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Un citoyen français peut-il invoquer le bénéfice de la Convention internationale Belgique / Etats-Unis sur la sécurité sociale ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 juin 2016, R.G. n° 2015/AB/35

Mis en ligne le lundi 12 décembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 10 juin 2016, R.G. n° 2015/AB/35

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 juin 2016, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’enseignement de la jurisprudence GOTTARDO de la Cour de Justice de l’Union européenne : le principe fondamental d’égalité de traitement impose à l’Etat membre d’accorder aux ressortissants des autres Etats les mêmes avantages que ceux dont bénéficient ses nationaux en vertu d’une convention internationale à moins qu’il ne puisse avancer une justification objective à son refus.

Les faits

Un citoyen de nationalité française est gérant d’une société de droit belge. Il résidait aux Etats-Unis à partir d’août 2009. Il est revenu en Belgique pour une brève période, étant domicilié à Bruxelles entre décembre 2012 et avril 2013, suite à quoi il y a eu radiation définitive.

Ayant été assujetti au statut social des travailleurs indépendants jusque-là, la caisse pose à l’INASTI la question du maintien de l’assujettissement, vu le départ de Belgique. L’INASTI confirme le maintien de celui-ci, dans la mesure où il y a poursuite de l’activité en tant qu’administrateur de sociétés.

Des cotisations sont réclamées à celles-ci en leur qualité de débiteurs solidaires. Le total est de l’ordre de 23.000€.

Une contrainte ayant été signifiée, le gérant et les sociétés font opposition à celle-ci.

Le tribunal ayant considéré celle-ci irrecevable, appel est interjeté.

Sur le fond, ils font valoir une question de droit européen, étant de savoir s’il est conforme au droit de l’Union d’exclure un ressortissant d’un autre Etat membre du champ d’application de la Convention bilatérale Belgique / Etats-Unis de sécurité sociale.

Les décisions de la cour

La cour rend un premier arrêt le 12 février 2016, réformant le jugement en ce qu’il a conclu à l’irrecevabilité de l’opposition.

Les débats ayant été rouverts, la cour statue sur le fond du litige dans l’arrêt annoté, du 10 juin 2016.

Elle reprend la Convention bilatérale de sécurité sociale conclue entre la Belgique et les Etats-Unis le 19 février 1982. Celle-ci fixe les règles en cas d’activité professionnelle non salariée. Si un travailleur exerce une telle activité sur le territoire de l’une des parties contractantes, il est soumis uniquement à la législation de celle où il a sa résidence habituelle. Les revenus à prendre en compte et, par conséquent, les cotisations dues sont fixés sur les revenus professionnels d’indépendant perçus sur le territoire des deux Etats.

La caisse soutenant que l’intéressé ne peut se prévaloir de cette convention eu égard à la condition de nationalité, la cour tranche cette question à la lumière de l’arrêt GOTTARDO (C.J.U.E., GOTTARDO c/ ISTITUTO NAZIONALE DELLA PREVIDENZA SOCIALE (INPS), 15 janvier 2002, affaire C-55/00).

En effet, il s’agit d’une question d’application des règlements européens de sécurité sociale. L’intéressé est français, il a résidé en France et ensuite a exercé son droit à la libre circulation au sein de l’Union européenne. Il fait valoir les droits qu’il tire, en cette qualité, du TFUE, à savoir sa liberté de circulation et les conséquences de celle-ci en matière de sécurité sociale.

Pour la cour, l’affaire tranchée par la Cour de Justice le 15 janvier 2002 interdit une discrimination en fonction de la nationalité. Elle reprend un extrait de l’arrêt, qui fixe la règle : lorsqu’un Etat membre conclut avec un pays tiers une convention internationale bilatérale de sécurité sociale, le principe fondamental d’égalité de traitement impose à cet Etat d’accorder aux ressortissants des autres Etats membres les mêmes avantages que ceux dont bénéficient ses nationaux en vertu de la convention à moins qu’il ne puisse avancer une justification objective à son refus (point 34).

La caisse plaidant que, raisonner de la sorte entraînerait une extension considérable et démesurée (soit le passage de 11 à 500 millions) des bénéficiaires potentiels de la convention, la cour rappelle, à partir de la Communication de la Commission européenne du 25 novembre 2013 (Com(2013) 837 final) qu’environ 2,8% des citoyens européens exercent leur droit à la libre circulation.

En outre, la Commission administrative a émis une Recommandation le 19 juin 2013 (n° H1) dans laquelle elle souligne, à la lumière de cet arrêt, que la remise en cause de l’équilibre et de la réciprocité d’une convention internationale bilatérale conclue entre un Etat membre et un pays tiers ne constitue pas une justification objective du refus de l’Etat d’étendre les avantages qu’elle contient et dont bénéficient ses ressortissants à ceux des autres Etats membres. Par ailleurs, les objections tirées de l’augmentation (éventuelle) des charges financières ainsi que de difficultés administratives ne peut pas justifier le non respect des obligations découlant du Traité.

En l’espèce, et dans la droite ligne de cet enseignement, la cour conclut que l’appel est fondé, dans la mesure où l’intéressé établit qu’il remplit les conditions permettant de conclure à l’exercice d’une activité professionnelle non salariée aux Etats-Unis pour la période concernée. Des cotisations ne peuvent dès lors être réclamées pour celle-ci.

La cour aborde ensuite la question du recours contre les débiteurs solidaires, rappelant qu’un débiteur solidaire ne peut être tenu que si le débiteur principal l’est. Or, il est constaté que le rappel préalable à contrainte n’a pas été envoyé à l’assujetti, comme l’exige l’article 46 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967. Pour la cour, cette disposition est une lex specialis concernant une procédure considérée comme dérogatoire au droit commun et elle renvoie à cet égard à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 5 mai 2009 (C. const., 5 mai 2009, n° 75/2009).

Le fait que la caisse soit au moment d’adresser ce rappel dans l’ignorance de l’adresse effective n’est pas libératoire.

La contrainte étant irrégulière, le délai pour la contester n’a pas pris cours et il ne peut être reproché aux sociétés la tardiveté de l’introduction de la procédure.

Intérêt de la décision

Deux points importants sont abordés dans cet arrêt, en ce qui concerne les cotisations dues dans le cadre du statut social des travailleurs indépendants.

Le premier est certes l’application de la célèbre jurisprudence GOTTARDO. En vertu de celle-ci, tout citoyen européen ayant exercé son droit à la libre circulation est susceptible de bénéficier des dispositions des règlements de coordination, de même que des dispositions des conventions internationales bilatérales en matière de sécurité sociale. Il doit en effet être mis sur le même pied qu’un ressortissant de l’Etat national.

Par ailleurs, un deuxième point important concerne la régularité de la contrainte et l’étendue des engagements d’une société solidairement responsable, en l’occurrence, eu égard à l’irrégularité de celle-ci. Si le débiteur principal ne peut être tenu, le débiteur solidaire ne peut l’être davantage.


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