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Travailleurs intermittents en deuxième période de chômage et droit à la non-dégressivité

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 avril 2016, R.G. 2014/AB/942

Mis en ligne le jeudi 30 juin 2016


Cour du travail de Bruxelles, 7 avril 2016, R.G. 2014/AB/942

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 avril 2016, la Cour du travail de Bruxelles considère que sont disproportionnés les effets des articles 114, § 1er, alinéas 5 et 6, et 116 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 appliqués aux travailleurs intermittents (engagés dans le cadre de contrats de très courte durée), la mesure ne permettant pas concrètement de retrouver l’allocation antérieure - possibilité essentiellement théorique.

Les faits

Un enseignant (à titre temporaire), occupé depuis 2004 à temps partiel, exerce une autre activité, en tant qu’artiste musicien amateur, et ce dans le cadre du système des « petites indemnités ». Il arrête son activité d’enseignant le 30 juin 2011. Il preste, ensuite, uniquement comme artiste dans le cadre de contrats de très courte durée.

L’activité est déclarée à l’ONEm (C1 artiste) en septembre 2011. L’O.P. demande peu après le statut d’artiste pour l’intéressé. Intervient ensuite un litige sur la dégressivité de l’allocation de chômage. L’ONEm refuse la règle de non-dégressivité, au motif que l’intéressé aurait travaillé toute l’année comme enseignant. La décision administrative qui sera prise est ainsi motivée, quant au refus du bénéfice de l’article 116, § 5, de l’arrêté royal, par le maintien d’une activité d’enseignant à raison de 12 heures par semaine, qui constitue sa profession principale. Les activités artistiques seront prises en considération en application des règles ordinaires (article 104, § 3, de l’arrêté royal).

Un recours est introduit contre cette décision devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Celui-ci fait droit à la demande. Le tribunal condamne en outre l’ONEm à délivrer un décompte des arriérés d’allocations, avec astreinte.

L’ONEm interjette appel.

La décision de la cour

La cour reprend l’évolution de la réglementation, rappelant que la période en cause se situe ici entre le mois d’août 2012 et le même mois en 2014 et que l’intéressé se trouvait en seconde période d’indemnisation. La cour rappelle les modifications intervenues dans le cadre de la dégressivité renforcée, la disposition en cause (article 116, § 5) prévoyant une règle spécifique de non-dégressivité pour les travailleurs occupés exclusivement dans le cadre de contrats de très courte durée.

Le point de droit à examiner est la seconde période d’indemnisation, dans la mesure où, pour la première année, l’intéressé ne pouvait bénéficier de la disposition, n’ayant pas, l’année précédente (période de référence), été occupé exclusivement dans de tels contrats.

Ceci est cependant le cas pour la période de référence à prendre en compte pour la période à partir d’août 2012. La cour retient que l’ONEm a été dûment informé de l’exercice de l’activité artistique et apporte une précision importante sur l’article 116, § 5, étant qu’il n’exige pas, comme condition de son application, une occupation exclusive dans des contrats de très courte durée dès le début de l’admissibilité. La cour précise ainsi appliquer strictement les conditions de la réglementation et que l’on ne peut ajouter à celles-ci des conditions qui n’y figurent pas. Après l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 23 juillet 2012, soit le 1er novembre 2012, la non-dégressivité de l’allocation a été limitée en première période d’indemnisation uniquement.

L’assuré social considérant qu’il y a une discrimination entre les travailleurs selon qu’ils se trouvent dans une première ou une seconde période d’indemnisation, la cour examine cette question en premier lieu.

Elle ne suit pas le point de vue de l’ONEm, selon lequel il n’y a pas de discrimination entre les deux catégories de travailleurs. Pour la cour, les travailleurs de ces deux catégories, dans une situation de travail intermittent dans un secteur où les contrats de très courte durée sont d’usage, sont confrontés à la même difficulté de réunir les conditions prévues, soit pour maintenir le niveau de l’allocation, soit pour revenir à un taux supérieur. Pour ces travailleurs, la situation est identique face aux règles normales de dégressivité, quelles que soient la durée du chômage et la période d’indemnisation dans laquelle ils se trouvent.

