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Conditions d’indemnisation AMI et notion de capacité de gain

Commentaire de C. trav. Mons, 21 janvier 2016, R.G. 2015/AM/155

Mis en ligne le mardi 13 septembre 2016


Cour du travail de Mons, 21 janvier 2016, R.G. 2015/AM/155

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 janvier 2016, la Cour du travail de Mons examine la condition de réduction de capacité de gain dans le secteur AMI, rappelant que, dès qu’il y a eu insertion sur le marché du travail pour une période significative, l’existence d’une capacité de gain doit être considérée comme acquise, indépendamment de l’existence d’un handicap.

Les faits

M. D., né en 1981, travaille, à partir de l’année 2002, jusqu’en 2009, et ce par intermittence (25 jours en tant qu’ouvrier en 2002, presqu’une année complète en 2003 et 2004 en tant que cuisinier et, ensuite, employé en 2007 ainsi qu’en 2008 et 2009). Le total de ses jours de travail est ainsi de l’ordre de 600 sur une période de 7 ans.

En février 2011, il introduit une demande d’indemnités dans le secteur AMI. Il est constaté qu’il présente diverses pathologies, dont une anomalie cardiaque et des déformations (pied droit et main droite).

Quatre mois plus tard, il est mis fin à la reconnaissance de l’incapacité, au motif que l’intéressé n’aurait jamais eu de capacité de gain.

Un recours est formé devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai). Celui-ci fait droit à la demande, au motif qu’il ressort des documents produits, relatifs à ses antécédents professionnels, que sont avérées 600 journées de travail et qu’en sus, il y a eu activité indépendante de mi-2004 à début 2007.

Il y a dès lors capacité de gain, contrairement à la position de l’organisme assureur. Quant à la réduction de celle-ci, elle est effectivement de plus de deux tiers.

Le tribunal annule par conséquent la décision administrative et dit pour droit que l’intéressé pouvait bénéficier des indemnités, étant en incapacité de travail au sens de l’article 100, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

Position des parties devant la cour

L’organisme assureur conteste que les trois conditions requises par l’article 100, § 1er, de la loi soient remplies. Celui-ci exige en effet qu’il y ait eu cessation de toute activité et que les lésions ou troubles fonctionnels entraînent une réduction de deux tiers au moins de la capacité de gain. A ces deux premières conditions – qui sont satisfaites en l’espèce –, s’ajoute en effet une troisième, dont la mutuelle conteste qu’elle soit remplie, étant que la cessation d’activité doit être la conséquence directe du début ou de l’aggravation des lésions ou troubles fonctionnels en cause.

C’est ainsi l’existence d’une capacité de gain initiale qui est contestée, l’organisme assureur considérant que l’état d’incapacité de travail est uniquement justifié par le handicap. Dans la mesure où il n’est pas démontré que l’intéressé a perdu une capacité de gain, il n’est pas indemnisable en AMI, même si existe une incapacité de travail – qui peut être admise dans le secteur des personnes handicapées.

Quant à l’intéressé, il demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de le réadmettre au bénéfice des indemnités à partir de la date d’arrêt de l’indemnisation.

La décision de la cour

La cour reprend, en premier lieu, les éléments avérés relatifs aux prestations et confirme ainsi que l’intéressé prouve 600 jours de travail. A côté de ceux-ci, il faut également constater qu’il y a eu perception d’allocations de chômage et de revenus de remplacement (non autrement détaillés dans l’arrêt).

La cour relève que, pour étayer sa position sur l’absence de capacité de gain, l’organisme assureur fait valoir que les périodes de travail étaient « plutôt » des essais de mise au travail, qu’elles ne correspondent pas à une activité professionnelle réelle, qu’il y a eu instabilité dans les périodes d’occupation – celles-ci étant brèves et entrecoupées d’autres périodes, considérées comme non justifiées – et qu’en outre, les professions exercées ont varié (ouvrier, cuisinier et, enfin, employé).

L’organisme assureur fait également valoir à ce stade que son médecin-conseil n’a pas admis les 66%, mais qu’il a simplement renvoyé à la prise en charge par la « Vierge noire », signifiant qu’il y avait incapacité au sens de la législation relative aux personnes handicapées.

