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Reprise du travail non autorisée en AMI : gare aux sanctions !

Commentaire de C. trav. Mons, 10 décembre 2015, R.G. 2014/AM/67 et 2014/AM/83

Mis en ligne le vendredi 10 juin 2016


Cour du travail de Mons, 10 décembre 2015, R.G. 2014/AM/67 et 2014/AM/83

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 décembre 2015, la Cour du travail de Mons reprend les divers corps de règles relatifs à la reprise de travail en cas de perception d’indemnités AMI, ainsi que l’étendue de la récupération et les sanctions d’exclusion applicables en cas de non-respect de la réglementation, qui exige, pour l’octroi des indemnités, qu’il y ait cessation de toute activité.

Les faits

En incapacité de travail depuis une quinzaine d’années, un assuré social fait l’objet d’un contrôle à un poste-frontière, dans le cadre du contrôle du véhicule dont il est passager. Le véhicule est chargé de muguet, que le chauffeur et lui-même déclarent avoir acheté dans la région de Nantes.

L’I.N.A.M.I. ouvre en conséquence un dossier, dont il ressort que l’intéressé aurait exercé une activité de commerçant de fleurs pendant une période de 10 ans, et ce sans avoir sollicité l’autorisation du médecin-conseil ni informé sa mutuelle de la reprise d’activité. Il y a dès lors suspension des indemnités et notification d’interruption de la prescription.

Intervient ensuite un contrôle médical de l’I.N.A.M.I., dont il ressort que l’incapacité de travail reste réduite à 50%.

L’indu réclamé par l’organisme assureur est de près de 40.000 €, correspondant aux indemnités indûment perçues, et ce dans les limites de la prescription. Cet indu ne vise pas des indemnités correspondant à des périodes d’hospitalisation, qui ne sont pas réclamées.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail.

L’organisme assureur fait alors procéder à un contrôle, à l’issue duquel son propre médecin-conseil conclut à l’absence de réduction de capacité de 50%. L’intéressé fera l’objet d’autres décisions de son organisme assureur, concernant le montant définitif de l’indu. Il introduit un recours contre chacune d’entre elles. Celles-ci seront jointes par le tribunal du travail, qui statuera, le 3 février 2014, concluant au non-fondement des recours et confirmant les décisions administratives. L’intéressé et l’organisme assureur interjettent appel du jugement.

Position des parties en appel

L’objet de l’appel de l’organisme assureur porte sur un des recours, dont le tribunal a considéré qu’il était devenu sans objet. Quant à l’intéressé, il conteste, à titre principal, qu’il y ait eu une reprise d’activité non autorisée. A titre subsidiaire, il sollicite que l’exclusion soit limitée à 37 indemnités journalières. Il demande également, plus subsidiairement encore, la désignation d’un expert, avec la mission de déterminer si, durant la période litigieuse, sa capacité était restée réduite à 50%.

La décision de la cour

La cour statue, en premier lieu, sur la question de savoir s’il y a eu exercice d’une activité non autorisée.

L’article 100, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 exige la cessation de toute activité : professionnelle, principale ou accessoire, ou activité non professionnelle, en ce compris si le titulaire ne perçoit pas de rémunération ou de revenus en espèces, mais fait l’économie de dépenses, augmentant ainsi indirectement son patrimoine.

Ce sont les critères dégagés par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts (dont Cass., 18 mai 1992, n° 7823). La reprise du travail, salarié ou non, implique l’interruption de l’incapacité indemnisable (la cour renvoyant ici à un arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 1992, n° 7952), dès lors que le travail en cause correspond à la notion d’activité ci-dessus. L’activité visée vise toute occupation orientée vers la production de biens ou de services permettant directement ou non de retirer un profit économique de celle-ci, pour soi-même ou pour autrui. La cour souligne qu’il importe peu que l’activité soit occasionnelle, voire même exceptionnelle, renvoyant à sa propre jurisprudence (dont C. trav. Mons, 23 octobre 2015, R.G. 2014/AM/185).

Sur le plan de la preuve, l’organisme assureur qui veut récupérer l’indu doit prouver l’activité non autorisée et si l’I.N.A.M.I. veut prendre des sanctions administratives il doit établir celle-ci également.

Il y a dès lors lieu d’appliquer ces principes au cas d’espèce, étant entendu que les éléments utiles figurent dans l’enquête des services de contrôle de l’I.N.A.M.I. et qu’ils sont repris dans un procès-verbal de constat.

Se pose cependant la question de la force probante du constat, que l’intéressé conteste.

La cour est ainsi amenée à refaire un autre exposé des principes, sur cette question. L’article 169 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 disposait, à l’époque, que les procès-verbaux dressés par les inspecteurs et contrôleurs sociaux, dans le cadre de leur mission de contrôle, font foi jusqu’à preuve du contraire. La loi du 16 novembre 1972 (article 9, alinéa 2) prévoit que tel est également le cas pour autant qu’une copie des procès-verbaux soit communiquée au contrevenant et, éventuellement, à l’employeur, dans un délai de 14 jours, prenant cours le lendemain de la constatation de l’infraction.

En outre, la force probante particulière ne porte que sur les constatations matérielles effectuées. L’on doit donc retenir, à propos du procès-verbal litigieux, qu’il bénéficie d’une force probante particulière, mais pour ce qui, dans les limites des attributions de l’inspecteur social, a été matériellement et personnellement constaté par lui et mentionné. Toute autre constatation ne vaut qu’au titre de simple renseignement. La cour revient encore sur la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 28 avril 1997, n° S.96.0192.N), pour rappeler que les renseignements recueillis par l’inspecteur social, s’ils n’ont pas la force probante particulière ci-dessus, sont néanmoins revêtus de celle d’une présomption de l’homme. Il appartient dès lors au juge de mesurer la portée des éléments soumis à son appréciation et d’en tirer les déductions qui s’imposent.

