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Indemnités dues en cas de non-respect d’une clause de stabilité d’emploi : nature

Commentaire de Trib. trav. Liège, div. Liège, 8 septembre 2016, R.G. 14/428.796/A

Mis en ligne le lundi 12 décembre 2016


Tribunal du travail de Liège, division Liège, 8 septembre 2016, R.G. 14/428.796/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 8 septembre 2016, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle que ne sont pas contraires à l’ordre public les clauses d’un contrat qui, bien qu’elles gênent l’exercice du droit de résiliation unilatérale, ne rendent pas celui-ci impossible. Si une convention collective prévoit une indemnité venant sanctionner le non-respect d’une procédure préalable au licenciement, cette indemnité ne peut s’analyser comme une clause pénale au sens de l’article 1231, § 1er, al. 1er, du code civil, qui permettrait au juge d’en réduire le montant.

Les faits

Un employé est engagé par une entreprise ressortissant à la C.P. 224 pour son personnel employé (commission paritaire compétente pour les entreprises s’occupant de métaux non-ferreux). Le 30 décembre 2013, son licenciement lui est notifié avec effet immédiat, moyennant versement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Il introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège aux fins de demander d’une part l’indemnité sectorielle prévue en cas de non-respect de la clause de sécurité d’emploi et d’autre part des dommages et intérêts correspondant au complément d’indemnité compensatoire de préavis à laquelle il aurait pu prétendre en 2014.

La décision du tribunal

Le tribunal examine ces deux chefs de demande successivement, réservant des développements plus fouillés à l’indemnité pour non-respect de la convention collective de travail sectorielle relative à la sécurité d’emploi. Il s’agit d’une C.C.T. du 28 avril 2014, rendue obligatoire par arrêté royal du 10 avril 2015 (M.B., 12 mai 2015). Son article 3 prévoit une procédure préalable au licenciement, en cas de problèmes d’emploi ou de circonstances imprévisibles rendant les mesures de maintien de l’emploi intenables sur le plan socio-économique. Cette procédure doit être suivie dès lors que l’employeur a l’intention de procéder à des licenciements multiples et la décision de licencier doit passer, préalablement, par l’examen d’autres mesures visées dans la CCT (article 2).

La procédure porte sur l’avertissement préalable et écrit du conseil d’entreprise ou, à défaut, de la délégation syndicale, ou encore des travailleurs eux-mêmes. Est également imposé un délai aux fins d’engager des discussions au niveau de l’entreprise sur les mesures pouvant être prises ainsi que sur leur accompagnement social (interventions financières, prépension et outplacement). En cas d’absence d’accord, le bureau de conciliation de la commission paritaire doit intervenir. En cas de non-respect de la procédure, est prévue, en sus du préavis, une indemnité compensatoire équivalant à 3 mois de rémunération.

Le tribunal rappelle qu’en vertu d’une jurisprudence bien acquise de la Cour de cassation (renvoyant à son arrêt du 16 octobre 1969, Pas., 1969, p. 147), les clauses qui gênent l’exercice du droit de licencier ne sont pas contraires à l’ordre public si elles ne rendent pas celui-ci impossible.

A la société, qui soutient que la clause est illégale au motif qu’elle est contraire aux articles 32, 39 et 59 de la loi du 3 juillet 1978, le tribunal répond par la négative, le licenciement pouvant intervenir sans, par ailleurs, alourdir l’indemnité légale, sauf si l’employeur devait ne pas respecter la convention collective, auquel cas il s’expose à une indemnisation distincte de celle de la LCT.

Il procède ensuite à l’examen des faits et constate que la procédure n’a pas été respectée. Plusieurs licenciements sont intervenus – pendant les vacances annuelles des travailleurs d’ailleurs –, soit au moment où la procédure était toujours en cours, les organisations syndicales ayant fait appel au bureau de conciliation.

L’indemnité spéciale est dès lors due.

La société demandant, par ailleurs, l’application de l’article 1231 du Code civil, qui confère au juge le pouvoir de réduire le montant prévu dans une clause pénale, le tribunal rejette cette demande, l’article 1231, § 1er, al. 1er, du Code visant une clause pénale que les parties à une convention ont insérée dans celle-ci. Cette règle ne vaut pas pour les indemnités fixées par convention collective de travail rendue obligatoire par arrêté royal.

En ce qui concerne le deuxième chef de demande, fondé sur la circonstance que, si la société avait correctement suivi la procédure, celle-ci n’aurait pas trouvé son aboutissement avant l’année 2014, le tribunal constate que la société a effectivement commis une faute, étant un manquement à ses obligations vu le non-respect de la procédure de concertation, mais rejette la demande du travailleur, lui reprochant de ne pas démontrer la volonté de l’employeur d’anticiper le licenciement et d’échapper à l’application de la loi nouvelle, le jugement relevant par ailleurs l’intention de la société de se retirer du marché belge.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Liège reprend les principes dégagés par la Cour de cassation depuis de très nombreuses années en ce qui concerne la validité des clauses de sécurité (stabilité) d’emploi. Il peut y avoir une limitation au pouvoir de rupture, mais celui-ci – qui est d’ordre public – ne peut être empêché. Les clauses contractuelles ou conventionnelles doivent dès lors être examinées eu égard à ce principe.

L’on aura noté que le tribunal a relevé qu’était établi le non-respect de la procédure obligatoire, préalable au licenciement. La sanction de ce non-respect est fixée dans la convention collective elle-même et il rappelle à très juste titre qu’une fois déterminée l’indemnité due par l’employeur, le juge ne peut, s’agissant de normes fixées par convention collective (rendue obligatoire par arrêté royal), appliquer le droit commun, aux fins de permettre à l’employeur de solliciter la réduction de l’indemnité due, au motif qu’il s’agirait d’une clause pénale contractuellement fixée par les parties dans leur convention. Cette règle, qui gît dans l’article 1231, § 1er, al. 1er, du Code civil, ne vaut pas ici. Dès lors que la convention collective prévoit l’indemnité venant sanctionner le non-respect de l’obligation qui y figure, c’est cette indemnité qui est due. L’on retiendra par ailleurs la difficulté pour le juge de fixer une réparation lorsque la convention collective est muette à cet égard.


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