Terralaboris asbl

Les articles 17 et 18 de la Charte peuvent-ils limiter les effets d’une récupération des allocations de chômage décidée par un organisme de paiement ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 avril 2015, R.G. n°2013/AB/858

Mis en ligne le lundi 7 novembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 22 avril 2015, R.G. 2013/AB/858

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles a décidé que la révision de l’octroi des allocations de chômage et la récupération qui en résulte doivent être examinées au regard de l’article 17 de la Charte de l’assuré social. La Cour du travail rappelle à cette occasion les conditions permettant d’engager la responsabilité extracontractuelle d’un organisme de paiement.

Les règles applicables – Enoncé de la problématique

En principe, l’organisme de paiement ne peut pas poursuivre la récupération des paiements qu’il a effectués et qui ont été rejetés par l’ONEm en raison d’une faute exclusivement imputable à l’organisme de paiement (article 167, §1er, alinéa 1, 4° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991). Selon la Cour de cassation, l’interdiction pour l’organisme de paiement de récupérer les allocations de chômage indûment versées est admise uniquement lorsque le droit du travailleur aux allocations de chômage existe indépendamment de la faute ou de la négligence de l’organisme de paiement (Cass., 9 juin 2008, Chr.D.S., 2009, p.143). En d’autres termes, si, indépendamment de la faute ou de la négligence commise par l’organisme de paiement, le droit aux allocations de chômage n’existe pas, ce chômeur n’est pas protégé par l’article 167, §1er, 4° et §2 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et l’organisme de paiement peut récupérer les allocations de chômage indues qu’il a pourtant fautivement payées, et ce dans un délai de 3 ans. L’organisme de paiement peut donc dans cette hypothèse revoir sa décision avec effet rétroactif.

Ainsi, un organisme de paiement qui, uniquement par sa faute, a payé pendant plusieurs années en tout ou en partie des allocations de chômage à un chômeur qui n’y avait pas droit peut récupérer l’intégralité desdites allocations de chômage, dans le respect du délai de prescription de 3 ans.

L’article 17 de la Charte de l’assuré social fait, sous certaines conditions, obstacle à la récupération des indus qui découlent d’une erreur de l’institution de sécurité sociale. L’article 18bis de la Charte de l’assuré social précise qu’un arrêté royal peut soustraire certaines décisions de révision du champ d’application de l’article 17 de la Charte de l’assuré social. Un tel arrêté royal existe dans le secteur du chômage où l’article 166 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 a été modifié par l’arrêté royal du 30 avril 1999. Les articles 17 et 18 de la Charte de l’assuré social n’étaient donc, au vu de ce qui précède, pas applicables au secteur du chômage. Il s’agissait d’un des seuls secteurs de la sécurité sociale qui se voyait privé de l’application des principes énoncés par la Charte quant à la révision des décisions et la récupération de l’indu (B. GRAULICH, « L’indu : révision d’une décision, prescription de la récupération, modalités de la récupération et renonciation à celle-ci », in Regards croisés sur la sécurité sociale, Anthemis, 2012, p.50).

Position de la Cour du travail

La Cour du travail de Bruxelles a décidé d’écarter, par application de l’article 159 de la Constitution, l’article 166 et le §2 de l’article 167 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. La Cour considère qu’il y a en l’espèce une double discrimination : entre les chômeurs selon que la décision émane de l’ONEm ou d’un organisme de paiement d’une part et d’autre part entre les chômeurs et tous les autres assurés sociaux. La Cour du travail applique dès lors l’article 17 de la Charte.

Dans le cas d’espèce, la Cour du travail a examiné l’exception prévue à l’alinéa 3 de l’article 17 de la Charte. Si l’assuré social savait ou devait savoir qu’il n’a pas (ou plus) droit à l’intégralité d’une prestation, la nouvelle décision peut dans cette hypothèse rétroagir. La Cour du travail a estimé que le chômeur avait obtenu les informations suffisantes lui permettant de se rendre compte du caractère injustifié des allocations de chômage.

