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Les services d’ambulances sont-ils soumis à l’O.N.S.S. ?

Commentaire de Cass., 25 janvier 2016, n° S.14.0043.N

Mis en ligne le lundi 14 novembre 2016


Cour de cassation, 25 janvier 2016, n° S.14.0043.N

Terra Laboris

Par arrêt du 25 janvier 2016, la Cour de cassation a apporté une précision importante sur l’extension du champ d’application de la loi du 27 juin 1969 aux personnes qui effectuent des transports de personnes qui leur sont confiés par une entreprise, au sens de l’article 3, 5°bis, de l’arrêté royal d’exécution, considérant que les entreprises visées à la disposition ne sont pas uniquement celles à finalité commerciale.

Rétroactes

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi de l’O.N.S.S. contre un arrêt de la Cour du travail d’Anvers (section Hasselt) du 8 janvier 2014 (R.G. 2012/AH/117).

L’affaire concerne une A.S.B.L. qui exploite un service de transport d’ambulances, le transport étant assuré par des bénévoles.

L’O.N.S.S. entama une enquête afin d’assujettir ceux-ci, en application de l’article 3, 5° bis, de l’arrêté royal d’exécution.

Il réclama, ainsi, par citation du 12 mars 2009, un montant de l’ordre de 290.000 €. La demande fut partiellement accueillie par jugement du Tribunal du travail de Hasselt du 6 décembre 2011, qui rouvrit les débats en ce qui concerne l’application de la loi du 3 juillet 2005 concernant les droits des volontaires.

Appel fut interjeté et l’affaire fut dès lors examinée par la cour du travail d’Anvers.

La décision de la cour du travail

La cour du travail a conclu par la négative, et ce après une longue motivation. S’appuyant sur diverses positions de doctrine, elle a considéré qu’il faut entendre par « entreprise » un groupe organisé, indépendant et durable de personnes qui, par le recours à des moyens matériels et immatériels, produisent des biens ou des services ou distribuent ceux-ci contre paiement d’une rétribution qui tend à produire davantage de revenus (élément moteur de l’activité) que ceux normalement nécessaires pour le fonctionnement de l’organisation. Il faut, pour la cour, comprendre l’entreprise au sens du droit économique. C’est dès lors l’activité économique qui est visée. La notion d’exploitant d’une entreprise, au sens de l’article 3, 5° bis, de l’arrêté royal, vise la personne (celle-ci pouvant être une personne juridique) qui déploie une activité économique.

La cour du travail en conclut qu’il faut analyser l’activité exercée à la lumière de cette définition.

Elle rappelle dans un premier temps que, dans sa jurisprudence, la Cour de cassation a considéré que les pharmaciens, médecins et architectes exercent une activité basée sur l’échange de biens et de services, indépendamment du fait qu’il ne s’agit pas d’une activité commerciale. Elle renvoie à l’arrêt GLÖKNER de la C.J.U.E. (C.J.U.E., 25 octobre 2001, Aff. n° C-475/99, AMBULANZ GLÖKNER) rendu en matière de fourniture de services de transports en ambulances, la Cour de Justice ayant conclu que les organisations sanitaires en question doivent être considérées comme des entreprises au sens de l’article 86, § 1er, du Traité C.E. La cour reprend également les conclusions de l’Avocat général JACOBS en ce sens.

Elle renvoie par ailleurs à d’autres décisions de la Cour de Justice, dont l’arrêt POUCET et PISTRE (C.J.U.E., 17 février 1993, Aff. n° C-159/91, POUCET et PISTRE c/ AGF et CANCAVA), où celle-ci a précisé que les caisses de maladie ou les organismes qui concourent à la gestion du service public de la sécurité sociale remplissent une fonction de caractère exclusivement social. Cette activité est en effet fondée sur le principe de la solidarité nationale et est dépourvue de tout but lucratif. Les prestations versées sont des prestations légales et indépendantes du montant des cotisations.

