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Activité exercée pendant une pause carrière et cumul avec les allocations

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 août 2016, R.G. 2015/AL/419

Mis en ligne le vendredi 13 janvier 2017


Cour du travail de Liège, division Liège, 9 août 2016, R.G. 2015/AL/419

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 août 2016, la Cour du travail de Liège soulève une question de constitutionnalité de la réglementation en matière de « pause carrière », étant que, en cas de bonne foi de l’assuré social, celle-ci ne prévoit pas de règle permettant de limiter le remboursement de l’indu aux 150 dernières allocations. La réouverture des débats est ordonnée, en conséquence.

Les faits

Une directrice de crèche prend une pause carrière à temps partiel en mai 1997 et bénéficie d’allocations d’interruption à charge de l’ONEm. Il y aura interruption complète du travail ensuite et reprise de l’activité le 1er mars 2002. Entre temps, elle a donné des formations, entre 1998 et 2002, qui ont été rémunérées et considérées comme revenus sur le plan fiscal. En octobre 2002, elle a été affiliée d’office à titre complémentaire à la CNASTI d’abord et à titre principal ensuite. L’ONEm revoit son dossier en novembre 2002. L’intéressée expose alors qu’elle participe à des réunions du Comité de province pour l’ONE et perçoit des jetons de présence. Elle participe également à d’autres réunions d’information occasionnellement.

L’ONEm décide alors de récupérer les allocations d’interruption pour toute la période (janvier 1998 à février 2002), étant un montant supérieur à 11.000€. Une procédure est introduite par l’intéressée. En cours de procédure, l’ONEm constate la prescription d’une partie de la période en cause et ramène sa demande à un montant de l’ordre de 7.700€.

L’intéressée ayant été assujettie d’office à partir du 4 octobre 2002 (voir ci-dessus), elle a également contesté la chose, recours rejeté par un jugement du Tribunal du travail de Huy confirmé par un arrêt de la cour du 13 mars 2007.

Ne pouvant plus revenir sur l’assujettissement d’office au statut social des travailleurs indépendants en raison de l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la cour, le tribunal du travail a ensuite considéré qu’il ne pouvait y avoir cumul entre les allocations d’interruption et les revenus provenant de l’activité indépendante au-delà du délai d’un an admis par la réglementation. Le recours a dès lors été rejeté.

L’intéressée a formé appel.

Position des parties devant la cour

L’intéressée conteste qu’il y a eu une activité professionnelle, à défaut d’exercice régulier et de continuité. Pour elle, il n’y avait pas incompatibilité entre la perception des allocations et celle-ci.

Subsidiairement, elle demande de limiter la récupération aux journées de prestations effectives.

Quant à l’ONEm, il considère que, vu l’autorité de chose jugée de l’arrêt de la Cour du travail de Liège, il faut retenir l’activité indépendante. Sur la demande subsidiaire, il plaide que ceci n’est pas prévu dans l’arrêté royal du 2 janvier 1991.

Décision de la cour

Le contexte juridique est la loi du 22 janvier 1985 (art. 100 et suivants) et l’arrêté royal du 2 janvier 1991 d’exécution. La cour rappelle que son article 14, alinéa 2, autorise le cumul entre les allocations d’interruption et le produit d’une activité indépendante mais à concurrence d’une année seulement. Se référant à l’arrêt rendu précédemment, la cour relève qu’il a autorité de chose jugée. Il a cependant été rendu dans un litige qui opposait l’intéressée à l’INASTI et non à l’ONEm et la question se pose de savoir si l’Office peut s’en prévaloir.

La cour se livre dès lors à un examen approfondi de la question, rappelant que l’autorité de chose jugée a deux volets (le premier étant une fin de non-recevoir opposée à une demande qui serait réitérée – ceci exigeant une identité d’objet, de cause et de parties et le second étant l’autorité positive d’une décision rendue). Pour que ne puisse être mis en cause ce qui a été tranché, une seule condition est exigée, étant l’identité des parties (et non les deux autres conditions).

