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Canular téléphonique et motif grave

Commentaire de C. trav. Mons, 27 mai 2016, R.G. 2016/AM/60

Mis en ligne le jeudi 24 novembre 2016


Cour du travail de Mons, 27 mai 2016, R.G. 2016/AM/60

Terra Laboris

Par arrêt du 27 mai 2016, la Cour du travail de Mons confirme le jugement du Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), qui a retenu qu’est un motif grave un mauvais canular téléphonique, l’intéressé se faisant passer pour un représentant de l’OCAM auprès d’un de ses collègues, technicien dans la même institution hospitalière que lui.

Les faits

Un important établissement hospitalier de la région du centre occupe un technicien, pendant 23 ans d’abord (1982 à 2005) et ensuite, depuis 2007, dans son département des technologies et systèmes d’information. Celui-ci est élu aux élections sociales 2012 et bénéficie dès lors de la protection contre le licenciement organisée par la loi du 19 mars 1991.

Il fait l’objet, par une procédure introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut (div. Charleroi) par requête du 28 novembre 2015, d’une demande d’autorisation de licenciement pour motif grave.

Les faits qui lui sont reprochés – et dont la matérialité n’est pas contestée – consistent en un canular téléphonique adressé fin novembre 2015 (soit dans le contexte de grande tension consécutif aux attentats terroristes de Paris), au responsable du service gardiennage, l’intéressé se faisant passer pour un membre de la cellule de l’OCAM et affirmant vouloir s’assurer que l’hôpital respectait bien le niveau d’alerte 4 qui était imposé.

Le directeur général est informé le jour-même et, interrogé, l’intéressé nie, prétextant avoir oublié son GSM. Il est cependant reconnu sur les caméras du service technique.

Suite à cela, l’intéressé est convoqué et reconnait les faits, précisant qu’il est « farceur » et qu’il voulait faire une blague à un collègue. Il se dit surpris lui-même des conséquences de son acte et souligne que, dans son service, le personnel se fait souvent des « blagues ». Il affirme ne pas avoir mesuré la gravité de ses dires.

L’employeur met rapidement en route la procédure de demande d’autorisation de licencier. Il motive sa demande par le fait qu’il s’agit d’un comportement totalement irresponsable et qu’il y a eu des mensonges dans le chef de l’intéressé.

Le tribunal du travail ayant confirmé l’autorisation demandée, l’intéressé interjette appel.

Moyens des parties devant la cour

Dans sa requête, l’appelant admet le caractère inapproprié de son comportement et qu’il y a lieu à sanction disciplinaire. Il met en exergue le climat « jouette » existant entre son collègue et lui-même (plaisanteries internes mutuelles et croisées). Il fait également valoir qu’il ne souhaitait pas engendrer une réaction de panique à l’intérieur de l’hôpital.

Son organisation syndicale – présente à la cause – rappelle que, si un travailleur a le statut de travailleur protégé, ceci ne peut conduire, dans l’appréciation de l’existence du motif grave, à un jugement plus sévère vis-à-vis d’un autre travailleur. L’organisation fait encore valoir des éléments de fait, relatifs au développement des réactions d’émoi au sein de l’hôpital, après le passage du coup de fil.

L’hôpital considère, pour sa part, que les faits sont particulièrement graves, non seulement eu égard aux valeurs qu’il promeut (responsabilité, discernement, loyauté, etc.), mais également au contexte terroriste, à l’objectif poursuivi par l’auteur du canular et au comportement de celui-ci après les événements. Il fait encore valoir qu’en tant que représentant aux organes de concertation, l’intéressé ne peut générer un tel vent de panique en son sein en cette période qu’il qualifie de « très particulière ».

La décision de la cour

La cour reprend les principes en droit, étant essentiellement ceux qui concernent l’examen de la gravité des faits.

La notion de motif grave au sens de la loi du 19 mars 1991 ne diffère pas de celle retenue au sens de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978. La cour renvoie ici notamment à l’arrêt de la Cour de cassation du 27 janvier 2003 (Cass., 27 janvier 2003, n° S.02.0071.F). Elle cite également la doctrine (H. DECKERS et A. MORTIER, « La notion de motif grave dans le cadre du licenciement des (candidats) représentants du personnel », La protection des représentants du personnel, Anthémis, 2011, p. 194), selon laquelle la règle se déploie dans deux directions : il ne faut pas apprécier le motif grave avec plus de sévérité mais la qualité de travailleur protégé ne peut par ailleurs être une circonstance atténuante.

La cour en vient ici à l’examen des faits, dont la matérialité est reconnue. Elle confirme l’appréciation du premier juge sur les éléments avancés par le travailleur, qui tente de faire admettre une faute de moindre intensité que le motif grave de l’article 35.

Le caractère « jouette » d’abord, étant que, s’il n’a pas eu l’intention de nuire, l’intéressé a pris le risque de ne pas garder la situation sous contrôle et que, lorsque ceci s’est produit, il a menti. En outre, le canular en cause s’inscrit dans un contexte tout à fait particulier et la cour souligne ici que, dès lors qu’elle a appris, suite à l’enquête menée immédiatement, que l’interlocuteur n’était pas un policier, l’association hospitalière a pu imaginer le pire (repérages, action d’un complice). Le contexte très précis du moment est un élément important et le comportement de l’intéressé a contribué à l’état de panique voulu par les terroristes, état à ce moment justifié au sein de l’hôpital.

La cour souligne encore, après avoir consulté le Larousse, que le canular est une mystification, c’est-à-dire le fait d’abuser de la crédulité de quelqu’un pour s’amuser à ses dépens. Il s’agit de tromper en faisant en sorte de ne pas être reconnu.

Enfin, elle reprend encore les éléments de fait après le canular, étant que l’intéressé a tenté d’échapper à ses responsabilités.

Dans ce contexte, l’employeur ne pouvait plus avoir confiance en un travailleur qui, sciemment, commet un acte irresponsable dans le contexte ci-dessus et n’hésite pas à occulter sa responsabilité ensuite.

Le jugement est confirmé.

Intérêt de la décision

A partir de faits qui, a priori, pourraient difficilement être constitutifs d’une rupture de confiance telle qu’elle empêche immédiatement et totalement la poursuite de l’exécution contractuelle, la cour, comme le tribunal, retient le contexte précis dans lequel est intervenu le comportement du travailleur, ainsi que ses effets sur l’institution, où l’on ne peut minimiser la panique qu’il était susceptible d’engendrer. C’est non seulement le caractère irresponsable du comportement du travailleur, mis en perspective avec le contexte général, en ce compris ses incidences sur le milieu professionnel (grand hôpital), mais également la tromperie, qui ont constitué le motif.

La sévérité de l’appréciation du juge découle, dès lors, non de la qualité de travailleur protégé de l’intéressé, mais des effets potentiels de l’annonce faite sur la sécurité.

Si tout comportement doit, au regard de l’existence d’un éventuel motif grave, être apprécié en fait, ceci n’interdit cependant pas les simples plaisanteries. A bon entendeur…


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