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Chômeur non indemnisé : quel droit aux allocations familiales ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut, div. Charleroi, 2 décembre 2015, R.G. 14/252/A

Mis en ligne le vendredi 15 avril 2016


Tribunal du travail du Hainaut, division de Charleroi, 2 décembre 2015, R.G. 14/252/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 2 décembre 2015, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) effectue un rappel très utile des conditions dans lesquelles le chômeur non indemnisé peut être attributaire d’allocations familiales dans le régime général, ne donnant ainsi pas lieu à l’octroi de prestations familiales garanties.

Les faits

Une mère de famille reçoit une décision de FAMIFED, lui refusant le bénéfice des prestations familiales garanties. Est essentiellement invoqué le fait qu’elle peut bénéficier de telles prestations dans le secteur contributif en application de la réglementation en matière de chômage.

En date du 2 mars 2009, une décision a en effet été prise par l’ONEm, qui a refusé l’octroi des allocations de chômage, au motif que la condition de stage n’était pas remplie. Il lui est reproché de ne pas prouver une journée de travail déclaré pendant celle-ci. La décision de l’ONEm contient, par ailleurs, des indications en ce qui concerne la préservation des droits en matière d’allocations familiales (« Que devez-vous faire pour conserver vos droits en matière d’allocations familiales ? »).

Aucun recours n’est introduit contre la décision de l’ONEm.

Ceci donne ensuite lieu à la décision de FAMIFED (alors O.N.A.F.T.S.) de réclamer un indu pour la période du 1er février 2009 au 31 décembre 2010. Les allocations ont en effet été versées dans le cadre de la loi du 20 juillet 1971, instituant des prestations familiales garanties, et FAMIFED considère qu’il existait un droit prioritaire aux allocations familiales en raison de l’exclusion du chômage. En outre, un supplément social a été octroyé indûment.

Aucun recours n’est introduit contre cette décision.

En septembre 2013, cependant, à l’initiative d’un travailleur social, FAMIFED est interpellé, la situation sociale de l’intéressée étant réexposée (absence d’allocations de chômage, inscription au C.P.A.S.). Est principalement questionné le fait que son dossier a été transféré du régime des prestations familiales garanties à celui des travailleurs salariés.

Une demande de réexamen du dossier est formulée.

Dans sa réponse, FAMIFED invoque le caractère de droit résiduaire des prestations familiales garanties et expose que l’hypothèse de l’exclusion (ou de la non-admission) au chômage permet, dans certains cas, d’ouvrir le droit aux allocations familiales dans le régime des travailleurs salariés (article 56novies des lois coordonnées).

Cette réponse est prise comme point de départ du délai d’introduction du recours devant le tribunal du travail et ce recours est introduit devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), l’intéressée demandant à être rétablie dans ses droits aux prestations familiales depuis le 1er février 2009. Est également demandé le remboursement de retenues indues et des dommages et intérêts correspondant à la différence entre le taux majoré (article 42bis des lois coordonnées) et le taux de l’article 40.

Une demande reconventionnelle est introduite par FAMIFED, qui poursuit la restitution de la différence entre ce même taux majoré, pour une période distincte.

Les décisions du tribunal du travail

Le tribunal rend deux jugements.

Le jugement du 4 mars 2015

Il s’agit d’un jugement avant dire droit, demandant aux parties de s’expliquer sur l’applicabilité des conditions de l’article 4, § 1er de l’arrêté royal du 25 février 1994 ainsi que sur les conditions de respect de cette réglementation en l’espèce. En vertu de l’article 4, § 1er, est attributaire d’allocations familiales pour les périodes de chômage non indemnisées le chômeur complet, pour autant que, sauf dispense, il soit inscrit comme demandeur d’emploi, soit disponible pour le marché de l’emploi et se soumette au contrôle organisé par la réglementation. Le chômeur complet non indemnisé n’est, en vertu du § 4 de la même disposition, attributaire que si aucun membre de son ménage n’ouvre un droit aux prestations familiales.

