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Accident du travail : la loi prévoit-elle un délai pour saisir le tribunal du travail en cas d’accord-indemnité refusé par le Fonds des Accidents du travail ?

Commentaire de Cass., 14 décembre 2015, n° S.13.0067.F

Mis en ligne le vendredi 10 juin 2016


Cour de cassation, 14 décembre 2015, n° S.13.0067.F

Terra Laboris

Par arrêt du 14 décembre 2015, la Cour de cassation rappelle d’une part que pour le règlement des séquelles d’un accident du travail les parties peuvent conclure un accord distinct sur les appareils de prothèses, sans être liées par les conditions prévues pour la révision des indemnités, telles que fixées à l’article 72, alinéa 1er, de la loi et de l’autre qu’aucun délai n’est fixé à l’article 65 de la loi pour introduire une action en justice en cas de refus d’entérinement.

Rétroactes

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt par la Cour du travail de Mons rendu le 26 juin 2012. L’accident du travail en cause date du 20 juin 1985.

Il y avait eu un accord entre les parties sur la fixation des séquelles, mais le Fonds des Accidents du Travail avait refusé l’entérinement de celui-ci. Une procédure judiciaire avait dès lors été introduite, aboutissant à un jugement du 30 juin 1992. Le tribunal n’avait cependant pas vidé sa saisine, ayant réservé à statuer sur l’allocation complémentaire pour l’aide de tiers ainsi que sur la constitution du capital pour les prothèses qu’il avait admises (une prothèse relative à l’adaptation du véhicule n’étant pas reprise dans cette décision).

Un deuxième jugement intervint alors le 18 juin 1993, sur l’aide de tiers.

Ultérieurement, un accord-indemnité fut signé par l’entreprise d’assurances et la victime, le 25 avril 1999, concernant la question de l’adaptation du véhicule. L’accord fut soumis au F.A.T., qui le refusa.

La victime introduisit dès lors une procédure devant le tribunal du travail sur la question de l’adaptation du véhicule. Elle forma, par voie de conclusions, une demande incidente, relative au calcul du capital nécessaire au renouvellement de tous les appareils de prothèse et d’orthopédie (en ce compris le véhicule).

L’arrêt critiqué

La cour du travail devait dès lors statuer à la fois sur la recevabilité et sur le fondement de cette action relative au renouvellement (et à l’entretien) des prothèses admises par l’assureur mais n’ayant pas fait l’objet d’un règlement administratif, certaines d’entre elles ayant fait l’objet d’une décision judiciaire et la question du véhicule ayant été visée dans un projet d’accord-indemnité dont l’entérinement avait été refusé.

En ce qui concerne le cadre légal, la cour rappelle l’arrêté royal n° 530 du 31 mars 1987, qui a modifié le système en vigueur :

  • pour les accidents survenus à partir du 1er janvier 1988, le coût des prothèses est à charge de l’entreprise d’assurances, à l’instar de ce qui avait été fixé pour les soins médicaux,
  • pour les accidents antérieurs à cette date, le coût des appareils de prothèse n’est à charge de l’assureur que jusqu’à la date de l’homologation ou de l’entérinement de l’accord (ou de la décision judiciaire visée à l’article 24 de la loi). Le coût probable du renouvellement et de l’entretien des appareils doit faire l’objet d’une indemnité supplémentaire versée au F.A.T. dans le mois suivant celui-ci.

La cour du travail constate en l’espèce que l’assureur a pris la prothèse « adaptation du véhicule » en charge et qu’il a également marqué accord pour constituer le capital relatif au renouvellement ou à l’entretien de celle-ci. Cette prise en charge est conforme à la loi, étant antérieure à l’homologation ou à l’entérinement de l’accord. Pour la cour, rien ne permet d’exclure que le terme « accord-indemnité » visé à l’article 28bis de la loi ne se réfère qu’à l’accord relatif au règlement de l’accident. Un accord spécifique relatif aux prothèses pouvait être introduit postérieurement en vue d’entérinement.

Le point litigieux est relatif à la prise en charge des frais de renouvellement et d’entretien de l’appareil de prothèse dont l’octroi a en lui-même été admis. Il s’agit non de reconnaître à la victime le droit à une nouvelle prothèse, mais de renouveler une prothèse déjà accordée. La cour souligne que, lorsque le projet d’accord-indemnité signé par les parties lui a été transmis pour entérinement, soit le 30 mars 1999, le F.A.T. avait en principe un délai de trois mois pour prendre position. Or, il ne le fit que plus de trois ans et demi plus tard. Elle relève encore que le F.A.T. doit communiquer à la victime son point de vue motivé en cas de refus, ce qui n’a pas été fait.

En cas de refus d’entérinement, la cour rappelle qu’en vertu de l’article 65 de la loi du 10 avril 1971 la partie la plus diligente est tenue de porter le litige devant le tribunal du travail. Aucun délai n’est fixé, de telle sorte que le premier juge a admis la demande sur le plan de la recevabilité, ce qu’elle confirme.

Sur le fond, la circonstance de l’absence d’entérinement n’exonère pas, pour la cour, l’assureur de l’obligation de constituer un capital en vue du renouvellement et de l’entretien des appareils de prothèse reconnus nécessaires, dès lors que le coût a été pris en charge en application de l’article 28bis de la loi.

