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Discrimination à l’embauche d’une caractéristique physique : application de la loi anti-discrimination

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 20 juin 2016, R.G. 15/167/A

Mis en ligne le mardi 27 décembre 2016


Tribunal du travail de Liège, division Dinant, 20 juin 2016, R.G. 15/167/A

Terra Laboris

Par jugement du 20 juin 2016, Le Tribunal du travail de Liège condamne une société de conduite automobile à l’indemnité légale due en cas de discrimination, s’agissant du refus d’embauche d’un moniteur au motif qu’il présenterait un excès de poids.

Les faits

En 2014, Monsieur D., âgé de 30 ans, pose sa candidature en tant que moniteur de conduite automobile. Des discussions interviennent avec l’entreprise concernée, en ce qui concerne le détail des prestations de travail, ainsi que le statut souhaité (salarié ou indépendant).

Suite à un rendez-vous d’embauche, la représentante de l’employeur signale avoir « bien réfléchi » et constate par écrit que le profil physique pour le travail de moniteur automobile ne lui convient pas. Elle relève que l’intéressé a un excès de poids (« as-tu déjà pensé à perdre du poids …, je pense que c’est un handicap pour ce travail. Bonne continuation dans ta recherche »).

L’intéressé répond, faisant état de sa déception et signalant que son physique n’est pas une gêne sur le plan professionnel mais qu’il est conscient qu’il s’agit d’un handicap pour toute profession. Il contacte également le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et les discriminations (actuellement UNIA). Des discussions interviennent avec cet organisme et en fin de compte le conseil de la société expose que le non engagement est lié à des critères objectifs et nullement à la question du physique. Il présente les excuses de la société – ce qui avait été demandé par le Centre – mais aucune proposition d’indemnisation n’intervient, celle-ci considérant ne pas avoir commis de faute.

Un recours judiciaire est introduit devant le Tribunal du travail de Liège, le Centre faisant intervention volontaire.

Est réclamé par le demandeur un montant de l’ordre de 10.000€ au titre de dommages et intérêts.

La partie intervenante demande qu’il soit dit pour droit que l’intéressé a été victime d’une discrimination directe sur la base du handicap et de la caractéristique physique ainsi que d’un refus d’aménagements raisonnables. La condamnation de la société à un euro au titre de réparation de la discrimination est également sollicitée.

Décision du tribunal

Le tribunal reprend le cadre de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, rappelant qu’il s’agit de la transposition de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

Sur le fond, en matière de handicap ou de caractéristiques physiques, il renvoie à l’arrêt de la Cour de Justice du 16 juillet 2015 (Aff. C-83/14, CHEZ C/ KOMISIA ZA ZASHTI OT DIKRIMINATSIA), citant un arrêt précédent du 17 juin 2008 (Aff. C-303-06, COLEMAN C/ ATTRIDGE LAW ET STEVE LAW), qui ont conclu qu’il suffit que le critère soit supposé par l’auteur de l’acte, même s’il est attribué à tort à la victime.

Les travaux préparatoires des lois de 2007 confirment le principe, étant que les discriminations basées sur un motif interdit et que l’auteur attribue à tort à la victime (l’exemple étant cité d’un refus de location en raison d’une religion donnée alors qu’en réalité la victime partage une autre religion) sont reprises dans les concepts et interdictions prévus par les textes, conformément au droit communautaire.

Le tribunal en vient, ensuite, à un rappel fidèle des définitions légales, reprenant les critères de la distinction directe ou indirecte ainsi que de la discrimination directe ou indirecte et rappelle l’obligation d’aménagements raisonnables prévue à l’article 4, 11° en cas de handicap.

Les règles relatives à l’indemnisation figurent à l’article 18 et, pour ce qui est du Centre, les règles le concernant sont reprises à l’article 28.

S’agissant, en l’espèce, d’un handicap et des aménagements raisonnables, le tribunal effectue un examen en droit particulièrement fouillé, reprenant divers arrêts de la Cour de Justice, dont l’arrêt du 11 avril 2014 (Aff. Jointes C-335/11 et C-337/11, dits ARRÊTS RING ET WERG).

