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Sanction du non-respect d’une clause de non concurrence : une décision nuancée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 novembre 2015, R.G. 2013/AB/865

Mis en ligne le lundi 11 juillet 2016


C. trav. Bruxelles, 17 novembre 2015, R.G. 2013/AB/865

Terra Laboris

Dans un arrêt du 17 novembre 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’en cas de différence de texte entre une clause contractuelle de non-concurrence et celui de la loi du 3 juillet 1978, c’est cette dernière qui doit être appliquée, dans la mesure où la clause est antérieure à la rupture du contrat de travail et qu’il s’agit d’une disposition impérative en faveur du travailleur.

Les faits

Un employé, au service d’une société de commercialisation de biens et services informatiques, est chargé de missions auprès d’un gros client de celle-ci depuis plusieurs années.

En 2009, un nouveau règlement de travail est instauré dans l’entreprise et ce règlement contient une « clause de non-concurrence » relative à l’interdiction de concurrencer l’employeur lors du départ de l’entreprise.

Celui-ci démissionne l’année suivante. Une indemnité de non-concurrence lui est payée lors de son départ.

A l’issue de son contrat, il est immédiatement réengagé par une autre société active dans le même secteur et pour laquelle il va effectuer une mission d’expert, au profit d’un des clients de celle-ci – qui sera le même que celui pour lequel il prestait précédemment chez son employeur précédent.

Ce n’est que deux mois plus tard environ que la société se rend compte de l’exercice de l’activité concurrente.

Elle introduit rapidement une procédure devant le tribunal du travail en remboursement de l’indemnité payée et en dommages et intérêts. Dans le cadre de celle-ci, le travailleur marque accord pour rembourser ce qu’il a perçu indûment, soit le net (montant de près de 12.000 €, sur un brut de plus de 25.500 €). Il conteste devoir des dommages et intérêts au motif que la société n’a subi aucun préjudice.

Dans le cadre de la procédure, en première instance, l’intéressé a pris des conclusions additionnelles et de synthèse, par lesquelles il écrit qu’il aurait pu faire valoir la nullité de la clause de non-concurrence, mais qu’il a décidé de ne pas invoquer celle-ci. Il admet devoir rembourser ce qu’il a perçu.

Le tribunal du travail tient compte de cette position et, par jugement du 30 juillet 2013, condamne l’intéressé à rembourser l’indemnité de non-concurrence, fixant cependant le montant de celle-ci au brut. Il sursoit à statuer sur les dommages et intérêts.

Le travailleur interjette appel.

Moyens de l’appelant

Parmi ses moyens d’appel, l’intéressé soutient que les conclusions prises en première instance (par son précédent conseil) ne l’engagent pas. Si celles-ci contiennent – comme le soutient la société – un aveu quant à la violation de la clause, ainsi qu’une renonciation à se prévoir de l’inexistence et de la nullité de celle-ci, l’avocat a excédé le mandat ad litem.

La décision de la cour

La cour rappelle d’abord que les conclusions déposées par un avocat pour son client engagent celui-ci, dans la mesure où il est son mandataire (article 1998, alinéa 1er du Code civil). Les articles 848 et suivants du Code judiciaire prévoient cependant l’hypothèse où un avocat a posé un acte de procédure sans mandat ou au-delà de celui-ci, hypothèse dans laquelle existe l’action en désaveu.

Dans la mesure où une telle action n’est pas intentée, l’on ne peut conclure que l’avocat a agi sans ou hors mandat. La cour précise qu’en vertu de l’article 440 du Code judiciaire, il en va de même si l’acte de procédure remis en cause n’est pas couvert par le mandat ad litem de l’avocat. La solution est donc identique pour les actes posés et ne relevant pas de ce mandat ad litem, ou pour ceux requérant un mandat exprès (aveu et renonciation). En l’absence d’une telle action, les conclusions restent valables.

Il faut dès lors conclure que l’intéressé a définitivement renoncé à mettre en cause la validité de la clause de non-concurrence. La renonciation a pour effet l’extinction du droit auquel il est renoncé et a un caractère irrévocable.

La cour poursuit qu’il y a eu violation de la clause, et ce eu égard à l’offre de remboursement que l’employé avait faite. Elle constate encore que la similarité des activités et des fonctions est établie, l’intéressé ayant pu utiliser auprès de son nouvel employeur les connaissances acquises chez le précédent.

En ce qui concerne le montant à rembourser, la cour le limite cependant au net. Reprenant le texte de la clause elle-même, elle relève en effet qu’est prévue l’obligation de « (…) rembourser à l’employeur la somme que ce dernier lui aura payée ». Ce texte est légèrement différent du texte légal, qui prévoit l’obligation de « (…) rembourser à l’employeur la somme que ce dernier aura payée ». Il y a, dans la clause, une divergence par rapport au texte légal, et ce en faveur du travailleur. Le texte étant clair, il n’y a pas lieu à interprétation.

Plus délicate est la question de l’indemnisation à allouer à la société pour violation de la clause. La loi prévoit, en effet, en son article 65, § 2, alinéa 10, qu’en cas de violation, outre l’obligation de rembourser à l’employeur la somme que ce dernier aura payée, le travailleur doit lui payer une somme équivalente. Cependant, à la demande de l’ouvrier (l’article 65 visant l’ouvrier et les dispositions relatives à l’employé renvoyant à cette disposition), le juge peut réduire le montant de l’indemnité fixée conventionnellement en tenant compte du dommage réel et de la durée pendant laquelle la clause a été respectée. A la demande de l’employeur, il peut également accorder une réparation supérieure, à charge pour ce dernier de justifier l’existence et l’étendue de son préjudice.

En l’espèce, la clause est plus brève et prévoit uniquement que l’indemnité à payer à l’employeur est équivalente à six mois de salaire brut. Il faut cependant renvoyer au texte de la loi (disposition impérative) et non à celui de la clause, qui est en effet antérieure à la rupture du contrat de travail et ne pouvait déroger à une telle disposition. Le juge peut dès lors tenir compte du dommage réellement causé et de la durée réelle de la période pendant laquelle elle a été respectée. En l’espèce, en outre, la clause est plus restrictive eu égard à la portée de l’interdiction, dans la mesure où elle vise uniquement les « clients » de l’entreprise. La cour conclut des éléments de fait que la période litigieuse est de deux mois et demi et que le dommage réside dans une perte de facturation. La cour limite dès lors celui-ci à un montant de l’ordre de 7.000 €.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles statue dans une hypothèse où une clause de non-concurrence contractuelle (ou, en tout cas, opposable au travailleur, puisqu’il n’en a pas soulevé la nullité alors qu’il le pouvait) est distincte en son texte des conditions légales. Le raisonnement de la cour du travail est que, si le texte est préférable pour le travailleur à la clause contractuelle, il faut appliquer la loi, dans la mesure où la clause est antérieure à la rupture du contrat de travail et où le travailleur est protégé par les dispositions impératives de la loi.

L’on pourra utilement rappeler sur la même question un autre arrêt de la Cour du travail de Bruxelles précédemment commenté (C. trav. Bruxelles, 22 septembre 2015, R.G. 2013/AB/888), qui a repris les règles relatives au mécanisme de la clause de non-concurrence, renvoyant, pour ce qui est de l’action de l’employeur en paiement de l’indemnité forfaitaire, à la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur la prescription de l’action en justice et, particulièrement, sur les effets interruptifs de l’acte introductif.


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