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Lien entre discrimination et harcèlement au travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 novembre 2015, R.G. 2014/AB/1.091

Mis en ligne le lundi 8 août 2016


Cour du travail de Bruxelles, 17 novembre 2015, R.G. 2014/AB/1.091

Terra Laboris

Dans un arrêt du 17 novembre 2015, saisie d’une demande de résolution judiciaire pour manquement grave de l’employeur à ses obligations contractuelles, la cour du travail de Bruxelles rappelle que tout manquement ne peut justifier ce mode de rupture mais que le comportement de l’employeur peut être sanctionné dans le cadre des lois anti discrimination ou harcèlement, dont le mécanisme est d’ailleurs comparable.

Les faits

Un caissier d’un magasin de grande surface tombe en incapacité de travail, suite à une maladie sérieuse et, après une revalidation de quelques mois, peut reprendre le travail à mi-temps avec l’autorisation du médecin-conseil de la mutuelle. Dans un premier temps il est réaffecté à la caisse les mercredis et samedis et, ultérieurement, les mardis et jeudis, ces deux derniers jours étant de moindre affluence.

Deux ans plus tard, il tombe en incapacité de travail pour motif d’ordre psychologique. L’éventualité d’une force majeure médicale est examinée et, dans le cadre de celle-ci, le conseiller en prévention - médecin du travail conclut que l’intéressé est inapte pour des travaux physiques lourds mais que le travail à la caisse reste possible. Les parties s’orientent vers une autre forme de rupture, la société proposant à l’intéressé une transaction. Les conditions n’étant pas claires, il ne donne pas suite. La société lui adresse alors un recommandé faisant état d’une série de griefs, celui-ci venant de demander à être indemnisé suite à la perte de salaire, ainsi que pour un dommage physique, psychique et moral. Elle se réfère également au fait qu’il a déposé plainte pour harcèlement. Pour la société, cette plainte est dénuée de tout fondement.

L’avocat du travailleur intervient ensuite et par trois mises en demeure successives demande que l’intéressé soit affecté à la caisse du point de vente où il est occupé, et ce pendant deux journées non consécutives.

L’employeur, par la voie de son propre conseil, maintient une position différente, imposant que, lors de la reprise du travail, l’intéressé soit affecté lors de a reprise « aux conditions en vigueur ».

Le travailleur introduit, ensuite, une demande de résolution judiciaire et sollicite l’octroi d’une indemnité de protection fondée sur la loi anti discrimination ͂et /ou˝ harcèlement. Il demande également une indemnité complémentaire eu égard au non respect d’une convention collective de secteur (indemnité complémentaire en cas de licenciement). Il postule, enfin, la réparation d’un dommage moral pour manquement à la bonne foi.

Position du tribunal

Par jugement du 6 novembre 2014, le Tribunal néerlandophone du travail de Bruxelles le déboute de l’ensemble des chefs de demande, l’amenant à introduire un appel devant la cour du travail.

Décision de la cour

La cour examine en premier lieu les principes relatifs à la résolution judiciaire. Le fondement de ce mode de rupture se trouve à la fois dans l’article 32 de la loi sur les contrats de travail et dans l’article 1184 du Code civil. La cour reprend la condition de la résolution judiciaire, étant qu’une des parties au contrat de travail doit avoir commis une faute et que celle-ci doit présenter un certain caractère de gravité, qui cause un dommage aux intérêts du cocontractant.

Elle examine les motifs à la base de la demande du travailleur, étant, en premier lieu le non respect de la procédure de l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs, ainsi que le changement d’horaire (et autres éléments de fait). La cour considère que l’ensemble des éléments qui lui sont soumis ne sont pas de nature à constituer un manquement grave dans le chef de l’employeur devant déboucher sur la résolution judiciaire. Elle constate notamment que l’intéressé est en incapacité de travail et que la procédure dont il invoque le non-respect n’est pas applicable dans sa situation (articles 57, 39 et 72 de l’A.R.). La cour retient par ailleurs qu’il y a certes eu des pressions exercées sur le travailleur et notamment dans les échanges de correspondance entre avocats mais ces éléments ne sont pas davantage de nature à entraîner la rupture.

En ce qui concerne, cependant, la question du harcèlement, elle relève, avec le Ministère public, que celui-ci a eu lieu. Il découle de la volonté manifeste de la société de ne plus donner à l’intéressé un travail à la caisse, ce qui ressort des échanges intervenus. Son état de santé était bien connu de son employeur et, conformément à l’article 32undecies de la loi sur le bien-être, celui-ci établit des faits qui permettent de présumer l’existence de violence ou de harcèlement au travail, de sorte que la charge de la preuve qu’il n’y a pas eu de violence ou de harcèlement incombe à la société.

Pour le Ministère public, non seulement des faits de harcèlement sont pointés mais également une discrimination. L’article 4, 4° de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination reprend les critères protégés, dont l’état de santé ou le handicap. Si l’intéressé n’avait pas eu ce handicap, il n’aurait pas fait l’objet de traitements et de décisions discriminatoires de la part de son employeur.

La cour reprend encore la notion de handicap dans la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ainsi que la jurisprudence RING de la Cour de Justice (C.J.U.E., 11 avril 2013, C-355/11 et 337/11) et rappelle également que le dispositif de l’article 28, § 1er de la loi anti discrimination est comparable sur le plan de la charge de la preuve à celui de l’article 32undecies de la loi sur le bien-être de sorte que ce qui est valable pour celui-ci l’est également pour celle-là. Le harcèlement et la discrimination doivent dès lors être retenus.

L’intéressé réclame une indemnité de six mois pour violation des deux législations. Il renvoie ainsi à l’indemnisation forfaitaire de l’article 18, §2, 2°, de la loi anti discrimination.

La cour constate que cette demande est conforme à cette disposition, dans la mesure où elle porte sur un dommage matériel et moral consécutif à une discrimination dans le cadre des relations de travail. Sur la base de l’article 32decies, §1er de la loi sur le bien-être tel qu’applicable à l’époque, une indemnisation de six mois peut également être admise en équité, vu la discrimination elle-même, la relation de travail ainsi que le caractère sérieux des faits. Enfin, sur la nature de cette indemnité, la cour la considère comme n’étant pas rémunératoire sur le plan des cotisations. Elle réforme dès lors le jugement sur ce chef de demande.

Intérêt de la décision

Cet arrêt examine deux questions juridiques certes liées mais bien distinctes.

La première, qui porte sur une demande de résolution judiciaire du contrat de travail, n’aboutit pas. Il y a des manquements dans le chef de l’employeur mais ceux-ci ne sont pas considérés comme suffisamment graves pour autoriser la résolution judiciaire du contrat aux torts de celui-ci conformément à l’article 1184 du Code civil.

Par contre, dès lors que des éléments sont pointés, permettant de retenir des faits de harcèlement et/ou de discrimination, la cour réexamine les éléments invoqués par le travailleur à l’appui de sa demande en résolution judiciaire, et ce au prisme des critères de la loi sur le bien-être d’une part et de la loi anti discrimination de l’autre.

L’analyse juridique que fait la cour sur la question de la preuve et sur le dommage est intéressante, dans la mesure où le travailleur avait visé une demande de réparation forfaitaire de six mois dans le cadre des deux lois (« et/ou »). Cette indemnité forfaitaire est prévue dans la loi anti discrimination et le montant en cause paraît pour la cour également raisonnable si l’indemnité devait être considérée comme fondée sur des faits de harcèlement.

L’on constate en fin de compte que la cour ne tranche pas, admettant avec le demandeur, l’octroi de dommages et intérêts sur la base des deux législations combinées.


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