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Que faut-il entendre dans le secteur AMI par ‘profession restant accessible’ ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 25 mars 2016, R.G. 15/775/A

Mis en ligne le mardi 13 septembre 2016


Tribunal du travail de Liège (div. Dinant), 25 mars 2016, R.G. 15/775/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 25 mars 2016, un rappel global de la problématique est fait par le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) dans l’hypothèse où l’incapacité de travail a duré plus de six mois : il faut examiner, dans le champ des professions restant accessibles, à la fois la condition de l’assuré social et sa formation. Cet examen doit être individualisé.

Les faits

Une assurée sociale est en incapacité de travail depuis décembre 2012. En juin 2015, le conseil médical de l’invalidité de l’I.N.A.M.I. met fin à la reconnaissance de l’incapacité à dater du 29 juin 2015.

L’intéressée avait été admise dans ce secteur, suite à la cessation de l’intervention de l’assureur-loi dans le cadre d’un accident du travail, l’incapacité étant justifiée par une fracture du poignet.

Elle exerçait la profession de chauffeur de poids lourds depuis 2006, après avoir dans un premier temps travaillé comme tenancière d’une taverne et, ultérieurement, comme employée polyvalente. Elle a été au chômage pendant une période de 5 ans à partir de 2000 et est devenue chauffeur par la suite.

Elle introduit un recours contre la décision du C.M.I., son médecin de recours considérant qu’est interdite toute activité de conduite de poids lourds ou de transport de personnes, ceci justifiant une incapacité de travail de plus de 66% par rapport à ce que l’intéressée aurait pu gagner par son travail dans les diverses professions accessibles du fait de sa formation professionnelle.

La décision du tribunal

Le tribunal s’interroge sur les critères de l’incapacité en l’espèce, dans la mesure où est visé, dans l’avis du médecin de recours, le champ des professions que l’intéressée a exercées ou qu’elle aurait pu exercer du fait de sa formation professionnelle.

Le tribunal relève qu’elle est en incapacité depuis plus de 6 mois au moment de la décision administrative. L’état d’incapacité ne doit dès lors pas être apprécié par rapport ou par référence au groupe de professions auquel appartient la dernière profession exercée, mais eu égard à l’ensemble des professions qu’elle a ou qu’elle aurait pu exercer du fait de sa formation professionnelle. La capacité de gain restante doit dès lors être évaluée eu égard à l’ensemble de ces professions (le tribunal renvoyant à plusieurs arrêts de cassation, dont Cass., 2 avril 1990, n° 8780, ainsi qu’à la doctrine de M. GOSSERIES : Ph. GOSSERIES, « L’incapacité de travail des salariés et des indépendants en assurance indemnités obligatoire », J.T.T., 1997, pp. 85 et suivantes).

Pour le tribunal, il y a deux critères essentiels qui doivent intervenir, étant d’abord la condition de l’assuré social et, ensuite, sa formation. Par condition, il faut entendre la situation sociale, le rang dans la société, ou encore les circonstances extérieures dont la personne dépend (renvoyant ici au sens commun du terme). La formation doit être comprise en son sens le plus large, étant la formation scolaire, culturelle, intellectuelle et professionnelle (le tribunal renvoyant ici à deux arrêts de la Cour du travail de Mons, dont C. trav. Mons, 9 janvier 1998, R.G. 14.212).

Ces définitions étant posées, il relève que le législateur n’a pas déterminé ce qu’il faut entendre par « formation professionnelle ». Ce concept, en sécurité sociale, n’est pas similaire de certificat, brevet ou encore de diplôme. Il s’agit de définir ce que le travailleur a pu acquérir concrètement, ceci n’étant cependant pas synonyme de pratique. Pour le tribunal, c’est dès lors une notion de fait à circonscrire, celle-ci ne requérant ni l’obtention d’un diplôme ni l’exercice effectif d’une activité correspondant à celui-ci.

Le tribunal renvoie abondamment à la doctrine et à la jurisprudence sur les critères d’évaluation de la réduction de capacité de gain au sens de l’article 100, § 1er, alinéa 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, rappelant qu’il s’agit d’une notion individualisée et personnalisée. L’évaluateur doit dès lors vérifier l’aptitude au travail, compte tenu de l’existence des lésions et des troubles fonctionnels, de leur importance et de leurs effets, mais également eu égard à la condition sociale, culturelle et intellectuelle, ainsi qu’à la formation au sens large. En outre, le travail ne peut être illusoire. Les éléments d’appréciation doivent par ailleurs exclure un déclassement social.

Pour le tribunal, c’est l’assurance chômage qui doit prendre en charge la réactualisation de la formation professionnelle, à supposer que celle-ci ait été acquise par le passé. Il tire de ces principes la conclusion, en l’espèce, que l’on ne peut se référer à l’activité antérieure, l’intéressée pouvant encore avoir accès à diverses professions, tant par ses diplômes et ses formations que par les expériences professionnelles acquises. Il est rappelé qu’elle a travaillé comme employée pendant plusieurs années, activité qui n’exige pas une conduite de véhicule. Le rapport déposé n’est dès lors pas de nature à ordonner une expertise. L’intéressée reste apte pour le marché de l’emploi, les seules activités qu’elle ne peut exercer étant celles de chauffeur de poids lourds (transport de choses).

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Liège, qui renvoie aux principes en matière d’évaluation de la réduction de la capacité de gain, rappelle abondamment la doctrine de M. GOSSERIES, ainsi que la jurisprudence de la Cour du travail de Mons à laquelle il a été attaché.

Ce dernier avait dégagé l’idée que la référence à un travail possible ne pouvait viser un travail illusoire, voire chimérique. Les professions de référence doivent dès lors être concrètes et accessibles à la personne visée et ne peuvent entraîner un déclassement du travailleur.

Un mérite supplémentaire de cette décision est de tenter de cerner la notion de « formation professionnelle » au regard des développements intervenus sur la question. Cette notion ne s’identifie pas au diplôme. Il s’agit d’une question personnelle au travailleur, étant à la fois composée des professions exercées, de la pratique acquise, ainsi que d’autres éléments plus larges, relevant de sa condition sociale, culturelle et intellectuelle.


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