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Accident du travail en cas de travail non déclaré : éléments de preuve exigés

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 novembre 2015, R.G. 2013/AB/951

Mis en ligne le jeudi 28 avril 2016


Cour du travail de Bruxelles, 12 novembre 2015, R.G. 2013/AB/951

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 novembre 2015, la cour du travail de Bruxelles, devant qui l’affaire avait été renvoyée par la Cour de cassation, rappelle qu’en cas de travail non déclaré, il peut y avoir application de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail à la condition que soient établis les trois éléments constitutifs du contrat de travail : des prestations de travail effectives, exécutées dans un lien de subordination et contre rémunération. L’existence du contrat de travail peut être établie par toutes voies de droit.

Les faits

Un jeune de 20 ans entreprend de se former dans la profession de peintre-dessinateur en publicité et commence un contrat d’apprentissage au sein d’une petite société spécialisée dans la confection d’étiquettes. Il est prévu qu’il percevra les allocations d’apprentissage minimums mensuelles, celle-ci devant évoluer en fonction de l’avancement du contrat. La société a souscrit une assurance accident du travail, contrat qu’elle résilie, cependant, avant la fin de la première année d’apprentissage au motif de la disparition du risque. N’étant pas en ordre d’affiliation au service médical, la société perd ensuite son agrément pour un tel type de contrat.

A l’issue de la première année, deux allocations mensuelles sont versées à l’intéressé, au mois de juillet et au mois de septembre.

Trois ans plus tard, le jeune travailleur est victime d’un accident dans les locaux de la société (sa main s’étant coincée dans une presse). Il est conduit aux urgences. Il précisera qu’il a continué à prester, et ce pendant 4 ans, ce qui est contesté par un gérant qui expose qu’en réalité il venait lui dire bonjour de façon intermittente et restait parfois longtemps sans donner de nouvelles.

Trois mois plus tard, une plainte est déposée auprès de l’Auditeur du travail de Charleroi pour plusieurs infractions (tant sur le plan de la législation en matière d’accident du travail que de paiement de rémunérations,…).

Il s’ensuivra une citation à l’initiative de l’Auditeur du travail devant le Tribunal correctionnel de Charleroi. Devant celui-ci, le travailleur et ses parents se constituent partie civile, ainsi que l’organisme assureur en AMI (qui a déboursé près de 30.000 € d’intervention dans les soins de santé).

Une question préjudicielle est posée par le Tribunal correctionnel de Charleroi au tribunal du travail, étant de savoir si les coups et blessures subis par le jeune travailleur constituent un accident du travail au sens de la loi du 10 avril 1971. Appel est interjeté. La Cour d’appel de Mons confirme le jugement par arrêt du 28 janvier 2009.

Le Tribunal du travail de Charleroi reconnaît l’accident du travail par jugement du 17 juin 2010, jugement également confirmé par la juridiction d’appel, dans un arrêt du 14 février 2012.

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons est cependant cassé par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 décembre 2012 (S.12.0072.F). La cause est ainsi renvoyée devant la Cour du travail de Bruxelles.

Cette procédure est indépendante d’une autre, mue à l’initiative du Fonds des Accidents du Travail, qui a cité le gérant et la société afin d’entendre fixer l’indemnisation de l’intéressé dans le cadre de la loi du 10 avril 1971.

La décision de la cour

Les parties étant opposées quant à la réalité de prestations de travail et de paiement de rémunération au moment de la survenance de l’accident, la cour reprend les principes en matière de preuve du contrat de travail. Renvoyant à l’article 12 de la loi du 3 juillet 1978, selon lequel la preuve testimoniale est admise à défaut d’écrit quelle que soit la valeur du litige, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour de cassation (dont Cass., 28 février 1979, Pas., 1979, I, p. 774) sur la possibilité de prouver l’existence du contrat de travail par présomptions, elle examine les éléments de l’enquête de l’Inspection sociale du SPF Sécurité sociale. Il ressort de divers témoignages – pour lesquels la cour souligne qu’elle tient compte dans son appréciation des liens éventuels, d’ordre familial ou financier, entre les témoins et les parties - que l’intéressé a été vu au travail à l’époque des faits.

