Terralaboris asbl

Demande de paiement de cotisations suite à un jugement rétablissant un assujettissement

Commentaire de C. trav. Mons, 16 mars 2006, R.G. 19.338

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Mons, 16 mars 2006, R.G. 19.338

Terra Laboris asbl

Quelle est la règle de prescription applicable lorsque, après une décision de non assujettissement prise par l’ONSS et ayant impliqué un remboursement des cotisations de sécurité sociale versées, les juridictions du travail rétablissent l’assujettissement ?

La cour du travail de Mons tranche la question : il y a lieu d’appliquer les règles particulières prévues par la loi du 27 juin 1969 (article 42) et non l’article 2262 du Code civil. Par ailleurs, la cour se prononce également sur l’application concrète de la cause d’interruption constituée par la reconnaissance du débiteur, étant en l’espèce l’action en justice de l’employeur tendant à l’annulation de la décision de non assujettissement prise par l’ONSS à l’égard d’un de ses travailleurs.

Les faits

Un père, qui exploite un restaurant, occupe son fils, en qualité d’aide cuisinier, depuis le 1er août 1982.

Suite à un contrôle effectué par l’ONEm pendant l’absence du père pour cause de vacances, l’ONSS prend une décision de « désassujettissement » en date du 28 juillet 1998, et ce aux motifs que le fils aurait participé à la gestion de l’entreprise familiale (fait constaté par l’ONEm pendant les vacances du père). L’ONSS procède ainsi à l’annulation de l’assujettissement du fils au régime de la sécurité sociale des travailleurs salariés à partir du 1er avril 1993 jusqu’au 31 mars 1998.

L’employeur, le père, introduit en date du 15 octobre 1998 une action en vue d’obtenir l’annulation de la décision de « désassujettissement », à la fois en référé, afin d’obtenir la suspension de l’acte administratif ainsi qu’au fond, afin d’obtenir l’annulation de l’acte administratif et la consécration du statut salarié du fils.

Une ordonnance présidentielle est rendue en date du 15 janvier 1999 faisant droit à la demande et suspendant ainsi l’acte administratif.

Le tribunal du travail de Charleroi se prononce sur le fond en date du 11 mai 2000 et annule la décision de non assujettissement de l’ONSS du 28 juillet 1998 et reconnaît ainsi le statut salarié du fils du restaurateur. Ce jugement est signifié le 28 juin 2000 et est donc coulé en force de chose jugée en date du 28 juillet.

A la suite de ce jugement, l’ONSS émet deux avis rectificatifs, l’un du 3 mai 2001, visant le paiement des cotisations dues à partir du 2e trimestre 1995 et l’autre du 20 mai 2001, visant les cotisations dues pour la période du 3e trimestre 1993 au 1er trimestre 1995 inclus.

Le restaurateur honore le 1er avis rectificatif mais ne paie par les montants repris au second, de sorte que l’ONSS établit un nouvel extrait en date du 3 octobre 2001 (adaptation de l’extrait du 3 mai 2001, incluant les majorations et intérêts de retard).

En l’absence de paiement, l’ONSS cite l’employeur en date du 18 janvier 2002, en paiement des montants repris à l’extrait de compte du 3 octobre 2001.

La question débattue devant les juridictions du travail est relative à la prescription, étant plus précisément la question de savoir quelle est la règle de prescription applicable et si la demande de l’ONSS est encore exigible eu égard à la règle de prescription appliquée.

Les positions des parties

L’ONSS soutient à titre principal qu’il s’agit d’une créance de droit commun, née du jugement du 11 mai 2000, de sorte qu’il y aurait lieu d’appliquer la prescription de l’article 2262 du Code civil (prescription de droit commun).

A titre subsidiaire, l’Office estimait que, s’il y avait lieu d’appliquer la règle particulière contenue dans la réglementation (article 42 de la loi du 27 juin 1969), il faudrait retenir comme date de prise de cours du délai de prescription la date d’exigibilité, fixée par l’Office au moment où le jugement du tribunal du travail de Charleroi du 11 mai 2000 est passé en force de chose jugée, à savoir à la date du 28 juillet 2000. A cet égard, l’Office faisait valoir que l’avis rectificatif avait été émis en application de l’article 35 bis de l’arrêté royal du 28 novembre 1969.

A titre plus subsidiaire, l’ONSS invoquait l’existence d’une interruption de la prescription, cause d’interruption fondée sur l’article 2248 du Code civil, à savoir la reconnaissance par le débiteur. En l’espèce, l’acte de reconnaissance allégué par l’ONSS était le recours de l’employeur contre la décision de désassujettissement du travailleur, qui constituerait une reconnaissance de la débition des cotisations de sécurité sociale.

Enfin, à titre infiniment plus subsidiaire, l’ONSS invoquait qu’il s’agissait d’une action en répétition d’un indu, les cotisations de sécurité sociale remboursées par l’ONSS à la suite de sa décision de désassujettissement l’ayant été d’une manière indue, dès lors que le jugement du 11 mai 2000 a été prononcé. L’Office réclamait donc l’application de l’article 2262 du Code civil.

