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Accident du travail mortel : qu’entend-on par « principale source de revenus » ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 mai 2016, R.G. 2015/AB/299

Mis en ligne le jeudi 29 décembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 23 mai 2016, R.G. 2015/AB/299

Terra Laboris

Dans un arrêt du 23 mai 2016, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la règle : pour déterminer si le fils (victime d’un accident du travail mortel) était la principale source de revenus de ses parents, l’on ne peut se borner à relever que son revenu net était supérieur au revenus net globalisé des parents, mais il faut déterminer le montant de la contribution effective de la victime dans ce dernier.

Les faits

Un jeune marin, âgé de 25 ans, est victime d’un accident du travail mortel. Il est célibataire et sans enfant et habite toujours chez ses parents, avec trois frères et sœurs mineurs.

L’assureur contre les accidents du travail est le F.A.T., conformément à l’article 81 L.A.T. Son comité médico-technique prend une décision par laquelle il considère que l’intéressé n’était pas la principale source de revenus du ménage, de telle sorte que la rente consécutive à l’accident mortel n’est pas due.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruges en décembre 2002. Le tribunal du travail déboute les parents par jugement du 25 octobre 2010. Celui-ci est cependant réformé par arrêt de la Cour du travail de Gand (section Bruges) du 23 février 2012. Celui-ci considère que les parents pourraient prétendre, en leur qualité d’ayants-droits au sens des articles 15, 20 et 20bis de la loi, aux indemnités.

Un pourvoi est introduit par le F.A.T. et cet arrêt est cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 15 septembre 2014 (non publié).

L’affaire revient ainsi devant la Cour du travail de Bruxelles.

La décision de la cour

La cour reprend les principes, après un rappel des trois dispositions légales ci-dessus. Elle renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 8 février 1993 (Cass., 8 février 1993, n° 8179), qui a admis que l’article 20bis – selon lequel pour les ascendants, la rente reste due jusqu’au moment où la victime aurait atteint l’âge de 25 ans, à moins qu’ils puissent fournir la preuve que celle-ci était leur principale source de revenus - est également d’application lorsque l’intéressé avait déjà atteint l’âge de 25 ans au moment de l’accident mortel.

Elle reprend, ensuite, divers arrêts de la Cour de cassation, qui ont précisé la définition. Elle souligne une décision importante rendue le 6 juin 2005 (Cass., 6 juin 2005, n° S.04.0141.F), la Cour ayant, dans un cet arrêt, jugé qu’il faut vérifier le respect de la condition de l’article 20bis de la loi de manière concrète. Elle a considéré dans cet arrêt que l’on ne pouvait se borner à relever que le revenu net du fils (victime de l’accident) était supérieur au revenu net globalisé des parents, ce constat n’étant pas suffisant. La Cour de cassation a fait grief à la cour du travail de s’être abstenue ce faisant de déterminer le montant de la contribution effective de la victime dans les revenus de ses parents.

La Cour du travail de Bruxelles renvoie ensuite à la modification législative intervenue suite à la loi du 8 juin 2008, qui a ajouté un alinéa 2 à l’article 20bis. Celui-ci dispose que la victime est considérée comme la principale source de revenus lorsque la partie de ses revenus qui servait effectivement de contribution, tant en espèces qu’en nature, à l’entretien des ascendants était, au moment de l’accident, supérieure aux revenus globalisés des ascendants, dans lesquels la contribution, tant en espèces qu’en nature, de la victime n’est pas incluse. Pour la fixation de la contribution, tant en espèces qu’en nature, de la victime, les frais de son propre entretien ne sont pas pris en considération.

Si cette disposition n’était pas applicable lors de l’accident, la cour constate que le législateur s’est inspiré de la jurisprudence de la Cour de cassation ci-dessus.

En l’espèce, il ne fait pas de doute que les parents ont retiré un avantage direct du salaire de leur fils, dans la mesure où ils habitaient sous le même toit. La cour rappelle qu’il s’agit ici d’une présomption irréfragable de profit direct (article 20 de la loi). La question est cependant de savoir si, concrètement, le fils constituait la principale source de revenus de ses parents, au sens de l’article 20bis.