La description de la machine sur laquelle il travaillait, description faite par le jeune à l’Inspection sociale, est également retenue comme un élément important, de nature à écarter la thèse d’un visiteur occasionnel. Non seulement cette description portait sur la machine elle-même, mais également sur les activités et tâches accomplies.

Eu égard à la poursuite de prestations après une première année de contrat d’apprentissage, la cour retient qu’il y avait un lien de subordination, étant que le jeune a continué à travailler sous le contrôle et la surveillance directe du gérant, comme par le passé.

Reste cependant la question de la rémunération, et la cour rappelle ici que, si l’arrêt de la Cour du travail de Mons a été cassé, c’est sur ce point uniquement. La Cour de cassation a en effet considéré que l’existence d’un contrat de travail requiert l’accord des parties sur ces éléments essentiels, dont la détermination de la rémunération, et elle a retenu que ne ressortait pas des éléments pointés par la cour du travail l’existence d’un tel accord, que ce soit sur le montant de la rémunération elle-même ou sur les éléments permettant de le déterminer. La Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur le moyen du pourvoi qui portait sur une méconnaissance par la cour du travail des règles en matière de preuve (articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire).

La cour du travail aborde dès lors en détail cette question de rémunération convenue. Le travailleur déposant un décompte précis des rémunérations perçues (équivalant à l’allocation d’apprentissage pour la troisième année), la cour retient qu’il s’agit d’un décompte certes unilatéral, mais qui était en possession de l’Inspection du F.A.T. depuis le début, ce document ayant été remis par le travailleur à l’époque et le décompte figurant d’ailleurs avec le procès-verbal d’audition.

La cour relève en outre que, s’il n’y a pas eu de quittance de paiement, cette situation est indifférente, le travailleur étant autorisé à prouver l’existence d’un accord entre parties sur la rémunération par toute voie de droit. Sur la base de présomptions graves, précises et concordantes, elle retient qu’il y avait exécution d’un travail après la fin du contrat d’apprentissage jusqu’au jour de l’accident.

Tous autres éléments avancés par la société sont écartés. Il en va notamment ainsi de la circonstance que le travailleur n’a pas déclaré spontanément ses revenus à l’administration fiscale, la cour retenant que l’absence de déclaration aux impôts des rémunérations perçues ne fait nullement obstacle à la reconnaissance du contrat de travail.

Elle confirme dès lors le jugement du Tribunal du travail de Charleroi du 17 juin 2010, qui avait retenu l’existence d’un accident du travail et renvoie la cause au Tribunal correctionnel du Hainaut, division Charleroi.

Intérêt de la décision

La Cour de cassation avait considéré, comme rappelé par la Cour du travail de Bruxelles statuant comme juge de renvoi, que, pour que soit établie l’existence d’un contrat de travail, le juge du fond doit constater l’existence d’un accord sur la rémunération. Les termes de l’arrêt de la Cour du travail de Mons ne permettaient pas de retenir que cet élément était avéré, d’où la censure par la Cour de cassation de l’absence de preuve des trois éléments constitutifs de l’existence du contrat de travail : la fourniture effective de prestations de travail, l’existence du lien de subordination et l’accord des parties sur une rémunération.

Rappelons sur cette question un autre arrêt récent de la cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 29 juin 2015, R.G. 2013/AB/440, 2013/AB/485 et 2014/AB/98) qui a jugé que le fait qu’un contrat de travail n’ait pas fait l’objet d’une déclaration régulière aux organismes de sécurité sociale ne fait nullement obstacle à l’application de la loi sur les accidents du travail. La preuve des éléments constitutifs du contrat de travail peut être rapportée par toute voie de droit. Les déclarations de la victime ne doivent pas être écartées automatiquement au motif qu’elle est une des parties à la cause dès lors qu’elles ne présentent pas d’invraisemblances ni de contradictions. Il y a lieu de vérifier si elles sont corroborées ou au contraire contredites par les autres éléments du dossier.


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