La cour répond dès lors à ces arguments, en rappelant la couverture sociale des personnes handicapées. Dans ce secteur, trois allocations peuvent être accordées (l’allocation de remplacement de revenus, l’allocation d’intégration et l’allocation pour l’aide aux personnes âgées). L’intéressé pourrait dès lors prétendre à l’ARR, sur la base de l’avis du médecin-conseil de la mutuelle, l’article 2, § 1er, de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées renvoyant à l’exigence d’une réduction de capacité à un tiers ou moins de ce qu’une personne valide est en mesure de gagner en exerçant une profession sur le marché général du travail.

La cour rappelle cependant que, dans le secteur des personnes handicapées, figure une obligation dans le chef du demandeur (ainsi que dans celui de la personne avec qui il forme un ménage), étant de faire valoir ses droits aux prestations et indemnités auxquelles il pourrait prétendre par ailleurs, et notamment à des prestations sociales relatives à la maladie et l’invalidité.

Se pose en réalité une seule question, étant de savoir si la carrière professionnelle de l’intéressé est susceptible de signifier l’existence d’une capacité suffisante. Il faut vérifier si celle-ci a existé entre le moment de l’entrée de M. D. sur le marché de l’emploi et la date de fin d’intervention de l’organisme assureur, ou si, par contre, il y avait un handicap congénital préexistant, qui aurait fait obstacle à l’acquisition de cette capacité de gain.

La cour conclut que la capacité a existé.

Il s’agit, comme elle le relève, d’une situation particulière, étant qu’elle concerne une personne présentant un handicap ou une affection congénitale (ou encore certaines prédispositions). En l’occurrence, cette personne a exercé effectivement un emploi et elle s’est ainsi insérée sur le marché du travail. Elle a dès lors eu, au moment de son entrée sur celui-ci, une véritable capacité de gain, qui a notamment donné lieu à la perception de cotisations de sécurité sociale. Dès lors que cette insertion existe, il faut tenir compte de toutes les incidences qui en découlent, étant notamment la reconnaissance implicite d’une capacité effective à exécuter un travail dans le circuit économique.

Existe également une obligation corrélative, en cas d’incapacité, qui est d’examiner la situation médicale dans sa globalité, en ce compris en tenant compte de l’« état antérieur ». Il ne peut dès lors être considéré, sur le plan médical, qu’il faut examiner l’existence ou non d’une « aggravation » au moment de la décision de notification de fin d’incapacité (la cour renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 10 janvier 1997, J.L.M.B., 1997/495). Il faut cependant, pour appliquer ce raisonnement, que la personne ait travaillé pendant une période significative (le renvoi étant fait ici à C. trav. Mons, 21 décembre 2006, R.G. 19.651). En l’occurrence, le nombre de jours de travail est considéré comme étant suffisamment significatif pour que l’intéressé soit à charge de l’AMI.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons aborde la notion de capacité de travail dans le secteur AMI à partir d’un angle spécifique. Dans la mesure où, d’une part, l’existence d’un handicap sérieux est admise et où, de l’autre, l’intéressé a malgré tout travaillé régulièrement pendant une période importante (7 années en l’occurrence), la cour constate dans un premier temps que, sur le plan « strictement juridique », la condition du début ou de l’aggravation des lésions ou des troubles fonctionnels (requise par l’article 100) n’est pas remplie. Cependant, il y a eu insertion sur le marché du travail et une des conséquences en a d’ailleurs été le paiement des cotisations de sécurité sociale.

Dès lors qu’est ainsi admise la capacité effective à exécuter un travail dans le circuit économique à un moment donné, il faut, pour la cour, respecter la logique du système, étant qu’en cas d’incapacité, celle-ci doit être examinée dans le secteur AMI et que la situation médicale de l’intéressé doit être appréciée dans sa globalité, incluant l’état antérieur. L’examen à effectuer ne doit dès lors pas être circonscrit à l’existence ou non d’une aggravation des lésions ou troubles fonctionnels, dans la mesure où la preuve de l’exercice d’une activité est apportée, et ce pour une période considérée comme significative.


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