La cour du travail passe en revue la jurisprudence de la Cour de cassation ainsi que celle du Conseil d’Etat sur la question. Les parties n’étant pas identiques, ce qui a été jugé dans le premier litige ne peut être invoqué au bénéfice de l’ONEm au titre de l’autorité de chose jugée. La cour considère cependant que les choses doivent être examinées sous l’angle de la force probante du jugement rendu (jugement civil).

Dans ce cadre, les constatations renfermées dans une décision de justice font foi sous deux réserves, étant d’une part l’exercice de la voie de recours extraordinaire qu’est la tierce opposition et le renversement de la présomption de force probante par les tiers.

C’est dès lors cette notion, étant la force probante des jugements et arrêts, qui s’oppose à ce que l’on puisse encore contester la qualité de travailleuse indépendante à titre complémentaire dans un premier temps et à titre principal ensuite.

La cour en vient alors à la récupération de l’indu lui-même, l’ONEm ayant appliqué une prescription de trois ans. Cette prescription a été prévue dans une circulaire du 5 mars 2004, suite à un arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 12 février 2003 (n° 25/2003). Cette décision posait la question d’une discrimination entre les bénéficiaires d’allocations de chômage et les bénéficiaires d’allocations d’interruption, eu égard au délai de prescription.

La Cour constitutionnelle avait conclu que les distinctions entre les régimes ne justifiaient pas de soumettre la récupération des allocations indument payées à un délai de prescription de dix ans alors que dans le cas d’autres allocations sociales comparables, il était, selon les cas, de six mois, trois ans ou cinq ans.

La cour constate enfin, avec l’ONEm, qu’il n’est pas prévu dans le cadre des allocations d’interruption de limiter la récupération prévue par l’article 169 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, en cas de bonne foi. Or, l’intéressée présente, selon l’arrêt, des indices de bonne foi et la cour demande que les parties prennent position sur cette question. Si elle avait perçu des allocations de chômage, l’intéressée aurait pu bénéficier d’une limitation de l’indu et la cour se pose dès lors la question de savoir si l’absence d’une telle possibilité dans le cadre des allocations d’interruption est bien compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de rouvrir les débats sur la question. Elle en ajoute une autre, d’office, étant de savoir si la Charte de l’assuré social est applicable aux allocations d’interruption.

Intérêt de la décision

Les questions posées à l’occasion de cet arrêt sont certes importantes et il n’aura pas échappé à la cour que, avec les éléments qui lui sont soumis, il pourrait – s’il se confirme pleinement dans le cadre des moyens qui seront avancés au niveau de la réouverture des débats – être conclu à la bonne foi de l’assurée sociale, celle-ci permettant, dans le cadre général de la réglementation du chômage, de limiter la récupération aux 150 dernières allocations perçues.

La cour annonce d’ores et déjà que se pose un problème de constitutionnalité de la réglementation à cet égard.

Par ailleurs, la cour a réservé quelques développements à l’application de la Charte de l’assuré social aux allocations d’interruption. D’une part, cette question a une incidence sur les dépens et d’autre part, elle a un impact sur la possibilité de demander la renonciation à l’indu en vertu de l’article 22, §1er de la Charte (la cour soulignant qu’elle n’est cependant pas saisie de cette question à ce stade).

Relevons enfin que dans un arrêt du 14 janvier 2016 (C. trav. Brux., 14 janvier 2016, R.G. 2014/AB/255 et 2014/AB/268) la cour du travail de Bruxelles a considéré à propos de cette notion de bonne foi que les bénéficiaires d’allocations d’interruption et les bénéficiaires d’allocations de chômage ne constituent pas des catégories comparables de personnes et que, eu égard aux différences constatées par elle, la cour n’était pas tenue d’interroger la Cour constitutionnelle.

Affaire à suivre donc …


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