Ceux-ci contiennent l’interprétation large faite par la Cour de Justice de la notion d’aménagements raisonnables. Le tribunal rappelle qu’il s’agissait en l’espèce d’une demande de réduction du temps de travail. Il reprend les considérants 49 à 64 de l’arrêt, ce dernier concluant que l’article 5 de la Directive doit être interprété en ce sens que la réduction du temps de travail peut constituer l’une des mesures d’aménagement requises. Il incombe au juge national d’apprécier, eu égard aux circonstances de l’affaire, si la réduction du temps de travail en tant que mesure d’aménagement représente une charge disproportionnée pour l’employeur.

Le tribunal relève ensuite que dans son avis Mme l’Auditeur du travail ne retient pas l’obésité comme un handicap mais souligne qu’elle peut relever de celui-ci en fonction de circonstances données. L’obésité peut dès lors être protégée indirectement sur la base du critère de handicap. C’est l’impossibilité de prévoir des aménagements raisonnables qui justifie, selon l’auditeur du travail, la distinction. Le refus d’y procéder est un acte de discrimination. En l’espèce, l’intéressé, qui souffre d’obésité, a été victime d’une discrimination prohibée et l’employeur est en défaut de démontrer l’impossibilité de prévoir des aménagements raisonnables.

Pour le tribunal, l’attitude de l’employeur, dans sa réponse, ainsi que dans les explications données et les initiatives prises, indiquent que l’intéressé a été traité de manière moins favorable qu’une autre personne ne le serait dans une situation comparable et que cette distinction est constitutive d’une discrimination directe.

Le jugement passe alors à l’examen de la question de la justification qui peut être apportée, étant l’existence d’exigences professionnelles essentielles et déterminantes. Le tribunal examine tout un ensemble d’attestations produites quant aux tests effectués par l’intéressé sur des véhicules utilisés par la société et, à part le véhicule Polo (dont il est admis qu’il est trop petit), aucun élément ne permet de conclure qu’il ne serait pas en mesure de remplir la partie pratique de sa profession – étant souligné en outre que la question ne se pose nullement pour l’aspect théorique.

A supposer, dès lors, qu’une justification soit retenue par l’employeur sur la base du fait que les véhicules auraient été trop petits avec mise en péril de la sécurité des élèves et du moniteur, il y aurait lieu d’examiner le bien-fondé du refus de mettre en place des aménagements raisonnables en faveur d’une personne handicapée, aménagements qui n’ont nullement été envisagés en l’espèce. Le tribunal rappelle que cette notion ne se limite pas à un aménagement matériel du poste de travail et notamment un aménagement ergonomique. Il retient en outre que l’intéressé n’a aucune restriction à son permis de conduire ni à son brevet de moniteur.

Il condamne, en conséquence, la société à l’indemnisation prévue à l’article 18 étant, eu égard à un préjudice moral et matériel, un forfait légal de six mois de rémunération.

A la société qui demande que la réparation du dommage soit limitée à un forfait de 650€ (dommage moral) ou à un forfait de trois mois (dès lors que le traitement litigieux défavorable ou avantageux aurait également été adopté en l’absence de discrimination), le tribunal rétorque que ce qui est postulé est la réparation d’un préjudice moral et matériel, ce dernier consistant dans la perte d’une chance d’obtenir un emploi.

Il condamne dès lors la société à l’indemnité légale.

Intérêt de la décision

Cette affaire pose clairement la question de l’étendue des justifications pouvant être apportées pour qu’une distinction pratiquée à l’embauche soit admissible ou au contraire soit discriminatoire (et, partant, interdite).

Une fois les éléments apportés susceptibles de faire admettre l’existence d’une telle discrimination, il appartient à l’employeur de déterminer – preuve à l’appui – quelles seraient les exigences de la fonction susceptibles de justifier sa position – quod non in casu -

Relevons que cette décision n’est à ce jour pas définitive.


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