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Contrôle du motif de licenciement : application de la C.C.T. n° 109

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 14 janvier 2016, R.G. 14/9.880/A

Mis en ligne le jeudi 26 mai 2016


Tribunal du travail de Bruxelles, 14 janvier 2016, R.G. 14/9.880/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 14 janvier 2016, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles fait une analyse complète du mécanisme de la CCT n° 109 relative au contrôle au motif de licenciement, confirmant la référence, pour les motifs eux-mêmes, aux critères de l’ancien article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

Les faits

Un ouvrier de l’HORECA est licencié pour motif grave en août 2014.

Le motif grave consiste essentiellement en des absences injustifiées, ainsi qu’en la non-réponse à des demandes de justification.

Une procédure est introduite à l’initiative de son organisation syndicale, postulant essentiellement l’octroi d’une indemnité compensatoire de préavis, ainsi qu’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

La décision du tribunal

Le tribunal examine en premier lieu la question du motif grave. Il rappelle à cet égard l’exigence d’appréciation concrète de la faute reprochée, les éléments de la cause à prendre en compte devant concerner à la fois le travailleur et l’employeur. Parmi les critères à retenir dans le chef du travailleur, se situent l’ancienneté, les fonctions, les responsabilités, le passé professionnel, d’éventuels antécédents, son état de santé (physique et mental) tel que connu de l’employeur, etc. En ce qui concerne l’employeur, il faut apprécier, selon les termes du jugement, la faute subjectivement, c’est-à-dire en tenant compte de la nature de l’entreprise, du préjudice subi, etc.

Examinant les éléments de fait, le tribunal constate que l’intéressé n’était pas en absence injustifiée, étant en incapacité de travail (confirmée par le médecin-contrôle). Le second motif n’est pas davantage établi, le travailleur ayant donné suite aux demandes d’explication. Il n’y a dès lors pas de motif grave et il doit bénéficier d’une indemnité compensatoire de préavis.

En ce qui concerne le licenciement manifestement déraisonnable, le tribunal rappelle que l’article 63 ne s’applique plus pour les congés donnés à partir du 1er avril 2014 et qu’il faut se référer à la CCT n° 109, qui a instauré un mécanisme nouveau, comportant deux volets : d’une part, le droit pour le travailleur de connaître les motifs du licenciement et, d’autre part, la sanction des licenciements « manifestement déraisonnables ».

Ce sont les dispositions des articles 4 et 8 de la CCT.

Sur la notion de licenciement manifestement déraisonnable, le tribunal renvoie aux commentaires faits par les partenaires sociaux à propos de l’article 8. Il ne s’agit pas, dans le cadre de la présente CCT, de vérifier les circonstances du licenciement, mais uniquement les motifs de celui-ci. Un licenciement est manifestement déraisonnable lorsqu’il se base sur des motifs qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service.

Le licenciement est manifestement déraisonnable dès lors que celui-ci n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable. Le commentaire rappelle que l’employeur dispose d’une liberté d’action en ce qui concerne la gestion de son entreprise et qu’il peut opérer un choix entre des alternatives de gestion raisonnables. Le contrôle est donc un contrôle marginal. Le tribunal souligne, reprenant d’ailleurs la doctrine à cet égard (L. PELTZER et E. PLASSCHAERT, ˝ La motivation du licenciement des travailleurs : nouvelles règles pour tous les travailleurs depuis le 1er avril 2014 ˝, J.T., 2014, p. 385), que la définition est tout à fait en ligne avec l’ancien article 63 de la loi du 3 juillet 1978. Il renvoie également, pour la notion, à la jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2010 et, particulièrement, à l’arrêt du 22 novembre 2010 (Cass., 22 novembre 2010, n° S.09.0092.N).

Les éléments à prendre en compte vont différer selon que l’employeur a communiqué les motifs de licenciement ou non et si le travailleur les a demandés ou non.

Au cas où le caractère manifestement déraisonnable du licenciement est retenu, une indemnité est due dans une fourchette allant de 3 à 17 semaines de rémunération. Le tribunal renvoie encore ici aux commentaires pour les éléments d’évaluation, étant que le montant à décider par le juge dépendra de la gradation du caractère manifestement déraisonnable. Il est fait référence à ˝ l’intensité du caractère abusif du licenciement ˝ (P. CRAHAY, ˝ Motivation du licenciement et licenciement est manifestement déraisonnable ˝, Ors., 2014/4, p. 10).

Il y a dès lors lieu d’appliquer ces principes et le tribunal revient sur le motif invoqué dans le cadre du motif grave, étant que l’absence injustifiée et la non-réponse aux courriers recommandés de l’employeur ne sont pas avérées. Le travailleur n’a commis aucune faute en l’espèce. Son licenciement ne peut dès lors être fondé sur les motifs requis par la CCT (aptitude, conduite ou nécessités de fonctionnement de l’entreprise).

Pour se conformer aux exigences du texte, le tribunal considère qu’il faut à ce stade vérifier si une telle décision de licenciement n’aurait jamais été prise par un employeur normal et raisonnable. Il y a eu précipitation, en l’occurrence, et celle-ci fait apparaître une volonté de se séparer du travailleur et d’avoir saisi la première occasion.

Le tribunal souligne encore que l’intéressé avait demandé sa réintégration après le licenciement et que celle-ci a été refusée. Le fait d’invoquer des absences prétendument injustifiées était dès lors un prétexte. Un employeur normal et raisonnable, placé dans des circonstances similaires, n’aurait pas agi de la sorte. Quant à la fourchette, sans donner davantage d’explications sur les critères d’appréciation de la sanction de la faute de l’employeur, le tribunal conclut à une intensité ˝modérée˝, emportant le droit pour le travailleur à un montant de 10 semaines de rémunération.

Intérêt de la décision

Ce jugement (non définitif) contient des indications précieuses sur l’appréciation que feront les juges du fond de ces nouvelles dispositions relatives au contrôle judiciaire du motif du licenciement. Celui-ci touche actuellement tous les travailleurs (employés et ouvriers) engagés à durée indéterminée.

Sur les motifs eux-mêmes, le tribunal souligne (et renvoie d’ailleurs à la doctrine à cet égard) que l’on doit se référer aux motifs tels qu’analysés, précédemment, dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relatif au contrôle du motif du licenciement de l’ouvrier. La jurisprudence rendue sur cette question est, dès lors, transposable. Quant à l’indemnité elle-même, le critère de ˝l’intensité du caractère manifestement déraisonnable˝ laisse cependant quelque peu perplexe. Attendons de voir comment se précisera cette appréciation dans les décisions qui ne manqueront pas d’être rendues prochainement.


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