Examinant ces principes au regard de l’article 3, 5°bis, de l’arrêté royal, la cour du travail relève qu’il faut distinguer l’approche formaliste de l’approche fonctionnelle. Le fait qu’un organisme ait pris la forme d’une A.S.B.L. n’est pas déterminant pour conclure qu’il n’a pas la qualité d’entreprise. Cependant, elle constate que les services fournis à la population sont tarifés par l’autorité, que l’A.S.B.L. ne fixe pas librement ses prix, liberté qui lui permettrait de couvrir le risque financier propre à toute activité.

La cour en conclut qu’elle ne peut suivre la position de l’O.N.S.S. selon laquelle le terme « entreprise » est un terme global qui ne doit pas être limité aux entreprises commerciales.

Le pourvoi

Le pourvoi vise à la fois les dispositions pertinentes de la loi du 27 juin 1969 (articles 1, § 1er, et 2, § 2, 1°), celles de la loi du 29 juin 1981 contenant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs (articles 1, § 1er, et 2, § 1er, 1er al., 1°), de même que les articles 2 et 3 de la L.C.T. et l’article 3, 5°bis, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 exécutant la loi du 27 juin 1969.

Les discussions portent essentiellement sur la question de savoir si l’A.S.B.L. doit être considérée comme une entreprise (ou un entrepreneur) au sens de l’article 3, 5°bis.

Le pourvoi soumet, essentiellement, à la Cour de cassation la question de la définition de l’entreprise et d’exploitant au sens de l’article 3, 5°bis, termes qui ne font pas l’objet d’une définition. Pour l’Office, il faut comprendre ceux-ci comme étant assimilés à l’employeur juridique. Le but de l’article 3, 5°bis, est d’assurer aux travailleurs concernés une protection sociale en qualité de travailleurs, soulignant qu’il serait contraire à l’esprit du législateur de limiter le champ d’application de cette disposition (extensible) aux seules entreprises qui ont une activité économique.

La décision de la Cour

La Cour casse l’arrêt de la Cour du travail d’Anvers, rappelant que le champ d’application de la loi du 27 juin 1969 peut, en vertu de l’article 2, § 1er, 1°, être étendu par le Roi, dans les conditions qu’il détermine, aux personnes qui, sans être liées par un contrat de louage de travail, fournissent contre rémunération des prestations de travail sous l’autorité d’une autre personne ou qui exécutent un travail selon des modalités similaires à celles d’un contrat de louage de travail.

L’article 3, 5°bis, de l’arrêté royal est une mesure d’exécution concernant les personnes qui effectuent des transports de personnes qui leur sont confiés par une entreprise au moyen de véhicules dont elles ne sont pas propriétaires ou dont l’achat est financé (ou le financement garanti) par l’exploitant de cette entreprise ou auxquelles une entreprise dispense des services en rapport avec les transports qu’elle leur confie (ainsi qu’aux exploitants de ces entreprises). La notion d’entreprise vise toute entité qui correspond aux conditions visées, et ce même si elles n’ont pas une finalité commerciale.

L’arrêt de la cour du travail constatant qu’il s’agit d’un service d’ambulances reconnu, qui assure des transports de malades par le biais d’ambulanciers dans le cadre d’assistance médicale urgente, mais qui est lié par des tarifs fixés par l’autorité, n’aurait, de ce fait, pas la qualité d’entreprise ou d’exploitant.

Pour la Cour de cassation, par cette motivation, la cour ne justifie pas sa décision en droit.

Intérêt de la décision

Cette précision de la Cour de cassation est importante, dans la mesure où la disposition en cause – même si elle ne comporte pas de définition de l’entreprise – ne contient pas davantage d’indications sur ce qu’elle n’est pas. Son libellé vise les personnes (de manière générale) qui effectuent des transports de personnes qui leur sont confiés par une entreprise.

Rien ne vient limiter le champ d’application de cette disposition à des entreprises à caractère purement commercial.

Le détour fait par la cour du travail dans le droit européen ne permet pas davantage d’aboutir à une autre conclusion.


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