parties d’ailleurs –, le délai d’intentement de cette action est expiré. Il s’agit au contraire, en l’espèce, d’une action en responsabilité civile fondée sur un manquement de l’assureur à ses obligations.

La cour en vient ainsi à un examen très fouillé de la faute, ainsi que du dommage et du lien causal. Les développements qu’elle fait sur la faute sont importants. Elle y retient en effet qu’une faute peut revêtir deux formes distinctes, étant soit un comportement qui viole une norme « imposant un comportement (ou une abstention) déterminé(e) », soit, en l’absence d’une telle norme, un comportement que n’aurait pas adopté le bon père de famille normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances. La cour formule le principe en ces termes précis.

Elle examine ensuite la portée des obligations figurant aux articles 3 et 4 de la Charte de l’assuré social, qui contiennent les devoirs d’information et de conseil des institutions de sécurité sociale (ainsi que des institutions coopérantes). La Cour de cassation a précisé sur ceux-ci (Cass., 23 novembre 2009, n° S.07.0115.F) les contours de l’obligation à charge de l’institution de sécurité sociale en matière de complément d’informations nécessaire à l’examen de sa demande ou au maintien de ses droits : celle-ci n’est pas subordonnée à la condition que l’assuré social lui ait préalablement demandé par écrit une telle information.

La cour confirme par ailleurs – ce point n’étant pas contesté par l’assureur – que celui-ci est tenu à une obligation de réactivité et de proactivité.

Enfin, elle en vient à la Circulaire n° 265 en cause, dont elle reprend une partie des termes. La cour souligne qu’elle ne contient que des recommandations, de telle sorte que son non-respect en tant que tel n’est pas fautif. Elle peut, cependant, être examinée au regard des obligations correspondantes de la Charte, qui est d’ordre public.

Reprenant les éléments de fait, elle considère que l’intéressée n’a pas de formation juridique et que la lettre envoyée six mois avant l’expiration du délai a dû lui paraître « fort obscure », la cour relevant en outre que l’information qui y est contenue est partielle.

N’étant ni précise ni complète, cette information n’a pas permis à l’intéressée d’exercer ses droits et obligations. Il y a dès lors violation de l’article 3, alinéa 3, de la Charte.

La cour retient en outre que l’intéressée n’a commis aucune faute de son côté.

Sur le dommage et le lien causal, il faut, selon l’arrêt, examiner la situation de l’intéressée si l’assureur n’avait pas manqué à ses obligations. Celle-ci a été privée de la possibilité de faire examiner sa demande de revision et, aux fins d’établir son dommage, il faut vérifier si les lésions se sont aggravées.

Un expert est dès lors désigné.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège est l’occasion de rappeler d’une part les obligations de la Charte, étant actuellement comprises en doctrine (S. GILSON, Z. TRUSGNACH, F. LAMBINET et S. VINCLAIRE, « Regards sur la Charte de l’assuré social », in Questions spéciales de droit social – Hommage à Michel Dumont, CUP, n° 150, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 257) et en jurisprudence comme impliquant une réactivité et également une proactivité. La jurisprudence de la Cour de cassation sur la question a également permis d’ajouter dans les paramètres que l’obligation pour l’institution de sécurité sociale de communiquer d’initiative un complément d’informations nécessaire à l’examen de la demande ou au maintien des droits ne suppose pas l’existence d’une demande écrite préalable.

Enfin, la Circulaire n° 265 du 23 juillet 2008 du Service public fédéral Sécurité sociale à l’attention des organismes agréés pour l’assurance contre les accidents du travail vient en appui à la vérification du respect par l’assureur de ses obligations au sens de la Charte.


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