Il y a dès lors lieu de se pencher sur les chiffres. L’enquête du F.A.T. effectuée suite au décès sert de base. La cour examine les rémunérations perçues pendant la (courte) période d’activité professionnelle et constate que la rémunération variait en fonction des sorties en mer. Il semble acquis, par les déclarations au dossier, que le jeune homme remettait la totalité de son salaire à ses parents (sauf quelques petites sommes qu’il conservait pour ses dépenses personnelles). La cour considère cet état de choses comme plausible, l’intéressé passant la majeure partie de son temps sur le bateau de pêche (qui naviguait vers l’Angleterre et retour). Il s’avère par ailleurs que les parents avaient pu effectuer des achats (voiture, mobilier) qu’ils n’auraient pas faits sans le salaire de leur fils. A son décès, celui-ci ne disposait d’ailleurs d’aucun montant sur son compte bancaire.

La cour conclut qu’il doit être admis à partir de l’ensemble de ces éléments que les parents profitaient de la totalité du salaire de leur fils (sauf petites sommes « à côté »). Les parties ayant des estimations financières très éloignées, la cour procède à un calcul précis, recherchant en premier lieu une rémunération annuelle de référence (calculée sur une base nette, en ce compris une prime perçue, ainsi que le pécule de vacances et les allocations de chômage perçues pour des périodes non prestées). Il s’agit d’un montant de l’ordre de 91.500 anciens BEF, dont il faut retirer un montant d’impôt ainsi que le remboursement d’un prêt. Le total est dès lors de l’ordre de 68.000 anciens BEF, étant environ 1.700 €. C’est cette somme dont les parents ont bénéficié en tant que contribution effective de leur fils dans leurs revenus.

La cour examine ensuite ces revenus, étant des indemnités AMI dans le chef des deux parents et avoisinant un total de 1.400 €. Elle examine le sort d’une somme d’environ 900 € perçue au titre d’allocations familiales. Elle rappelle à cet égard que les allocations familiales sont destinées au coût d’entretien des enfants et qu’en tout état de cause, elles sont inférieures au coût réel. A supposer que la victime ne puisse avoir la qualité de principale source de revenus, dans la mesure où l’on tiendrait compte des allocations familiales sans prendre en considération le coût d’entretien des enfants, la cour considère qu’il peut y avoir une discrimination interdite entre les parents, selon qu’ils ont encore des enfants à charge et perçoivent des allocations familiales. Elle renvoie à trois arrêts récents de la Cour de cassation sur le contrôle du juge en matière de non-discrimination.

Il reste dès lors comme revenus à prendre en compte uniquement les indemnités AMI des deux parents. Les rentrées mensuelles à prendre en considération sont bien supérieures à ces deux revenus cumulés. Le jeune était dès lors la principale source de revenus de ses parents et ceux-ci peuvent en conséquence prétendre à la rente prévue à l’article 15, § 1er, L.A.T., c’est-à-dire à 20% du salaire de base.

La cour rouvre les débats aux fins de déterminer celui-ci avec exactitude.

Intérêt de la décision

Ce type de décision n’est pas fréquent. La Cour du travail de Bruxelles rappelle le chemin qui a été fait par la Cour de cassation, au fils du temps, dans la définition de la « principale source de revenus », la règle actuelle étant que la contribution du jeune, victime de l’accident, doit être supérieure aux revenus cumulés de ses parents avec qui il habite.

Très logiquement, la cour a en l’espèce écarté la prise en compte des allocations familiales.

A propos de l’article 20bis, la cour du travail a cité un arrêt de la Cour de cassation du 8 octobre 2001 (Cass., 8 octobre 2001, n° S.00.0074.F), décision également importante, dans la mesure où elle a jugé que cette disposition n’opère aucune distinction en ce qui concerne la nature ou la destination des revenus dont disposent les ascendants.

Enfin, l’on notera que la question de savoir si la victime était la principale source de revenus s’apprécie en fait.


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