L’intéressé était parfaitement informé du fait qu’il ne rentrait pas dans les conditions lui permettant de bénéficier d’une dispense pour suivre des études de plein exercice. Il était dès lors informé du fait qu’à défaut d’obtenir une dispense, il ne pouvait bénéficier d’allocations de chômage tout en suivant des études de plein exercice. Dans la mesure où il savait ou devait savoir qu’il n’avait pas droit aux allocations de chômage pendant ses études, l’organisme de paiement peut récupérer les allocations de chômage indûment payées.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles confirme un arrêt de la Cour du travail de Liège prononcé le 6 décembre 2011. L’impossibilité de pouvoir protéger dans certaines situations un chômeur qui n’était en rien responsable de l’indu était vivement critiquée tant par la doctrine (H. MORMONT, « La révision des décisions administratives et la récupération des allocations de chômage payées indûment », in La réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Kluwer, 2011, p.673) que par la jurisprudence.

Outre l’invocation des développements jurisprudentiels précités, les lecteurs seront attentifs, s’ils veulent éviter la récupération rétroactive des allocations de chômages versées indûment, à démontrer que le chômeur ne savait pas ou ne devait pas savoir qu’il percevait par erreur des allocations.

Si, d’un point de vue factuel, il n’est pas possible de défendre cette thèse parce que, comme en l’espèce, le chômeur savait ou devait le savoir, le réflexe serait, afin d’éviter la récupération de l’indu, d’engager la responsabilité extracontractuelle de l’organisme de paiement. Le problème réside ici dans la démonstration de l’existence d’un lien de causalité entre la faute de l’organisme de paiement et le dommage subi (celui pour le chômeur de devoir rembourser des sommes qu’il a cru être en droit de percevoir). Se basant sur une jurisprudence de la Cour de cassation bien établie, la Cour du travail rappelle que le lien de causalité entre une faute et un dommage existe si ce dommage, tel qu’il s’est réalisé, ne se serait pas produit de la même manière en l’absence de cette faute. Le lien de causalité doit donc être écarté lorsqu’il est constaté que le dommage, tel qu’il s’est produit concrètement, se serait également réalisé avec certitude, même si la faute n’avait pas été commise. En l’espèce, le lien de causalité n’est pas démontré dans la mesure où l’intéressé n’aurait pas pu obtenir des allocations si, à l’origine, l’organisme de paiement avait appliqué correctement la législation ou l’avait correctement informé.

L’organisme de paiement (CAPAC) a déposé un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt de la Cour du travail de Liège prononcé le 6 décembre 2011 précité (B. GRAULICH, « L’indu : révision d’une décision, prescription de la récupération, modalités de la récupération et renonciation à celle-ci », in Regards croisés sur la sécurité sociale, Anthemis, 2012, p.52). A ce jour, la Cour de cassation ne s’est toujours pas prononcée.

Si la Cour de cassation devait censurer l’argumentation exposée ci-dessus, la Cour du travail de Bruxelles a développé une autre piste juridique permettant également d’écarter les modifications apportées aux articles 166 et 167 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (plus précisément les arrêtés royaux du 30 avril 1999). La Cour a jugé que les arrêtés royaux du 30 avril 1999 étaient illégaux au motif que le Roi avait invoqué à tort l’urgence afin de réduire le délai accordé au Conseil d’Etat pour rendre un avis.

Enfin, l’écartement des articles 166 et 167 §2 serait de nature à permettre au juge de faire application des articles 17 et 18 de la Charte à toutes les hypothèses prévues à l’article 167, §1 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (§1er, alinéa 1er, 1° à 5°).

NB : L’arrêt de la Cour du travail de Liège du 7 juin 2011 (ainsi qu’un second arrêt subséquent dans la même affaire, du 6 décembre 2011) a été cassé par la Cour de cassation dans une décision du 6 juin 2016 (S. 12.0028.F).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be