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Un sans-abri, bénéficiaire d’allocations de chômage et hébergé pendant un certain temps chez des connaissances, perd-il la qualité d’isolé ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 février 2016, R.G. 2014/AB/769

Mis en ligne le jeudi 30 juin 2016


Cour du travail de Bruxelles, 25 février 2016, R.G. 2014/AB/769

Terra Laboris

Dans un arrêt du 25 février 2016, la Cour du travail de Bruxelles reprend les principes relatifs à la définition de la catégorie de chômeurs, rappelant expressément les conditions requises pour qu’une cohabitation soit retenue, dont l’exigence d’une situation qui présente une certaine régularité et une certaine durée, ce qui n’est pas le cas d’un hébergement provisoire.

Les faits

Lors de sa demande d’allocations, un assuré social déclare sur le formulaire C1 qu’il est isolé. Il bénéficie ainsi des allocations à ce taux. Ultérieurement, suite à la consultation du registre national, l’ONEm constate qu’il y a également présence à son adresse d’une personne, qu’il considère être la fille de l’intéressé. Celle-ci bénéficie également d’allocations. Une audition est organisée et, au cours de celle-ci, il apparaît que l’adresse de l’intéressé est une adresse de référence, attribuée par le C.P.A.S. C’est également le cas de l’autre personne.

Selon ses déclarations, l’intéressé est hébergé chez différentes personnes, et ce dans l’attente d’un logement.

L’ONEm prend une décision, par laquelle il considère que le taux à appliquer est le taux cohabitant. Il y a également récupération des allocations perçues indûment.

Suite au recours introduit par l’intéressé devant le Tribunal du travail de Wavre, un jugement est rendu, confirmant la position de l’ONEm. Le tribunal constate qu’il y a effectivement des périodes d’hébergement plus ou moins longues chez diverses connaissances et il conclut que l’intéressé a retiré un avantage de cette cohabitation. Le taux de chômeur isolé ne peut dès lors lui être accordé.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

L’appelant considère qu’il n’a jamais pu cohabiter, au sens de l’article 59 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991. L’hébergement a été précaire et n’a jamais donné lieu à un lien permettant le règlement principalement en commun des questions ménagères. Or, la cohabitation requiert un séjour d’une certaine durée, ce qui n’est pas le cas.

Quant à l’ONEm, il considère que l’intéressé doit prouver l’absence de cohabitation et que celle-ci ne ressort pas des éléments déposés.

La décision de la cour

La cour se livre en premier lieu à un rappel important des principes quant aux catégories de chômeurs. Le travailleur isolé est celui qui habite seul (sauf celui qui, tout en habitant seul, est considéré par la réglementation comme ayant charge de famille). Quant au cohabitant, c’est celui qui n’est repris dans aucune des deux catégories précédentes.

La cour du travail examine les règles de preuve, dans une situation où la catégorie du travailleur est contestée. Il faut déduire du texte de l’article 110, § 4, de l’arrêté royal – qui impose au travailleur qui a charge de famille, de même qu’au travailleur isolé, de rapporter la preuve de la composition de ménage – qu’il appartient à ces deux catégories d’établir la qualité qu’elles réclament. La cour renvoie à plusieurs décisions de la Cour de cassation, dont l’arrêt du 14 mars 2005 (Cass., 14 mars 2005, n° S.04.0156.F). La cour du travail dit se rallier à cette interprétation de la réglementation. Cependant, le chômeur doit, s’il est cohabitant, rapporter la preuve d’un fait négatif et, pour celle-ci, il ne faut pas avoir la même rigueur que pour la preuve du fait positif.

La cour examine ensuite la notion de cohabitation en la matière, soulignant d’ailleurs que c’est la même en matière de revenu d’intégration sociale. Deux critères cumulatifs sont exigés, le premier étant la vie sous le même toit. Celui-ci n’est cependant pas suffisant, puisqu’il faut en outre que soient principalement réglées en commun les questions ménagères. Pour la cour du travail, il faut interpréter cette seconde condition comme une situation qui présente une certaine régularité ou une certaine durée. Un logement et de la nourriture assurés de temps en temps ne constituent pas une cohabitation au sens de la réglementation.

Par ailleurs, l’intéressé bénéficie d’une adresse de référence auprès du C.P.A.S. et celle-ci est, selon les termes de la loi du 9 juillet 1991 relative aux registres de la population et aux cartes d’identité, réservée aux personnes qui n’ont plus de résidence. L’adresse de référence doit être précédée d’une enquête sociale, qui révèle cette situation, enquête menée par le C.P.A.S. Une telle adresse de référence est dès lors, pour la cour, un élément important de la preuve de l’absence de cohabitation. La preuve de la catégorie d’isolé est donc apportée à suffisance de droit.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, qui rappelle très clairement les principes applicables, présente l’intérêt spécifique de statuer sur la notion de cohabitation dès lors que le logement (impliquant le partage de lieux de vie) est accordé de manière précaire à un chômeur ayant la catégorie d’isolé. Le bénéfice de cette catégorie lui est maintenu dès lors que, comme le rappelle la cour, il n’est pas établi qu’il y a une certaine régularité dans la situation, ou même une certaine durée. La cour précise explicitement que le seul fait pour un sans-abri de recevoir de temps en temps un logement et de la nourriture ne suffit pas pour être une cohabitation au sens de la réglementation chômage.

Enfin, elle dégage le principe selon lequel, dès qu’une adresse de référence a été accordée, étant que les conditions légales requises pour son octroi sont remplies, ceci signifie dès lors que la personne n’a pas – ou plus – de résidence.

Sur la question, l’on peut renvoyer par ailleurs à un autre arrêt de la même cour (C. trav. Bruxelles, 2 avril 2015, R.G. 2014/AB/784 – précédemment commenté), où il a été jugé que c’est la notion de « questions ménagères » qui est au cœur du débat. La doctrine s’y est attachée et la question essentielle posée est de savoir si la seule économie sur le plan financier suffit ou si est exigée, au-delà de celle-ci, une mise en commun (totale ou partielle) d’un patrimoine, ainsi que l’expression d’une certaine solidarité. La cour y posait déjà également la question de l’exigence de la durée.


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