Terralaboris asbl

Complément aux allocations familiales et sécurité sociale

Commentaire de Cass., 15 février 2016, n° S.14.0071.F

Mis en ligne le jeudi 9 juin 2016


Cour de cassation, 15 février 2016, n° S.14.0071.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 février 2016, la Cour de cassation apporte des précisions sur les conditions dans lesquelles un complément aux allocations familiales légales octroyé par l’employeur peut être considéré comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale.

Rétroactes

La S.A. Splin a, par avenants aux contrats de travail, accordé aux membres de son personnel investis d’un poste de direction ou de confiance et comptant au moins 5 ans d’ancienneté dans l’entreprise, un complément extralégal aux allocations familiales.

Par décision du 7 juin 2011, l’O.N.S.S. a qualifié ce complément de rémunération soumis aux cotisations de sécurité sociale. L’employeur a payé et cité l’O.N.S.S. en récupération de l’indu, soutenant que cet avantage était un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale exclu de la notion de rémunération en vertu des articles 14 §§ 1er et 2 de la loi du 27 juin 1969 et 2, al. 3, 1°, c) de la loi du 12 avril 1965.

Le tribunal du travail a retenu la thèse de la S.A., ce que la cour du travail a confirmé. Pour décider que le complément accordé correspondait aux critères des articles 14 §§ 1er et 2 de la loi du 27 juin 1969 et 2, al. 3, 1°, c) de la loi du 12 avril 1965, l’arrêt de la 8e chambre de la cour du travail de Liège du 21 mars 2014 (R.G. n° 2013/AL/201) examine l’avenant et constate que : l’avantage dépend de la qualité de l’enfant en tant que bénéficiaire des allocations familiales légales ; il est lié exclusivement au nombre d’enfants faisant partie du ménage du travailleur et non au travail presté et il est soumis à un double critère objectif, étant qu’il n’est accordé qu’à la catégorie des personnes investies d’un poste de direction ou de confiance et à la condition que le travailleur ait une ancienneté de 5 ans.

La procédure devant la Cour de cassation

La requête

L’O.N.S.S. a proposé trois moyens.

Le 1er soutient que, dès lors que les lois coordonnées sur les allocations familiales accordent le bénéfice de celles-ci à tout travailleur qui a un ou des enfants et non seulement à ceux qui sont investis d’un poste de direction ou de confiance et ne posent pas de condition d’ancienneté dans l’entreprise, un avantage dont les conditions d’octroi ne sont pas identiques aux conditions légales d’octroi des allocations familiales repose nécessairement sur des critères subjectifs et illégaux en sorte que les juridictions du travail sont tenues de requalifier cet avantage en rémunération passible des cotisations de sécurité sociale.

Le second moyen est fondé sur le soutènement que, pour vérifier si la condition de l’article 45 al. 1er de la loi du 27 juin 1969 – à savoir que « tout employeur qui accorde volontairement à son personnel des avantages d’ordre social complémentaires de ceux qui résultent de (cette) loi doit les accorder sans distinction à tous les travailleurs de son entreprise appartenant à une même catégorie »- est remplie, les seules catégories à prendre en considération sont celles visées par les articles 1er, 2 et 3 de la loi du 3/7/1978, soit les ouvriers, les employés et les représentants de commerce.

Le troisième moyen est fondé sur le postulat que la catégorie des personnes investies d’un poste de direction ou de confiance est plus fortunée que les autres travailleurs en sorte que les règles relatives à l’interdiction des discriminations directes ou indirectes s’opposent en l’espèce à la qualification de complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale.

L’arrêt de la cour de cassation

La cour de cassation rejette le pourvoi.

En réponse au 1er moyen, elle relève que l’article 2, al. 3, 1°, c) de la loi du 12 avril 1965 exclut sans restriction de la notion de rémunération les indemnités payées directement ou indirectement par l’employeur qui doivent être considérées comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale et que l’article 14 §§ 1er et 2 de la loi du 27 juin 1969 se réfère à la notion de rémunération au sens de cet article 2. L’indemnité qui a pour objet de compenser la perte des revenus du travail ou l’accroissement des dépenses provoqués par la réalisation d’un des risques couverts par les diverses branches de la sécurité sociale est un tel complément même si son octroi est soumis à des conditions étrangères à ces risques, en l’espèce les conditions d’octroi des allocations familiales légales.