L’employeur faisait quant à lui valoir que c’est l’article 42 de la loi du 27 juin 1969 qui devait trouver application, article prévoyant une prescription quinquennale, dont le délai était, selon lui, atteint, les cotisations les plus récentes remontant au 1er trimestre 1995 alors que l’ONSS n’avait cité qu’en date du 18 janvier 2002.

Par ailleurs, l’employeur faisait valoir que l’article 35 bis de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 ne pouvait trouver application en l’espèce, le litige ne concernant pas des « indemnités ».

Il contestait par ailleurs toute reconnaissance de dette interruptive de prescription, alléguant qu’il fallait faire une différence entre la problématique du statut de travailleur salarié et celle des cotisations de sécurité sociale. Il contestait ainsi avoir reconnu être débiteur de cotisations.

Enfin, concernant l’argument relatif à une éventuelle action en répétition de l’indu, il faisait valoir que c’est volontairement que l’ONSS avait remboursé les cotisations suite à sa propre décision et qu’en tout état de cause, il existait une règle de prescription particulière permettant de faire échec à celle prévue par l’article 2262 du Code civil.

La décision du tribunal

Le tribunal a estimé que le délai ordinaire de prescription extinctif (article 2262 du Code civil) n’était pas d’application, vu l’existence d’un texte légal prévoyant une prescription particulière, à savoir l’article 42 de la loi du 27 juin 1969 (5 ans). Le jugement suit ainsi en cela la position adoptée par l’employeur.

La décision de la cour

La cour rejette l’application de l’article 2262 du Code civil, estimant que le jugement du tribunal du travail de Charleroi du 11 mai 2000 statuant sur l’assujettissement du fils du restaurateur a un effet déclaratif et non constitutif du droit à l’assujettissement au régime des travailleurs salariés. Pour la cour, le jugement n’a pas créé une situation nouvelle par rapport à l’assujettissement.

La cour du travail estime également que l’article 35 bis de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 n’est pas applicable au cas d’espèce. Cet article prévoit en effet des règles particulières dans le cas d’indemnités considérées comme rémunération au sens de l’article 19, §2, 2° du même arrêté. Aucune indemnité n’est ici en cause.

En ce qui concerne l’interruption de la prescription sur la base de l’article 2248 du Code civil, la cour relève que le restaurateur a expressément revendiqué en termes non ambigus la reconnaissance d’un droit au statut de travailleur salarié pour son fils. La cour considère dès lors qu’en assignant l’ONSS (et l’INASTI en vue de déclarer opposable le jugement à intervenir) en date du 15 octobre 1998, le restaurateur a interrompu la prescription et que, agissant comme il l’a fait, il a fait mieux que reconnaître être débiteur des cotisations : il a fait consacrer le statut de travailleur salarié de son fils.

C’est donc au regard de la règle de prescription édictée par l’article 42 de la loi du 27 juin 1969 ainsi que de l’interruption de la prescription par les citations (en référé et au fond) du 15 octobre 1998 que la cour tranche le litige.

Intérêt de la décision

La décision annotée tranche la question de la règle de prescription applicable lorsque l’ONSS réclame des cotisations de sécurité sociale qui avaient été versées en temps et en heure mais qui, suite à une décision de non assujettissement prise par l’ONSS, avaient été remboursées par cet Office à l’employeur.

On aurait en effet pu s’interroger sur la règle de prescription applicable, étant la règle particulière prévue par la réglementation ONSS ou celle du droit commun, s’agissant en quelque sorte de l’exécution de la décision judiciaire rendue sur la contestation opposant les parties sur le principe même de l’assujettissement du travailleur.

La cour n’aborde pas la question de « l’actio judicati », étant l’action ouverte à la suite d’une décision judiciaire en exécution des condamnations qu’elle porte. En tout état de cause, dans le présent cas d’espèce, la question ne se posait pas, puisque le jugement décidant du maintien de l’assujettissement du fils du restaurateur n’avait pas porté de condamnation vis-à-vis de l’ONSS et statuait uniquement sur la demande de l’employeur de voir le statut adopté par les parties maintenu.

Cette décision présente également un autre intérêt, étant l’application de la règle de l’interruption de la prescription par la reconnaissance du débiteur du droit. Quoique le restaurateur n’avait pas formellement reconnu être débiteur des cotisations qui avaient été payées puis remboursées par l’ONSS et dont le paiement était réclamé à nouveau, la cour statue, à juste titre nous semble-t-il, dans le sens que l’action en justice ayant pour but de voir reconnaître l’assujettissement ou le maintien de l’assujettissement du travailleur salarié impliquait de facto la reconnaissance de la débition des cotisations de sécurité sociale, le paiement des dites cotisations étant la conséquence inéluctable de l’assujettissement en tant que tel.

Enfin, la décision se prononce également sur la date de prise de cours des intérêts dans ce litige particulier, où les cotisations avaient initialement été payées en temps et en heure et où la demande de paiement de l’ONSS intervenait à la suite d’un remboursement effectué par cet Office et d’une décision annulant la décision de désassujettissement de l’ONSS. La date de prise de cours des intérêts retenue par la cour du travail est la date de l’avis rectificatif émis pour la période de cotisations réclamées.


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