Le pourvoi

Le pourvoi soutient que, dès lors que les séquelles de l’accident ont été réglées, dont les prothèses, ce règlement ne peut être modifié que par la voie de la révision, conformément à l’article 72 de la loi, ainsi lorsque de nouvelles prothèses sont nécessaires. A défaut d’entérinement par le F.A.T., c’est le tribunal du travail qui doit fixer, en vertu de l’article 65 de la loi, tous les éléments de l’indemnisation de la victime, en ce compris les prothèses nécessitées par l’état de santé de la victime. Il y a dès lors lieu de fixer la date à laquelle les droits de la victime ont été déterminés définitivement, ce qui fait courir le délai de révision. Dès lors que le règlement initial de l’accident est fixé par une décision judiciaire comprenant tous les éléments nécessaires à l’indemnisation et que celle-ci est passée en force de chose jugée, toute action judiciaire ultérieure doit nécessairement être comprise comme une action en révision au sens de l’article 72 de la loi. Celle-ci est soumise à un délai préfix de trois ans.

Le moyen poursuit que, si, en vertu de l’article 65 de la loi, aucun délai n’est fixé pour l’introduction de l’action judiciaire, cette disposition ne déroge pas aux règles générales de la loi concernant l’introduction de toute action. En d’autres termes, cet article ne déroge pas au délai de l’article 72. La loi étant d’ordre public, un paiement volontaire fait par l’assureur-loi, en l’occurrence d’une prothèse dont la nécessité n’a pas été reconnue dans le cadre de la procédure judiciaire, est sans conséquence sur le délai de révision. Il s’agit d’un paiement volontaire qui ne prive pas l’assureur du droit de contester, conformément à l’article 65 de la loi, l’obligation de constituer le capital en vue du renouvellement et de l’entretien de la prothèse qui n’a pas été reconnue comme nécessaire dans le cadre du règlement initial. La cour ne pouvait donc déclarer l’action recevable, dans la mesure où elle a été introduite en-dehors du délai de révision, délai préfix.

La décision de la Cour de cassation

La Cour rappelle les dispositions de la loi sur les accidents du travail en cause en l’espèce : l’article 28, l’article 28bis, l’article 58bis, § 1er, 1°, l’article 65 et, enfin, l’article 72 (qui renvoie lui-même à l’article 24).

Pour la cour, il résulte de l’ensemble de ces dispositions qu’elles n’interdisent pas, même lorsque la perte de capacité de travail de la victime ne subit pas de modification, la conclusion entre l’assureur et la victime d’un accord distinct sur les appareils de prothèse et d’orthopédie nécessités par l’accident, l’entérinement de cet accord par le F.A.T. ou son appréciation par le tribunal du travail.

Ne l’empêche pas davantage l’autorité de la chose jugée qui s’attache au jugement ayant statué sur la date de consolidation et l’allocation annuelle. Les parties peuvent dès lors conclure un accord distinct sur ces appareils, sans être liées par les conditions prévues pour la révision des indemnités, telles que fixées à l’article 72, alinéa 1er, de la loi.

Le pourvoi est dès lors rejeté.

Intérêt de la décision

Les rétroactes procéduraux sont certes complexes, puisque plusieurs procédures ont été introduites et que, parallèlement, les parties se sont également retrouvées dans le règlement administratif des séquelles (sans aboutir) – et ce même à deux reprises.

L’intérêt de la décision est évident, puisque la question tourne autour des effets de l’article 65 de la loi sur les accidents du travail, qui dispose que les parties sont tenues de soumettre, pour entérinement, au Fonds des accidents du travail les accords concernant les indemnités dues en raison de l’accident du travail, suivant les modalités et dans les conditions fixées par le Roi.

L’accord ne sortit ses effets qu’après entérinement par le Fonds des accidents du travail.

A peine de nullité, l’accord doit être motivé et mentionner la rémunération de base, la nature des lésions, le taux d’incapacité de travail et la date de consolidation.

Le Fonds des accidents du travail ne procède à l’entérinement de l’accord qu’après avoir constaté que l’accident a été réglé conformément aux dispositions de la loi.

S’il estime qu’un des éléments repris dans l’accord soumis n’a pas été fixé conformément à la loi, il refusera d’entériner l’accord et – selon le texte légal - communiquera son point de vue motivé aux parties. Dans ce cas, le litige sera porté devant le tribunal du travail par la partie la plus diligente, qui informera le tribunal du point de vue du Fonds. Le Fonds peut être appelé à la cause.

L’on note que cette disposition ne prévoit pas de délai pour introduire une action devant le tribunal en cas de refus d’entérinement du F.A.T. Il ne sanctionne pas davantage celui-ci s’il ne respecte pas le délai de trois mois qui lui est imparti pour prendre position sur la demande d’entérinement de l’accord-indemnité soumis.

Comme le relève la Cour de cassation, plusieurs éventualités se présentent en l’hypothèse en cause, étant la conclusion par l’assureur et la victime d’un accord distinct sur les appareils de prothèse et d’orthopédie nécessités par l’accident, l’entérinement de cet accord par le Fonds ou son appréciation par le tribunal du travail.


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