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Les indemnités complémentaires versées lors d’un licenciement constituent-elles de la rémunération sur le plan de la sécurité sociale ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 décembre 2015, R.G. 2014/AB/82

Mis en ligne le jeudi 26 mai 2016


Cour du travail de Bruxelles, 17 décembre 2015, R.G. 2014/AB/82

Terra Laboris

Dans un arrêt du 17 décembre 2015, la cour du travail de Bruxelles a rappelé qu’une indemnité complémentaire versée à la rupture peut avoir le caractère d’indemnité payée au titre de complément aux allocations de chômage sans qu’il soit requis qu’elle constitue un complément à une allocation de chômage effectivement payée : le critère est qu’elle doit avoir été accordée sans obligation légale et qu’elle a été voulue comme un tel complément.

Les faits

Une société procède à plusieurs licenciements, dans le cadre de mesures qu’elle justifie par des pressions économiques importantes.

Elle signe, dans ce contexte, une convention collective de travail en juin 2006, dans laquelle sont fixées les conditions de licenciement et d’accompagnement social. Un plan de réorganisation du travail pour les travailleurs non licenciés est également mis en place dans le cadre d’un autre accord. Certains travailleurs ayant la qualité de délégué du personnel, le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale est consulté et il admet l’existence de raisons d’ordre économique ou technique.

La convention collective d’entreprise (générale) prévoit pour tous les travailleurs, en sus de l’indemnité compensatoire de préavis, une indemnité dite « de sécurité d’existence » devant être payée à l’issue de de la période couverte par l’indemnité compensatoire, et ce dans la mesure où ils bénéficieraient à ce moment de revenus de remplacement (allocations de chômage ou indemnités AMI). La société verse la totalité du capital correspondant à ces indemnités complémentaires, et ce à une asbl chargée de la gestion des paiements. Pour les travailleurs bénéficiant d’une protection contre le licenciement dans le cadre de la loi du 19 mars 1991, les indemnités sont majorées (+/- doublées), disposition prévue dans une autre convention collective spécifique.

Une enquête intervient ultérieurement, dans laquelle il est précisé au contrôleur social que la seconde convention, concernant les travailleurs « protégés » uniquement, a été signée parce que ceux-ci ne souhaitaient pas que les sommes qu’ils percevraient soient rendues publiques, chose que la société a acceptée. Elle souligne également qu’elle n’était nullement obligée de payer ces indemnités complémentaires, dans la mesure où les raisons d’ordre économique ou technique avaient été reconnues.

Pour l’ONSS, la majoration allouée aux travailleurs « protégés » (de l’ordre de 23.400€) est rémunératoire. Un avis rectificatif est dès lors établi et la demande de cotisations est adressée à la société. Celle-ci paie mais sous réserve. Elle introduit parallèlement une procédure devant le tribunal du travail de Bruxelles en restitution.

Par jugement du 31 octobre 2013, le tribunal fait droit à cette demande.

Décision de la cour

Suite à l’appel de l’ONSS, la cour est amenée à examiner la nature de l’indemnité en cause.

C’est la loi du 12 avril 1965 qui définit en son article 2 la notion de rémunération et il est renvoyé à cette disposition dans le cadre de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs. La disposition détermine les éléments qui ont un caractère rémunératoire et également ceux qui ne l’ont pas. Dans cette deuxième catégorie figurent les indemnités payées directement ou indirectement par l’employeur qui doivent être considérées comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale.

La cour relève que la notion de « complément » ne fait pas l’objet de restrictions quelconques mais que l’ONSS met cependant certaines conditions pour que des montants ne soient pas considérés comme des compléments aux allocations de chômage, étant qu’il faut examiner l’intention, le calcul et les modalités d’octroi des indemnités complémentaires. En l’espèce, si l’ONSS admet qu’il y a un complément aux allocations de chômage étant donné que le versement sera limité dans le temps et qu’il a été fixé au départ la différence de traitement entre les travailleurs manque de motivation objective.

Pour la cour du travail, la qualité non rémunératoire de l’indemnité « de sécurité d’existence » accordée à tous les travailleurs licenciés n’est pas contestée, étant en l’espèce une indemnité « de base ». Celle-ci est à considérer comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 ci-dessus.

Pour les travailleurs « protégés », qui ont ainsi bénéficié d’un montant plus élevé, la cour relève que la nature de l’indemnité n’a pas été modifiée et que la position de l’ONSS selon laquelle il n’y aurait pas de motivation objective de la différence de traitement entre les deux catégories ne peut être suivie. Elle renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question (Cass., 10 septembre 1990, R.G. n° 20.608), rendue dans une espèce où avait été octroyée, outre une indemnité de licenciement collectif, une indemnité payée au titre de complément aux allocations de chômage. Pour la Cour suprême, il n’est pas requis, pour que l’indemnité ait cette qualification, qu’elle constitue un complément à une allocation de chômage effectivement payée. Le critère est qu’elle doit avoir été accordée sans obligation légale et qu’elle a été voulue comme un tel complément. Ces conditions sont rencontrées en l’espèce, la cour faisant par ailleurs grief à l’ONSS de ne pas prouver que l’employeur a détourné la finalité de la mesure en accordant une rémunération déguisée.

Enfin, que l’indemnité puisse être versée sous forme d’un capital n’a pas été retenu par l’ONSS comme incompatible avec la nature d’une indemnité en complément des allocations de chômage. Aussi, la cour considère-t’elle qu’il faut être logique et appliquer le même raisonnement pour le cas où l’indemnité a été majorée.

Elle confirme dès lors le jugement, les cotisations n’étant pas dues sur ces montants.

La cour examine enfin la question de la répétition de l’indu, la société demandant la restitution des majorations et intérêts. La cour constate que cette demande a été formée dans le délai de trois ans suivant la date du paiement et que, en cas de paiement indu, il y a lieu à remboursement, que le paiement ait été fait avec ou sans réserve (comme en l’espèce).

Intérêt de la décision

La question du caractère rémunératoire d’indemnités complémentaires versées à l’occasion d’un licenciement fait débat.

Il s’est agi, en l’espèce, non d’avantages accordés individuellement mais, dans le cadre d’accords collectifs d’entreprise, à l’ensemble des travailleurs licenciés eu égard à des motifs économiques. La cour a relevé que parallèlement à ces deux conventions collectives signées pour les travailleurs licenciés, une autre l’avait été concernant des mesures de restructuration pour les travailleurs restés en place, la situation présentée étant manifestement conforme à celle qui était vécue.

Le raisonnement de la cour du travail dans cet arrêt renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation et particulièrement à l’arrêt du 10 septembre 1990 (Cass., 10 septembre 1990, R.G. 20.608) qui a pointé le fait que l’alinéa 3 de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 (dérogatoire à l’article 1er déterminant les éléments devant se voir accorder un caractère rémunératoire) exclut de la notion de rémunération certaines indemnités payées directement ou indirectement par l’employeur. Dans l’hypothèse où il s’agit d’indemnités qui sont le complément des avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale, il faut comprendre cette disposition comme visant les indemnités « qui doivent être considérées » comme telles. Le juge n’est, en conséquence, pas tenu d’examiner si ces indemnités sont payées à des travailleurs qui ont déjà bénéficié d’avantages similaires prévus par les lois de sécurité sociale.


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