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La liberté de circulation des non-actifs est-elle effective ?

Commentaire de C.J.U.E., 25 février 2016, Aff. n° C-299/14 (VESTISCHE ARBEIT JOBCENTER KREIS RECKLINGHAUSEN C/ GARCIA-NIETO ET ALII)

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2016


Cour de Justice de l’Union européenne, 25 février 2016, Aff. n° C-299/14 (VESTISCHE ARBEIT JOBCENTER KREIS RECKLINGHAUSEN C/ GARCIA-NIETO ET ALII)

Terra Laboris

Par arrêt du 25 février 2016, la Cour de Justice de l’Union européenne confirme la conformité au droit européen du refus de prestations d’assistance sociale dans les trois premiers mois du séjour d’un citoyen n’ayant pas le statut de travailleur (salarié ou non salarié).

Les faits

Une famille de ressortissants espagnols décide de s’installer en Allemagne.

La mère entre dans le pays avec sa fille en avril 2012 et s’inscrit, en tant que demandeuse d’emploi. Elle exerce une activité professionnelle salariée (aide cuisinière) à partir de juillet. Le reste de sa famille la rejoint en juin. L’ensemble réside chez la propre mère de l’intéressée. La famille vit des revenus professionnels de Madame G. et perçoit les allocations familiales.

Une demande de prestations sociales (allocation de subsistance) est introduite pour le père et le fils le 30 juillet. Il y est fait droit pour la période après les trois premiers mois de résidence, mais non pour la période antérieure, soit août et septembre. Le motif est qu’au moment de la demande, le père (et son fils qui l’accompagnait lorsqu’il a rejoint la mère) séjournait depuis moins de 3 mois et que celui-ci n’avait pas la qualité de travailleur (salarié ou non salarié). Il acquiert cependant celle-ci à partir du mois de novembre. Il connaîtra ultérieurement des périodes de chômage, entrecoupées de périodes d’emploi.

Un recours est introduit devant la Sozialgericht Gelsenkirchen, qui accueille celui-ci. Appel est interjeté et la juridiction de renvoi, le Landessozialgericht Nordrhein-Westfalen, pose à la Cour de Justice trois questions préjudicielles.

Les questions préjudicielles

La première concerne le principe de non-discrimination prévu à l’article 4 du Règlement n° 883/2004, étant de savoir s’il s’applique également aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif.

Dans la deuxième question, le Tribunal supérieur demande si des restrictions à ce principe, et ce eu égard aux mesures nationales transposant l’article 24.2 de la Directive 2004/38, sont possibles et, le cas échéant, dans quelle mesure.

La troisième question est posée au cas où la première question recevrait une réponse négative, étant de savoir si les principes de non-discrimination figurant dans le droit primaire (en particulier les dispositions combinées des articles 45.2 et 18 T.F.U.E.) font obstacle à une disposition nationale qui refuse à des citoyens de l’Union une prestation sociale pendant les trois premiers mois de leur séjour, et indépendamment d’un lien réel avec l’Etat membre d’accueil et particulièrement avec son marché du travail, prestation devant servir à leur assurer des moyens de subsistance et à faciliter par ailleurs l’accès au marché du travail,

La juridiction de renvoi a, ultérieurement, pris une décision par laquelle elle considérait qu’il n’y a pas lieu de répondre à la première question, eu égard à l’arrêt DANO.

La décision de la Cour

La Cour ne répond qu’à la deuxième question, la troisième ayant été posée dans l’hypothèse où il n’aurait pas été répondu affirmativement à la première. Elle déclare sur ce point renvoyer non seulement à l’arrêt DANO mais également à la jurisprudence ALIMANOVIC.

Il s’agit de savoir si le principe de non-discrimination de l’article 4 du Règlement n° 883/2004 peut être affecté par les mesures de transposition de l’article 24.2 de la Directive 2004/38.

La Cour rappelle que les prestations en cause, prestations financières destinées à faciliter l’accès au marché du travail, sont des prestations d’assistance sociale au sens de l’article 24.2 de la Directive et non des prestations de nature financière destinées à faciliter l’accès au marché du travail. Pour celles-ci, l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’Etat d’accueil ne peut être acquise que si les conditions de séjour sur le territoire de l’Etat membre d’accueil respectent les conditions de la Directive. Celle-ci a en effet pour objet d’éviter que les citoyens de l’Union ressortissant d’un autre Etat membre deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’Etat d’accueil. Les conditions d’octroi de ces prestations d’assistance sociale passent dès lors par l’examen des conditions d’application du principe d’égalité de traitement de l’article 24 de la Directive, dont le droit au séjour au sens de cette disposition.

