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Audition préalable au licenciement du contractuel dans le secteur public : la Cour constitutionnelle interrogée

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 14 avril 2016, R.G. 14/13.388/A

Mis en ligne le jeudi 9 juin 2016


Tribunal du travail de Bruxelles, 14 avril 2016, R.G. 14/13.388/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 14 avril 2016, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles interroge la Cour constitutionnelle sur la question ayant abouti à la décision de la Cour de cassation du 12 octobre 2015, relative à l’obligation d’audition préalable et de motivation en cas de licenciement d’un contractuel par un employeur public.

Les faits

Une employée communale, ayant le statut contractuel, a presté pour une Commune de Bruxelles en qualité d’auxiliaire depuis février 1998. Elle a été nommée responsable d’équipe en 2011 et a, ultérieurement, eu une période d’incapacité de travail de 4 mois, fin 2013.

Pendant son absence, un rapport d’évaluation est rédigé, sur les deux années précédentes. Il est très globalement défavorable à l’intéressée. La Commune propose néanmoins de poursuivre les relations contractuelles, mais sans charge d’équipe, comme précédemment.

Le rédacteur du rapport en rédige un second, dans la foulée, confirmant que l’intéressée ne répond pas aux exigences de ce poste.

Une quinzaine de jours plus tard, le Collège communal décide de procéder au licenciement moyennant indemnité. La décision est motivée en quatre points. Le document C4 fait état d’un comportement inadapté et d’une incapacité à gérer une équipe.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail, dans laquelle l’intéressée réclame, pour réparation d’une violation de ses droits de défense, un double dommage, matériel et moral, de 5.000 € au total.

Le jugement du tribunal

Le tribunal reprend dans un premier temps les dispositions pertinentes de la loi du 3 juillet 1978, étant les articles 32, 3° et 37, § 1er. A l’époque du licenciement, l’article 59 était encore en vigueur. Il prévoyait notamment le délai de préavis pour les ouvriers dont les employeurs ne relèvent pas du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968, préavis étant en l’espèce de 84 jours pour une ancienneté de 15 à moins de 20 ans.

Il renvoie, par ailleurs, à la doctrine en ce qui concerne le principe de l’audition préalable, posant clairement la question de savoir si ce principe s’applique en cas de rupture du contrat de travail dans la fonction publique.

L’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 (Cass., 12 octobre 2015, S.13.0026.N – précédemment commenté) a répondu par la négative. L’arrêt porte sur cette question d’audition, mais également sur la motivation de la décision de licenciement.

Le tribunal constate cependant que cet arrêt rentre en conflit avec la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Il rappelle l’arrêt KMC c/ HONGRIE (Cr.E.D.H., 10 juillet 2012, KMC c/ HONGRIE, Req. n° 19.554/11). Dans cette décision, la Cour européenne a considéré que le défaut de motivation d’une décision révoquant un fonctionnaire violait l’accès au juge garanti par l’article 6, § 1er, de la C.E.D.H.

Le tribunal examine les commentaires faits en doctrine sur l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 et constate qu’il n’a pas, dans cette décision, été mis fin à la controverse, l’arrêt pouvant être interprété comme n’excluant pas l’application du principe d’audition préalable aux contractuels de la fonction publique (le tribunal citant P. JOASSART et N. BONBLED, « Les principes généraux du droit administratif et de bonne administration en droit social », Actualités des principes généraux en droit administratif, social et fiscal, Anthémis, 2015, p. 106), alors que d’autres considèrent que l’arrêt met un terme à une longue controverse (le tribunal renvoyant à la note de G. LEMAIRE sous cet arrêt dans le J.T.T., 2016, p. 30).

Il s’en dégage qu’une discrimination peut exister. La rupture du contrat de travail dans la fonction publique peut en effet s’analyser de deux manières, en la comparant soit à la révocation de l’agent statutaire, soit à la rupture du contrat de travail dans le secteur privé.

A la partie demanderesse qui demande que la comparaison soit faite entre employeurs, le tribunal répond que cette comparaison n’est pas adéquate, l’employeur public ayant une mission d’intérêt général, contrairement à l’employeur privé, qui poursuit la réalisation d’intérêts particuliers.

Cependant, la question de la comparaison entre les agents est retenue, celle-ci portant d’une part sur les agents statutaires et, d’autre part, sur les agents contractuels. Il pourrait, pour le tribunal, y avoir une différence de traitement prohibée, eu égard au principe d’égalité des articles 10 et 11 de la Constitution.

Aussi, pose-t-il deux questions, toutes deux fondées sur les articles 32, 3° et 37, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978. La première question vise la constitutionnalité de la différence de traitement entre le travailleur contractuel et le travailleur statutaire (pour qui s’applique l’adage « audi alteram partem »). Le même contrôle de constitutionnalité est demandé sur la question de l’audition préalable au licenciement.

Intérêt de la décision

Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 – qui a fait l’objet de premiers commentaires en doctrine (voir ci-dessus) –, la question de l’obligation de l’employeur public en cas de licenciement d’un membre du personnel contractuel est discutée. Cette double obligation était précédemment majoritairement admise dans une partie de la jurisprudence et tout aussi régulièrement contredite dans une autre.

L’arrêt de la Cour du travail de Gand, rendu le 24 avril 2012 et cassé par la Cour de cassation dans son arrêt du 12 octobre 2015, s’inscrivait dans le premier courant de jurisprudence.

L’on a pu souligner que l’arrêt de la Cour suprême est bref et, par ailleurs, que cette solution entraîne un inconfort évident, notamment eu égard aux obligations mises à charge des employeurs du secteur privé par la C.C.T. n° 109.

L’apport de la Cour constitutionnelle à la problématique est attendu avec le plus grand intérêt.


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