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Convention de rupture d’un commun accord : conditions de la violence morale

Commentaire de Trib. trav. Hainaut, div. Charleroi, 7 juin 2016, R.G. 15/233/A

Mis en ligne le lundi 10 octobre 2016


Tribunal du travail du Hainaut, division Charleroi, 7 juin 2016, R.G. 15/233/A

Terra Laboris

Par jugement du 7 juin 2016, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) se livre à un examen circonstancié des conditions de la reconnaissance de la violence morale susceptible d’aboutir à la rupture du contrat de travail d’un commun accord, sans préavis ni indemnité, vu l’existence de prétendus motifs graves.

Les faits

Un vendeur d’une société de la grande distribution est convoqué pour une réunion et, au cours de celle-ci, une convention de rupture d’un commun accord est signée. Elle contient la renonciation à tout délai de préavis, prévoyant une indemnité de « 0 mois ». Vu que le « préavis de 0 mois » doit être presté dès le jour de la signature, celui-ci coïncide avec son dernier jour de travail (!).

Le jour-même, l’intéressé conteste avoir valablement marqué accord sur la rupture du contrat dans ces conditions. Il rappelle que son délégué syndical est arrivée peu de temps après qu’il eut apposé sa signature sur la convention. Par ailleurs, un mail est adressé à sa ligne hiérarchique, précisant les conditions dans lesquelles il a été amené à signer le document en cause. Il demande sa réintégration.

Il revient à la charge à deux reprises, de même que son organisation syndicale. Dans un courrier, la direction du siège local de la société confirme la rupture. La réintégration est demandée, une nouvelle fois, et une demande de conciliation est introduite auprès de la commission paritaire. Le bureau de conciliation conclut au caractère inconciliable des différends existant dans l’entreprise. Il acte le dépôt d’un préavis d’action de grève. Parallèlement, le C4 est transmis et la rupture est définitivement acquise.

Une action est introduite devant le tribunal du travail.

La décision du tribunal

Le tribunal du travail se livre à un rappel en règle de la théorie des vices de consentement et particulièrement pour ce qui est de la violence morale, dont il reprend les caractéristiques : elle doit avoir été déterminante du consentement, être de nature à faire impression sur une personne raisonnable, faire naître la crainte d’un mal considérable et être injuste et illicite.

Il renvoie à différentes décisions de cours du travail sur la question, ayant souligné qu’indépendamment de l’examen des faits reprochés au travailleur par l’employeur, si une violence a été exercée envers celui-ci dont le caractère injuste ou illicite procède des conditions dans lesquelles l’employeur a soumis à la signature du travailleur la transaction en cause, ceci suffit à fonder le caractère injuste ou illicite de la violence.

C’est cet élément que le tribunal met en exergue, étant qu’il faut apprécier la violence indépendamment de l’examen des faits reprochés à l’intéressé, faits qui, au cours de l’entretien, ont été présentés comme étant constitutifs d’un motif grave.

Sont ici révélateurs de la violence injuste ou illicite le mode de convocation (convocation purement orale), l’absence de toute information relative à celle-ci ainsi qu’à la possibilité de se faire assister, la brève réunion avant la fin de la journée du travail, étant le dernier jour de travail avant les vacances annuelles, etc.).

Le tribunal relève également qu’une procédure particulière existe au sein de l’entreprise, prévue par le règlement de travail, même en cas de motif grave. Celle-ci prévoit la convocation à un entretien préalable, ainsi que l’entretien lui-même, au cours duquel l’intéressé peut se faire assister par une personne de son choix.

Le tribunal souligne encore l’absence de délai de réflexion, demandé cependant par l’intéressé vu que son délégué syndical n’était pas présent, et que les explications données dans la relation des faits établie par le travailleur immédiatement après semblent crédibles, le délégué syndical ayant pour sa part confirmé qu’il n’avait pas été contacté avant la réunion ou en vue de celle-ci. Enfin, une fois libéré de la pression qui était mise sur lui, l’employé a immédiatement réagi.

Sur les autres conditions requises, elles sont présentes, l’annonce d’un motif grave étant de nature à déterminer le consentement de l’intéressé et étant susceptible de faire craindre un mal considérable, encore que de faire impression sur une personne raisonnable. Le tribunal reprend les critères de ce dernier point, étant qu’il faut examiner l’âge et la condition du travailleur. En l’espèce, il s’agit d’un « jeune adulte », père de famille depuis 6 mois et ayant un emprunt hypothécaire à rembourser. En outre, sa situation professionnelle ne l’amenait pas à gérer des situations stressantes ou des confrontations, et le tribunal relève encore qu’il n’avait aucune compétence en droit social.

D’un autre côté, la direction avait préparé l’entretien, puisque deux de ses membres étaient présents.

Il découle de l’ensemble de ces éléments d’appréciation que le contenu de la convention de rupture n’est pas conforme à la réalité. Suite à la rupture, qui doit s’analyser comme un congé donné par l’employeur sans préavis ni indemnité, le travailleur peut donc prétendre à l’indemnité compensatoire légale.

Intérêt de la décision

C’est essentiellement par l’ensemble des éléments de fait retenus par le tribunal que ce jugement est exemplaire.

Les conditions de la violence morale sont en effet connues, mais elles sont appréciées, en fait, dans ce jugement, avec une rigueur particulière. L’on ne peut dès lors qu’être attentif à l’importance des éléments de fait dans l’examen d’une telle situation.

L’on relèvera encore le principe dégagé en la matière par la Cour du travail de Mons notamment, étant que l’appréciation du caractère injuste ou illicite de la violence doit se faire indépendamment de l’examen des faits reprochés au travailleur par l’employeur.

Relevons encore que le tribunal dénonce un non-respect manifeste des droits de défense les plus élémentaires.


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