La question se pose de savoir si la limitation de la non-dégressivité à la première période, instaurée par l’arrêté royal du 23 juillet 2012, est un critère raisonnable au regard du but et des effets de la mesure. S’agissant d’un arrêté royal – sans travaux préparatoires donc –, celui-ci ne contient pas de motivation formelle. Si, par son titre, il vise à renforcer la dégressivité des allocations, la cour souligne que le seul énoncé du titre d’un arrêté royal ne suffit pas pour légitimer une différence de traitement. Il donne cependant une indication sur le cadre dans lequel l’examen de la discrimination doit intervenir.

Pour la cour, qui reprend la position de l’intimé, il est impossible pour le travailleur intermittent qui entre dans la deuxième période d’indemnisation de réunir les conditions pour bénéficier des allocations. En effet, en raison du caractère intermittent et de très courte durée de l’occupation professionnelle, il peut difficilement comptabiliser un passé professionnel en termes d’années au sens de l’article 114, § 1er, alinéas 5 et 6, de l’arrêté royal. Il entre très vite, à l’issue des deux mois de la première phase de la deuxième période, dans la troisième période, et l’allocation passe au forfait. Il n’a en outre généralement pas la possibilité de retourner en deuxième ou en première période, vu la condition d’occupation de douze mois pendant une période de référence de dix-huit mois. Il y a dès lors, pour le travailleur en deuxième période d’indemnisation, une impossibilité raisonnable d’éviter la dégressivité rapide ou de retrouver un montant d’allocations plus élevé, sauf – comme la cour le souligne – s’il change d’activité professionnelle.

Les effets de la mesure sont dès lors disproportionnés. Le contexte d’assainissement budgétaire ne suffit pas pour écarter la discrimination. La cour conclut dès lors que le critère de distinction n’est pas raisonnablement justifié par rapport au but et aux effets de la mesure.

Elle examine ensuite la portée du texte avant l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 23 juillet 2012, c’est-à-dire jusqu’au 31 octobre 2012. A cette époque, la non-dégressivité n’était pas limitée au travailleur en première période d’allocations. En conséquence, le fait que l’intéressé ait été en seconde période d’indemnisation ne lui fait pas perdre le bénéfice de la non-dégressivité, que ce soit avant ou après l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 23 juillet 2012.

La cour relève encore qu’est intervenue une dernière modification, par arrêté royal du 7 février 2014. Celui-ci est entré en vigueur le 1er avril 2014. Il n’est pas contesté que, depuis celle-ci, la durée de l’avantage acquis avant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation le reste après celle-ci. L’intéressé peut donc bénéficier de la non-dégressivité pour toute la période, soit jusqu’au mois d’août 2014.

Le jugement est ainsi confirmé quant à la solution de droit. Il l’est également quant à l’astreinte.

Intérêt de la décision

Cet arrêt reprend les règles en la matière, telles que fixées et revues à plusieurs reprises. Le point de droit important tranché par la Cour du travail de Bruxelles est le caractère disproportionné de la mesure qui refuse le bénéfice de la non-dégressivité à partir de la deuxième période d’indemnisation. La cour a examiné la situation des travailleurs pendant celle-ci, eu égard à ceux qui sont en première période et constate qu’ils sont dans une situation analogue, au regard du risque d’une réduction de leurs allocations. La durée du chômage et la période d’indemnisation dans laquelle ils se trouvent sont sans incidence.

L’arrêt a par ailleurs rappelé, avec la doctrine (S. CAPIAU et C. LEMAIRE, « Les artistes et l’assurance chômage – Etat des lieux depuis la réforme du 23 novembre 2000 », in La réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, E.P.S., Kluwer, 2011) l’économie générale des dispositions en cause.

Il a également souligné que, en raison du caractère intermittent et de très courte durée de son occupation professionnelle, le travailleur intermittent peut difficilement comptabiliser un passé professionnel en termes d’années au sens de l’article 114, § 1er, alinéas 5 et 6, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et qu’il va entrer, ainsi, très rapidement, à l’issue des deux mois de la première phase de la deuxième période, dans la troisième période et passer au forfait. Les possibilités de retour à l’allocation antérieure sont très théoriques.


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