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Peut-on faire concurrence à son ex-employeur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 avril 2016, R.G. 2016/CB/1

Mis en ligne le lundi 14 novembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 21 avril 2016, R.G. 2016/CB/1

Terra Laboris

Par arrêt du 21 avril 2016, la Cour du travail de Bruxelles ordonne, dans le cadre des référés, la cessation de pratiques déloyales auxquelles se livre après la fin du contrat un employé (commercial) d’une société, constatant une atteinte grave aux droits de cette dernière.

Les faits

Une société de commercialisation de peintures vendues en grandes surfaces engage un directeur de ventes en août 2013. Le contrat contient une clause interdisant la concurrence déloyale, et ce tant au cours de son exécution qu’à la fin de celui-ci. Il n’y a pas de clause de non-concurrence.

Suite au départ de représentants de commerce, l’intéressé reprend seul le démarchage de l’ensemble de la clientèle en 2015. La société est ensuite déclarée en faillite en septembre de la même année, faillite rapportée par un jugement ultérieur.

Une société néerlandaise, avec le même objet, rompt sa collaboration avec la première société et un litige les oppose sur des questions d’ordre commercial.

Le directeur de ventes envisage alors de quitter son employeur et lui propose la signature d’un projet de convention de rupture d’un commun accord. La société ne signe pas. L’intéressé cesse alors ses prestations. Il est constaté qu’il y a, dans son chef, décision de démissionner avec effet immédiat et l’employeur lui réclame dès lors la restitution de tous les documents en sa possession. Un rappel lui est adressé. Entre-temps, il s’avère qu’il est entré au service de la société néerlandaise (ou, en tout cas, qu’il preste pour cette dernière). Un litige survient alors et l’intéressé est mis en demeure de s’abstenir de tout acte de concurrence déloyale.

L’initiative de la rupture dans son chef est contestée par l’employé et celui-ci réclame une indemnité compensatoire de préavis, une indemnité d’éviction et des arriérés de rémunération.

La société introduit très rapidement une procédure en référé contre la société néerlandaise, au motif de concurrence déloyale, procédure diligentée devant le Tribunal de commerce de Liège. Le président y fait droit et ordonne à cette société la cessation sous peine d’astreinte de la divulgation de propos de nature à nuire à la société (rumeurs de faillite ou de presque-faillite et impossibilité pour elle d’honorer les commandes). Est également interdit de communiquer aux clients des tableaux comparatifs, étant une publicité comparative trompeuse, ainsi que de se servir des adresses mail non publiques des clients, celles-ci ayant été conservées par l’employé transfuge (détournement illicite de clientèle, etc.).

Parallèlement, la société introduit une procédure en référé devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles contre l’intéressé lui-même, demandant des interdictions du même ordre, dans le cadre contractuel. Une ordonnance est rendue le 5 janvier 2016, faisant droit à la demande de la société. Il est ordonné à l’ex-employé de cesser immédiatement de la dénigrer ou de tromper ses clients, de cesser également de remettre des documents dont il ressortirait que la distribution des produits serait reprise par la société pour laquelle il travaille à ce moment, et, enfin, de cesser immédiatement d’utiliser les données confidentielles des clients (adresses mail). Une astreinte de 20.000 € par infraction constatée et/ou prouvée est infligée.

Appel est interjeté devant la cour du travail, qui statue par arrêt du 21 avril 2016.

La décision de la cour

La cour reprend, en premier lieu, les règles générales autorisant le juge des référés à prendre des mesures, étant d’une part l’urgence et d’autre part le caractère provisoire de celles-ci. La cour examine également la protection des droits apparents, une mesure conservatoire pouvant être ordonnée s’il existe des apparences suffisantes de droit et un risque de préjudice suffisamment important pour les justifier.

En l’espèce, la cour constate que l’urgence existe et qu’elle est toujours présente au jour où elle statue.

Quant aux apparences de droit, elle précise qu’elle ne doit pas se prononcer en droit sur les accusations de concurrence déloyale portées par la société contre son ex-employé, mais vérifier si la situation présente des apparences telles qu’il faut au provisoire préserver ces droits.

Si, en droit du travail, un ancien travailleur est libre de concurrencer son précédent employeur (pour son compte ou pour un concurrent) et qu’il peut utiliser, dans ce cadre-là, les informations, connaissances et l’expérience professionnelles acquises au service de l’employeur précédent, il ne peut se livrer à une concurrence déloyale. La cour précise que la liberté de concurrence comporte le droit de débaucher la clientèle de l’ex-employeur, telle étant, selon la cour, précisément la nature de la concurrence.

Reprenant l’article 17 de la loi sur les contrats de travail, la cour rappelle cependant l’interdiction pour un ancien travailleur de se livrer à des actes de concurrence déloyale.

Elle examine dès lors les éléments en sa possession et relève que des attestations de clients confirment les griefs. Ces attestations sont suffisamment crédibles pour constater la diffusion d’informations dénigrantes et trompeuses aux fins de détourner les clients au profit de l’autre société. La cour constate également l’existence de tableaux comparatifs (qu’elle reproduit d’ailleurs dans son arrêt), tableaux à entête de la société pour laquelle l’ex-employé démarche actuellement et qui sont remis aux clients. Pour la cour, il y tromperie, les clients pensant, eu égard aux mentions de ces tableaux, que les produits de la société en cause ne sont plus disponibles, ce qui permet d’ailleurs à l’autre société de s’approprier la notoriété acquise par ces produits. Constatant également qu’il y a une sérieuse suspicion d’utilisation des adresses électroniques personnelles des personnes de contact chez les clients de la société, la cour confirme sur ce point également l’ordonnance rendue. Elle affine, cependant, le dispositif de la décision, afin que le libellé de l’injonction soit suffisamment précis pour que le destinataire soit pleinement informé de sa portée.

Intérêt de la décision

Dans ce bref arrêt, la cour du travail rappelle les limites de l’intervention du juge des référés, limites permettant cependant de prendre des mesures décisives, dans l’hypothèse où, après la fin des relations de travail, un ex-travailleur pose différents actes de concurrence déloyale, actes pouvant avoir ce caractère dans le cadre d’un examen prima facie des éléments soumis au juge. La cour relève expressément qu’il ne lui appartient pas de statuer sur le fond, mais qu’elle peut prendre des mesures conservatoires aux fins de protéger des droits apparents. L’on notera que la cour a réduit considérablement le montant de l’astreinte, celle-ci passant de 20.000 € par infraction à 3.000 € mais restant malgré tout dissuasive.


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