Sur le second moyen, la Cour retient que la disposition de l’article 45 al. 1er de la loi du 27 juin 1969 n’affecte pas la notion de rémunération au sens des articles 14 §§ 1er et 2 de la loi du 27 juin 1969 et 2, al. 3, 1°, c) de la loi du 12 avril 1965. Une indemnité devant être considérée comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale est exclue de cette notion nonobstant la circonstance qu’elle soit réservée à certains travailleurs en violation de cet article 45.

Par le troisième moyen, la cour retient que, même si une indemnité exclue sans restriction de la notion de rémunération en vertu de l’article 2, al. 3, 1°, c) de la loi du 12 avril 1965 est réservée à certains travailleurs en violation des règles prohibant la discrimination, elle ne perd pas sa qualification d’indemnité au sens de cet article 2, al. 3°, c).

Intérêt de la décision

Cet arrêt condamne la position du comité de gestion de l’O.N.S.S. qui, ainsi que l’avait relevé l’arrêt attaqué, requalifie automatiquement de rémunération assujettie à la sécurité sociale tout complément aux allocations familiales dépassant 50€ par mois. Ce n’est certes pas le premier arrêt de la Cour sur l’article 2 al. 3, 1°, c) de la loi du 12 avril 1965 mais la décision commentée, par laquelle la Cour de cassation répond aux trois moyens de l’O.N.S.S., apporte d’utiles précisions.

Les conclusions du ministère public précédant l’arrêt de la cour de cassation du 10 septembre 1990 (Pas., 1991, n°12) soulignent que les termes « indemnités qui doivent être considérées » sont importants. Ils signifient en effet non pas que les indemnités versées doivent être un complément des avantages précités mais qu’elles doivent être considérées comme un tel complément. Il s’en déduit selon cet arrêt que le juge du fond n’est pas tenu de vérifier si l’indemnité est payée à des travailleurs qui ont déjà bénéficié d’avantages similaires accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale.

L’arrêt de la Cour suprême du 21 janvier 2008 (Pas., 2008, n°40 et J.T.T., 2008, p. 190 avec les conclusions du ministère public) casse un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 3 mars 2005. En l’espèce, une convention collective d’entreprise prévoyait le paiement d’une indemnité de frais funéraires aux travailleurs ayant atteint l’âge de la retraite. Le juge du fond avait seulement examiné si, compte tenu de ses conditions d’octroi, ce complément pouvait être considéré comme complétant la pension de retraite et avait répondu négativement à cette question. La Cour censure cette démarche : le juge du fond ne peut limiter son examen à un seul secteur de la sécurité sociale.

La qualification subjective donnée par les parties à un avantage n’est donc pas déterminante. Le juge doit vérifier l’objet de l’indemnité. Telle est la portée de la réponse de la Cour par l’arrêt commenté au premier moyen de cassation.

Le second moyen pose la question de la liaison entre la notion de complément à un avantage social et le respect par l’employeur de l’obligation imposée par l’article 45 al. 1er de la loi du 27 juin 1969 d’accorder cet avantage à tous les travailleurs de son entreprise appartenant à une même catégorie. La réponse à cette question – à savoir que d’une éventuelle violation de cette obligation ne peut se déduire une requalification en rémunération - avait déjà été apportée par la 3e chambre néerlandophone de la Cour (Cass., 08 décembre 2014, Pas., n° 762). La cour n’examine donc pas si la catégorie concernée peut être qualifiée de catégorie au sens de l’article 45.

Le troisième moyen est fondé sur le postulat que la catégorie visée en l’espèce par l’avantage extralégal pourrait impliquer une discrimination sur la base de la fortune. La réponse est semblable à celle apportée au second moyen, à savoir qu’une violation des règles interdisant la discrimination est sans incidence pour la qualification de complément à un avantage accordé par les diverses branches de la sécurité sociale.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be