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Non-respect de la classification professionnelle en HORECA et étendue des arriérés

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 4 août 2016, R.G. 14/11.599/A

Mis en ligne le mardi 27 décembre 2016


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 4 août 2016, R.G. 14/11.599/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 4 août 2016, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles retient l’existence d’un délit continué, dans le chef d’une société du secteur HORECA, qui a persisté pendant plusieurs années à ne pas respecter la classification professionnelle, le tribunal identifiant, dans les éléments du dossier, les éléments faisant ressortir l’existence de la même résolution délictuelle.

Les faits

Madame S. a travaillé depuis 1997 pour un important groupe hôtelier à Bruxelles. Elle a commencé ses fonctions en tant que gouvernante. Au fil des années, ses tâches se sont accrues et elle était seule gouvernante de l’hôtel. Elle a dès lors considéré, via son organisation syndicale, qu’elle exerçait des fonctions de gouvernante générale, ce qui impliquait un changement de catégorie eu égard à la classification figurant dans la C.C.T. sectorielle du 1er juillet 1997. Elle réclamait, ainsi, la catégorie XI au lieu de la catégorie IX, qui lui était appliquée.

Ayant présenté sa candidature aux élections sociales de 2012, l’intéressée était protégée contre le licenciement. L’employeur demanda quelques mois plus tard à la commission paritaire l’autorisation de la licencier pour motif économique, ce qui fut refusé.

Un an plus tard, elle se fit alors licencier pour motif grave. La procédure n’étant pas respectée, puisque le licenciement était intervenu, la société fut alors déboutée d’une demande qu’elle avait introduite en reconnaissance du motif grave … après celui-ci. Le tribunal du travail rendit un jugement déclarant la demande de reconnaissance irrecevable, ce que confirma la cour dans un arrêt du 2 juin 2016. L’intéressée reçut en outre des dommages et intérêts, pour appel abusif.

Les parties sont ici opposées sur la question des fonctions exercées.

La décision du tribunal

Le tribunal se livre à un examen des fonctions reprises dans la C.C.T. de secteur, laquelle distingue la gouvernante d’étage de la gouvernante générale, la première dépendant de la seconde et ayant pour responsabilités (i) de diriger opérationnellement les femmes de chambres et les responsables de l’organisation du travail et (ii) de déterminer le planning quotidien des activités de nettoyage et de distribution du linge. Quant à la gouvernante générale, elle dépend de la direction et dirige les gouvernantes, ainsi que le responsable division nettoyage et le chef division linge. Le descriptif des tâches donné dans la convention collective est très large.

Examinant les éléments qui lui sont déposés, le tribunal arrive à la conclusion que l’intéressée prouve avoir assumé des tâches relevant de la fonction de gouvernante générale, étant qu’elle planifiait les activités, s’occupait de l’approvisionnement des produits, assurait la communication entre les différents départements, était responsable des inventaires, gérait les commandes et les stocks, etc.

Il en résulte que la réclamation de l’intéressée est fondée et le tribunal retient que les tâches ressortissent à la fonction pour toute la période litigieuse. Le tribunal constate en effet qu’aucune personne n’était en mesure d’exercer cette fonction de gouvernante générale. La période concernée doit débuter en 2006, étant une date qui est admise par la société. Aucun autre élément ne vient confirmer les prestations en cette qualité avant celle-ci.

Le tribunal rejette, à ce stade de son raisonnement, l’argumentation de l’employeur selon lequel l’intéressée a réagi tardivement. Cet état de chose peut en effet être dû aux « subtilités » de la classification de la C.C.T. et l’intéressée a pu être informée via son organisation syndicale. Le tribunal renvoie à un arrêt du 26 mars 2001 de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Brux., 26 mars 2001, R.G. 39.998), selon lequel le non-respect de la classification des fonctions et des rémunérations y afférentes est constitutif d’un délit et le silence du travailleur pendant plusieurs années ne peut être un silence circonstancié équivalent à un aveu extra-judiciaire que la rémunération a été correctement payée. Est également invoqué le fait que, étant sous l’autorité de l’employeur, l’absence de revendication du travailleur ne peut pas être considérée comme un acquiescement à la rémunération payée.

Reste dès lors à examiner les effets du délit sur la période couverte par la réclamation d’arriérés. Renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (dont Cass., 21 décembre 1992, n° 9547), l’infraction de non-paiement de la rémunération est une infraction instantanée, ce qui a des effets sur la prescription, puisque celle-ci prend cours en principe dès la commission de l’infraction.

Existe, cependant, la théorie du délit collectif ou de l’infraction continuée, qui permet de retenir une prescription plus longue. En effet, si les infractions instantanées sont reliées entre elles par une unité d’intention, il y a délit collectif (ou infraction continuée) et la prescription de l’action publique prend cours à partir du dernier fait commis procédant de la même intention.

Il faut dès lors vérifier si les faits en cause sont l’exécution successive d’une même résolution criminelle, ne constituant ainsi qu’une seule infraction. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation également, le tribunal renvoyant à un arrêt du 7 avril 2008 (Cass., 7 avril 2008, n° S.07.0058.F), ainsi qu’à un autre du 12 février 2007 (Cass., 12 février 2007, n°S.06.0051.F). La prescription de l’action publique ne prendra dans ce cas cours à l’égard de l’ensemble des faits qu’à partir du dernier de ceux-ci pourvu qu’aucun d’entre eux ne soit séparé du suivant par un temps excédant le délai de prescription.

En l’espèce, le tribunal constate que l’infraction a été répétée de mois en mois et que l’employeur a maintenu son point de vue même après la mise en demeure par l’organisation syndicale. En outre, la société a déjà été condamnée pour non-respect des barèmes salariaux et ceci n’a pas modifié son attitude à cet égard. Il s’agit dès lors de l’exécution mensuelle d’une même résolution délictuelle.

En conséquence, la demande n’est pas prescrite et la récupération ne doit pas davantage être limitée aux cinq dernières années. Le tribunal fait dès lors droit à la demande, en ce que, à ce stade, elle porte sur une condamnation provisionnelle de 50.000 €.

Intérêt de la décision

Les faits de l’espèce démontrent l’importance de la distinction opérée entre l’infraction instantanée et l’infraction continuée (ou délit collectif).

L’on peut encore très utilement renvoyer, en sus des décisions citées dans le jugement, à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2015 (Cass., 22 juin 2015, n° S.15.0003.F – précédemment commenté), où celle-ci avait rappelé que le non-paiement de la rémunération constitue en principe une infraction instantanée et non une infraction continue. Une distinction doit en effet être faite dans ces divers types d’infraction. L’infraction continuée consiste dans l’accomplissement (ou l’omission) d’un acte à un moment donné, contrairement à l’infraction continue, qui ne vise pas un fait ponctuel ou isolé mais sa persistance, à savoir le maintien d’un état délictueux. Quant au délit collectif (ou continué), il s’agit du délit caractérisé par une unité d’intention.

Le commentaire fait précédemment de cet arrêt du 22 juin 2015 donne davantage d’exemples sur les hypothèses pouvant être rencontrées.


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