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Accident du travail dans le secteur public : point de départ de la rente majorée en cas d’aggravation

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 4 mars 2016, R.G. 2014/AL/518

Mis en ligne le lundi 26 septembre 2016


Cour du travail de Liège (div. Liège), 4 mars 2016, R.G. 2014/AL/518

Terra Laboris

Par arrêt du 4 mars 2016, la Cour du travail de Liège (division Liège) écarte pour violation des articles 10 et 11 de la Constitution l’application de l’article 16 de l’A.R. du 13 juin 1970 en ce qu’il fixe le point de départ de la rente majorée au premier jour du mois qui suit l’introduction de la demande.

Les faits

Un employé communal est victime d’un accident du travail en 2004. Celui-ci est consolidé avec un taux d’incapacité permanente de 6% à partir de juin 2008.

Une action en révision est introduite en 2011 et, suite au rapport de l’expert désigné, l’incapacité permanente est portée à 10% à partir du 1er juin 2010. Il s’agit de la date de consolidation de l’aggravation retenue par l’expert. Celui-ci a également constaté, pour la période précédente, qu’il y avait une incapacité temporaire liée à une rechute dans le cadre de l’accident.

La Commune interjette appel de la décision.

Moyens des parties devant la cour

Pour l’administration, il y a violation de l’article 16 de l’arrêté royal du 13 juin 1970, qui fixe la date de prise de cours des effets de la révision au premier jour du mois suivant l’introduction de la demande. Celle-ci ne pouvait dès lors produire ses effets qu’à partir du 1er avril 2011 et non du 1er juin 2010.

Pour l’intimé, il y a lieu d’écarter cette disposition, vu qu’elle est discriminatoire par rapport au régime du secteur privé. Dans celui-ci, en effet, la révision prend effet à la date de survenance de l’aggravation constatée par l’expert. Il n’y a pas de justification raisonnable à cette mesure et, dès lors, il demande de constater la violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

A l’appui de sa thèse, il invoque notamment un arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 mai 2001 (C. const., 8 mai 2001, n° 64/2001) sur la justification de deux régimes d’indemnisation, l’un dans le secteur privé et l’autre dans le secteur public. En l’occurrence, ni la nature statutaire de la relation de travail ni le caractère d’intérêt général des missions de l’employeur ne justifient la différence de traitement. En l’espèce, il y aurait un report injustifié de 10 mois d’indemnisation majorée, délai dont l’intéressé explique l’écoulement par la procédure administrative intervenue.

Sur la discrimination, l’administration renvoie quant à elle à un arrêt du 20 février 2002 de la Cour constitutionnelle (C. const., 20 février 2002, n° 40/2002), qui a admis la possibilité d’une différence de traitement entre personnes placées dans des situations différentes, à la condition d’une justification objective et raisonnable. Elle renvoie au législateur sur les mesures d’équivalence à adopter dans les secteurs.

La décision de la cour

La cour rappelle que la différence de traitement entre les deux secteurs a été soumise à diverses reprises à la censure de la Cour constitutionnelle, notamment au sujet de la prise de cours des intérêts moratoires (article 20bis de la loi du 3 juillet 1967). C’est cette question qui a donné lieu à l’arrêt du 8 mai 2002, à propos duquel elle relève qu’y a été rappelé l’enseignement traditionnel de la Cour constitutionnelle, selon lequel des différences objectives peuvent justifier que les deux catégories de travailleurs soient soumises à des systèmes différents pour autant cependant que chaque règle soit conforme à la logique du système auquel elle appartient. La cour du travail épingle cependant, à propos de cet arrêt, que ni la nature généralement statutaire du lien qui unit le travailleur à son employeur ni la circonstance que ce dernier exerce des tâches d’intérêt général ni encore la procédure d’indemnisation des accidents du travail (complexe dans le secteur public) ne sont de nature à expliquer la différence de traitement.

Pour la cour du travail, ce raisonnement de la Cour constitutionnelle peut être appliqué mutatis mutandi à la date de prise de cours des indemnités dues suite à une révision eu égard à la survenance d’une aggravation.

Les justifications possibles à cette distinction (complexité de la procédure d’indemnisation, caractère d’intérêt général des tâches accomplies, lien généralement statutaire) ne justifient pas de postposer la date de prise d’effet de la révision. Elle renvoie également à la position de la Cour constitutionnelle, avant la modification de la loi du 3 juillet 1967 par celle du 19 octobre 1998, concernant l’octroi d’indemnités d’incapacité de travail temporaire si le travailleur du secteur public se trouvait dans les conditions fixées pour le secteur privé par les articles 25 et 25bis de la loi du 10 avril 1971. La cour souligne encore que, dans les deux secteurs, un certain délai s’écoule entre la survenance de l’aggravation et l’introduction de la demande et que cet élément ne peut justifier une solution différente sur le plan de l’indemnisation.

La conclusion de l’arrêt est l’inconstitutionnalité de l’article 16 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 sur la détermination de la date de prise d’effet de la revision des indemnités en cas d’aggravation.

La cour confirme dès lors le jugement du tribunal du travail.

Intérêt de la décision

La Cour constitutionnelle est régulièrement interrogée sur les différences dans les règles d’indemnisation des séquelles de l’accident du travail dans le secteur public par rapport au secteur privé.

L’arrêt de la Cour du travail de Liège du 4 mars 2016 est important en ce qu’il statue expressément – et ce dans la ligne de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle – sur l’absence de justification objective et raisonnable à la règle de l’article 16 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 en ce qui concerne le point de départ de l’indemnisation.

L’on peut rappeler que le dernier arrêt en date de la Cour constitutionnelle sur les différences des deux modes d’indemnisation a été rendu le 21 janvier 2016 (C. const., 21 janvier 2016, n° 9/16). Cet arrêt concerne la rémunération de base. La Cour constitutionnelle y a considéré que le législateur n’a pas voulu une simple extension des règles du secteur privé au secteur public, eu égard aux caractéristiques propres à chaque secteur et en particulier au fait que le statut des agents de l’Etat est généralement de nature réglementaire, alors que l’emploi dans le secteur privé est de nature contractuelle. Le fait que le plafond de la rémunération de base diffère dans les deux secteurs s’explique par la différence de capacité de gain des deux catégories de personnes, dont les composantes – pensions et indemnités extra-légales – sont favorables tantôt au secteur public tantôt au secteur privé. Dans le secteur privé, le plafond servant à fixer la rente est fixé annuellement (indexation), alors que dans le secteur public, il est en principe (sauf revalorisation générale) en proportion de la rémunération annuelle non indexée.


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