Le jugement du 2 décembre 2015

Après le rappel des dispositions applicables, dont celles de l’arrêté royal du 25 février 1994 applicable en l’espèce, le tribunal examine si ses conditions sont remplies.

Il retient d’abord que la condition relative à l’inscription comme demandeur d’emploi n’est pas (complétement) remplie, de même que celle concernant le contrôle organisé des chômeurs (qui ne semble pas l’être du tout). Le tribunal relève encore que la décision de l’ONEm mentionnait qu’afin de conserver le droit aux allocations familiales, l’intéressée devait non seulement être et rester inscrite comme demandeur d’emploi (sauf dispense), mais également être en possession de sa carte de contrôle dûment complétée et remise à l’organisme de paiement en fin de mois. Aucune carte n’a en l’espèce jamais été rentrée. Dès lors, l’intéressée ne pouvait avoir la qualité d’attributaire d’allocations familiales au sens de l’arrêté royal en cause et pouvait bénéficier des allocations dans le régime résiduaire.

Cependant, dans la mesure où elle n’a pas introduit de recours contre la décision intervenue en décembre 2010, mais uniquement contre celle d’octobre 2013, le tribunal conclut qu’elle ne peut être rétablie dans ses droits aux prestations familiales à partir du début de la période, étant février 2009, mais bien pour la période à partir d’octobre 2013.

Reste cependant une question, étant la différence entre le taux majoré de l’article 42bis et de celui de l’article 40 des lois coordonnées. C’est l’objet de la demande reconventionnelle de FAMIFED.

Pour le tribunal, l’article 159 de la Constitution, qui impose au juge de n’appliquer les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois, confère au juge un pouvoir de censure négative, qui lui permet de refuser l’application d’un acte administratif par hypothèse irrégulier. S’il décide de ne pas rendre obligatoire une décision de l’autorité en application de cette disposition, sa décision ne fait naître ni droit ni obligation pour les intéressés, sans cependant porter atteinte à l’existence-même de celle-ci (le tribunal renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 1999, n° P.98.0109.N).

Se pose, ainsi, la question de l’étendue du contrôle judiciaire. La doctrine (H. MORMONT et J. MARTENS, « La révision des décisions administratives et la récupération de l’indu dans la Charte de l’assuré social », Dix ans d’application de la Charte de l’assuré social, 2008, Kluwer, pp. 86 et suivantes) considère que le juge exerce généralement un contrôle plein et entier sur ces décisions de récupération et n’octroie un titre à l’administration que si celle-ci établit le bien-fondé de la récupération poursuivie, précisément dans l’hypothèse où cette décision a été prise préalablement et que l’assuré social n’a pas introduit de recours en temps utile.

Dans la mesure où l’intéressée ne pouvait se voir reconnaître le statut de chômeur complet non indemnisé, le tribunal décide, par application de l’article 159 de la Constitution, que même si aucun recours n’a été introduit contre la décision administrative, il ne peut être fait droit à la demande reconventionnelle.

Enfin, restent encore à examiner les demandes introduites au titre de dommages et intérêts, étant le remboursement de sommes retenues par FAMIFED. Le tribunal ne fait ici pas droit à la demande de l’intéressée, ceci ayant été effectué conformément aux conditions légales.

Intérêt de la décision

Cette espèce reprend les conditions d’octroi des allocations familiales dans le cas où un chômeur est non indemnisé. S’il ne remplit pas les conditions de l’article 4, § 1er de l’arrêté royal du 25 février 1994, il ne peut avoir la qualité d’attributaire et ne peut se voir reconnaître de droits dans ce régime. Il faut dès lors se tourner vers le régime résiduaire des prestations familiales garanties.

La situation s’est complexifiée, dans le cas d’espèce, du fait qu’aucun recours n’a été introduit en temps opportun contre la décision administrative. La position du tribunal du travail s’appuie sur la doctrine la plus autorisée en la matière, étant que, en application de l’article 159 de la Constitution, même si aucun recours n’a été introduit, le juge peut considérer qu’aucun effet ne doit être conféré à la décision de récupération, le juge exerçant un contrôle plein et entier sur ce type de décision.


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