La cour va estimer, eu égard aux éléments soumis à son examen, qu’il y a en l’espèce des présomptions graves, précises et concordantes permettant de conclure à l’exercice d’une activité non autorisée. Elle retient notamment que l’intéressé a partagé la conduite du véhicule et que, sa femme travaillant dans le commerce de fleurs, l’autre conducteur a confirmé qu’il travaillait depuis longtemps avec elle. En outre, des témoins – relations commerciales – ont été entendus et confirment également que l’intéressé était considéré comme le « patron » de l’affaire.

La cour ne peut donc que conclure à la reprise d’une activité professionnelle non autorisée.

Reste à examiner la question de la sanction administrative ainsi que celle de la récupération. La sanction est fondée sur l’article 168quiquies, § 3, 3°, de la loi coordonnée, qui prévoyait (à l’époque) la possibilité d’une exclusion des indemnités pendant 103 jours au moins et 144 jours au plus en cas d’infraction pendant une période allant elle-même de 141 jours à 185 jours. En l’espèce, l’I.N.A.M.I. a retenu 168 jours en ce qui concerne la période infractionnelle, et la cour déclare ne pas comprendre la conclusion de celui-ci, qui aboutit à une exclusion à concurrence de 119 jours. Une réouverture des débats est ordonnée, la cour demandant également que, dans le cadre de celle-ci, la question du défaut de motivation adéquate de la sanction d’exclusion soit examinée.

Pour ce qui est de la récupération, se pose une question de fondement, eu égard aux diverses décisions prises, certaines annulant d’autres. La cour retient que, eu égard au texte de l’article 164 de la loi, toutes les récupérations de paiement indu découlant de cette disposition peuvent être introduites selon la procédure prévue à l’article 704, § 2, du Code judiciaire et qu’une demande de récupération n’est dès lors pas soumise à un préalable administratif. Il suffit, pour l’organisme assureur, d’établir qu’il y a eu fraude ou erreur et que le délai de prescription a été valablement interrompu.

Pour ce qui est de la prescription, le débat porte sur l’existence de manœuvres frauduleuses, étant entendu qu’il y a eu interruption par l’envoi d’une lettre recommandée le 7 septembre 2010. La cour procède ici encore à un rappel des principes de la notion de manœuvres frauduleuses, étant qu’il doit s’agir de tout agissement malhonnête réalisé malicieusement en vue de tromper un organisme assureur pour son propre profit, pouvant aussi bien consister en des actes positifs qu’en des abstentions ou attitudes passives. En l’espèce, la fraude est établie, le délai de prescription est de 5 ans et l’organisme assureur est en droit de réclamer les indemnités indûment perçues, de l’ordre de 38.000 €.

Se pose enfin un dernier point, étant que l’intéressé demande la limitation aux journées travaillées, en application de l’article 101, alinéa 1er, de la loi. En vertu de celui-ci, s’il y a eu travail effectué sans autorisation préalable, alors que la capacité de travail était restée réduite d’au moins 50%, les indemnités perçues doivent être remboursées pour les jours ou les périodes pendant lesquel(le)s il y a eu travail.

Le principe est dès lors que, s’il y a reprise d’activité non autorisée, il y a fin de l’incapacité de travail. Une exception à ce principe est la reprise par un travailleur qui a conservé une incapacité de 50%, situation dans laquelle il y a récupération uniquement pour les jours pendant lesquels l’activité a été exercée. Les journées faisant l’objet de la récupération restent assimilées à des journées d’incapacité. L’assuré social doit dès lors, s’il veut échapper à la règle de principe selon laquelle la récupération de l’intégralité des indemnités doit se faire depuis la reprise du travail, prouver les jours et/ou périodes au cours desquel(le)s il n’aurait pas travaillé. Aucun élément n’est cependant produit aux débats, et la cour rejette la demande de limitation de l’indu sur la base de l’article 101 de la loi.

Intérêt de la décision

Tout en n’ayant pas vidé sa saisine, puisque de nouveaux débats sont prévus sur la sanction d’exclusion, ainsi que sur l’incidence d’un éventuel défaut de motivation adéquate de celle-ci, la cour a tranché l’essentiel des points en discussion.

Elle a fait un rappel très complet des principes applicables, sur plusieurs questions récurrentes dans la matière. Celles-ci portent à la fois sur la notion de cessation d’activité au sens de l’article 100, § 1er, de la loi coordonnée, la force probante des procès-verbaux de constat des inspecteurs et contrôleurs sociaux, les règles en matière d’exclusion (article 168quiquies de la loi), la notion de manœuvres frauduleuses et, enfin, les conditions de la limitation de la récupération aux journées effectivement prestées dès lors que la capacité de travail est restée réduite d’au moins 50%.

L’on notera encore que l’article 168quinquies est actuellement modifié. Si la durée de l’exclusion est toujours fonction de la durée de l’infraction, les paramètres ont été changés, la loi prévoyant actuellement, dans un cas d’espèce comme celui examiné dans l’arrêt, l’exclusion du bénéfice des indemnités durant une période variant entre 150 et 400 jours dès lors que l’infraction a été commise pendant au moins 101 jours.


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