L’égalité de traitement suppose que le séjour soit légal. Le droit au séjour peut certes être fondé sur l’article 6.1 de la Directive, mais l’Etat membre peut se prévaloir de la dérogation de l’article 24 pour refuser les prestations d’assistance sociale pendant cette période, et ce afin de préserver l’équilibre financier de son système d’assistance sociale.

Pour la Cour, les citoyens de l’Union exerçant leur droit de libre circulation et effectuant un séjour d’une durée maximale de trois mois sont censés posséder des moyens de subsistance suffisants ainsi qu’une couverture médicale personnelle. Il est dès lors légitime de ne pas imposer aux Etats de les prendre en charge pendant cette période.

L’arrêt BREY avait posé le principe que l’Etat membre d’accueil doit prendre en compte la situation individuelle d’une personne intéressée, notamment lorsqu’il s’agit d’apprécier si elle occasionne une charge déraisonnable pour le système national d’assistance sociale. Un tel examen individuel ne s’impose cependant pas ici, selon l’arrêt, dans la mesure où – ainsi qu’il a été jugé dans l’arrêt ALIMANOVIC – la Directive 2004/38 prend elle-même en considération différents facteurs caractérisant la situation individuelle du demandeur, dont la durée de l’exercice d’une activité économique. Cet examen ne doit dès lors pas être fait dans le cas d’un citoyen à la recherche d’un emploi n’ayant pas le statut de travailleur.

L’article 24.2 de la Directive ne s’oppose dès lors pas à l’exclusion de certaines prestations spéciales en espèces à caractère non contributif à des ressortissants se trouvant dans la situation de l’article 6.1 de la même Directive.

Il en va de même pour l’article 4 du Règlement n° 883/2004, selon lequel les prestations sont octroyées exclusivement dans l’Etat membre dans lequel l’intéressé réside et conformément à la législation de cet Etat. Il s’ensuit que rien ne s’oppose, selon l’arrêt, à ce que de telles prestations soient refusées à des ressortissants d’autres Etats membres n’ayant pas la qualité de travailleur (salarié ou non salarié) ou à des personnes qui gardent ce statut pendant les trois premiers mois de leur séjour dans l’Etat d’accueil.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est le prolongement de la jurisprudence DANO et ALIMANOVIC.

Dans l’arrêt DANO (C.J.U.E., 11 novembre 2014, Aff. n° C-333/13 – précédemment commenté), qui concerne également une espèce allemande, la Cour avait jugé que l’article 70 du Règlement n° 883/2004, qui définit la notion de prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, n’a pas pour objet de déterminer les conditions de fond de l’existence du droit à celles-ci, mais qu’il appartient en principe à la législation de chaque Etat membre de déterminer celles-ci (voir avis de l’Avocat général WATHELET, selon lequel, si les Etats membres sont compétents pour fixer les conditions d’octroi des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, ils le sont également pour définir l’étendue de la couverture sociale assurée par ce type de prestations).

Dans l’affaire ALIMANOVIC (C.J.U.E., 15 septembre 2015, Aff. n° C-67/14 – précédemment commenté), la Cour a décidé que le droit à des prestations d’assistance sociale du citoyen de l’Union qui exerce son droit à la libre circulation doit tenir compte des conditions posées par la Directive 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, qui prévoit une dérogation au principe d’égalité de traitement dans l’accès à ces prestations.

L’arrêt BREY (C.J.U.E., 19 septembre 2013, Aff. n° 140/12) avait considéré que la même Directive s’oppose à une réglementation d’un Etat membre qui, même pour la période postérieure aux trois premiers mois de séjour, exclut en toutes circonstances et de manière automatique l’octroi d’une telle prestation à un ressortissant d’un autre Etat membre économiquement non actif, au motif que celui-ci ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d’un droit de séjour légal de plus de trois mois (eu égard à la condition de ressources posée).

L’arrêt du 25 février 2016 statue sur la période des trois premiers mois, exclue du bénéfice des prestations d’assistance sociale par la législation allemande.
Il pose une question évidente, relative à la notion de charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil, notion sur laquelle il ne donne aucune précision quant à l’examen de cette charge et notamment quant au principe de proportionnalité. Par ailleurs il donne la primauté à la directive et à ses finalités sur le règlement, celui-ci venant en second.

La liberté de circulation des non-actifs se voit ainsi considérablement limitée, du fait de la perte de la prestation perçue auparavant dans le pays d’origine (qui est quitté) et le refus des prestations dans le pays d’accueil.


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