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Document signé à la rupture : simple quittance pour solde de compte ou vraie renonciation ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 février 2016, R.G. 2014/AB/242

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 15 février 2016, R.G. 2014/AB/242

Terra Laboris

Par arrêt du 15 février 2016, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la distinction entre une quittance pour solde de compte et une renonciation expresse à un droit, distinction capitale car, si la première vaut comme simple reçu, la seconde éteint le droit de contester ultérieurement.

Les faits

Un membre du personnel (salle) d’un restaurant adresse un courrier recommandé à son employeur aux fins de réclamer le paiement d’heures supplémentaires. Quelques jours plus tard, l’intéressée est convoquée et lui est soumise une convention, qu’elle va signer. Celle-ci acte la rupture du contrat, l’employeur la licenciant sur le champ avec paiement d’une indemnité de 35 jours de rémunération. Il est indiqué qu’elle marque accord sur le montant et sur la base de calcul de celle-ci.

La convention contient également une première renonciation à « (…) prétendre à tout autre droit né ou à naître en raison ou à l’occasion des relations de travail ayant existé entre (parties), de leur cessation et des modalités de celle-ci ». Le texte prévoit que les parties renoncent également à « (…) se prévaloir de toute erreur de droit ou de fait et de toute omission relative à l’existence et/ou à l’étendue de leurs droits ». L’intéressée ajoute manuscritement qu’elle renonce « irrévocablement et définitivement » au contenu du courrier qu’elle a adressé.

Les relations de travail prennent ainsi fin sur ces bases.

Une procédure est introduite par la travailleuse devant le tribunal du travail et celui-ci accueille la demande. Il y fait partiellement droit dans un jugement du 16 décembre 2013 et ordonne une réouverture des débats aux fins de statuer sur les autres chefs de demande.

La société interjette appel des condamnations mises à sa charge et la demanderesse forme appel incident sur les postes déjà jugés, mais pour lesquels elle a été déboutée (heures supplémentaires et frais de transport).

La décision de la cour

La cour se prononce essentiellement sur la validité des renonciations figurant dans la convention conclue.

Cette convention ne peut être analysée en une quittance au sens de l’article 12 de la loi sur la protection de la rémunération. La quittance est en effet un document par lequel le travailleur déclare avoir reçu tout ce qui lui était dû. La loi prévoit expressément que, dans une telle hypothèse, la signature d’une telle quittance délivrée par le travailleur au moment où l’engagement prend fin n’implique aucune renonciation à ses droits.

Outre que, en l’espèce, il n’y a pas reconnaissance de la réception de quelque somme que ce soit, une renonciation peut intervenir, indépendamment de la signature d’une telle quittance, mais ce à la condition qu’elle soit stipulée en termes distincts de celle-ci (la cour renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2003, n° S.02.0110.F). La cour précise que ce n’est pas l’utilisation de documents distincts qui est requis mais de termes distincts. Tel est le cas en l’espèce et la conclusion est renforcée par la présence de la renonciation manuscrite ajoutée par l’intéressée.

La cour reprend, ensuite, les principes en matière de renonciation et revient une nouvelle fois sur la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle rien n’impose que les droits auxquels l’on renonce soient énumérés précisément. La renonciation peut donc être formulée en termes généraux (Cass., 22 mai 1978, Pas., 1978, I, p. 1072). L’effet d’une renonciation est d’éteindre le droit auquel il est renoncé, et l’arrêt rappelle ici qu’une renonciation est irrévocable. Le droit du travail autorise le travailleur à renoncer valablement à un droit impératif à partir du moment où le contrat a pris fin et où le droit auquel il est renoncé est né.

Pour tenir en échec les effets de la renonciation, la travailleuse fait cependant valoir que le consentement donné n’a pas été valable, qu’il était vicié pour violence morale.

Les vices de consentement étant expressément visés aux articles 1109 et suivants du Code civil, la cour reprend les conditions requises pour que la violence morale – qui constitue un type de ceux-ci – puisse être retenue. L’existence du rapport de subordination n’est pas en elle-même constitutive d’un vice de consentement. Il y a lieu d’apprécier les conditions dans lesquelles l’employeur a obtenu la signature du travailleur. Celles-ci vont déterminer s’il y a eu violence injuste ou illicite.

C’est dès lors à la travailleuse d’établir les éléments susceptibles de constituer une telle violence. La cour constate qu’elle donne peu d’explications sur les conditions dans lesquelles elle a été amenée à signer la convention. Par ailleurs, toute une série d’éléments permettent de conclure à des circonstances de fait normales. En ce qui concerne la crainte d’être licenciée, cet argument ne tient pas, dans la mesure où la convention prévoyait en son premier alinéa que l’employeur donnait congé avec effet immédiat. Elle était dès lors déjà licenciée au moment de la signature. Le fait qu’elle soutienne avoir été « déstabilisée » et « surprise » de voir ce document pré-rédigé et « émanant manifestement d’un professionnel du droit » n’est pas une circonstance de nature à entraîner l’existence d’une violence.

La cour fait encore grief à l’intéressée de ne pas démontrer l’existence d’une erreur, autre vice de consentement qui pourrait être retenu, indépendamment de la violence morale. Celle-ci peut être une cause de nullité de la convention si elle porte sur la substance même de la chose qui en est l’objet, c’est-à-dire que, sans cet objet, la partie n’aurait pas conclu la convention en cause.

Dans la mesure où un vice de consentement n’est pas établi, la convention est valable et les renonciations qu’elle contient le sont également. L’effet de celles-ci est d’éteindre les droits en cause, de telle sorte que l’intéressée ne peut réclamer quoi que ce soit devant les juridictions du travail, dans la mesure où les droits revendiqués n’existent pas ou plus.

Intérêt de la décision

Cette espèce rappelle la prudence à avoir, en cas de rupture du contrat de travail, dès lors que le travailleur appose sa signature sur un document.

La quittance pour solde de compte visée à la fois à la loi sur la protection de la rémunération dans l’arrêt, mais également dans la loi du 3 juillet 1978, n’est pas synonyme de renonciation, s’agissant uniquement d’un accusé de réception des sommes reprises dans le document.

Comme le relève très justement la cour, aucun montant n’a été payé à la travailleuse, qui ferait l’objet de ladite convention, et l’on se trouve, dans l’hypothèse visée, en présence de renonciations valables ayant une toute autre portée juridique.

L’existence d’une violence morale illicite pourrait cependant affecter la validité de celle-ci. L’on notera que l’effet de surprise et le fait pour l’intéressée d’être déstabilisée ont été considérés par la cour comme n’étant nullement établis, les explications données a posteriori n’étant pas de nature à établir le fait.


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