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Notion de récidive en chômage

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 23 novembre 2015, R.G. 2014/AL/436

Mis en ligne le jeudi 14 avril 2016


Cour du travail de Liège (div. Liège), 23 novembre 2015, R.G. 2014/AL/436

Terra Laboris

Dans un arrêt du 23 novembre 2015, la Cour du travail de Liège (div. Liège) confirme que la récidive au sens de la réglementation chômage est une sanction de nature pénale et qu’elle doit être interprétée de la même manière que dans le Code pénal, ainsi d’ailleurs que la Cour de cassation l’avait retenu dans un arrêt du 2 juin 1976 : n’est pas une récidive l’infraction qui a été commise avant que la décision judiciaire relative à l’infraction précédente n’ait été coulée en force de chose jugée.

Les faits

Une bénéficiaire d’allocations de chômage est interpellée sur un marché où elle vend des bijoux. N’étant pas en possession de sa carte de contrôle, elle fait l’objet d’une enquête, dont il ressort qu’il y a infraction à la réglementation vu l’exercice habituel de cette activité. Une décision d’exclusion est dès lors prononcée, avec récupération depuis le début de cet exercice, avec une sanction de quatre semaines.

Il s’avérera, par la suite, qu’une A.S.B.L. (dont l’intéressée était présidente jusqu’alors, qualité dont elle démissionna) continuait à occuper des stands sur le marché. Il sera confirmé par la suite que c’était bien la même personne qui effectuait la vente – et toujours sans avoir noirci sa carte de pointage.

Dans le cadre de l’enquête administrative, celle-ci reste plutôt vague quant au descriptif de ses activités. L’Office prend alors une seconde décision, constatant qu’il y a eu une activité exercée pour compte propre. Il ordonne la récupération des allocations, ainsi qu’une exclusion pour une période de 8 semaines (abstention de noircir la carte de contrôle lors de l’exercice d’une activité incompatible avec l’octroi des allocations).

L’intéressée introduit un recours devant le Tribunal du travail de Verviers.

Un premier recours ayant précédemment été introduit contre la première décision, le tribunal statue d’abord sur la première action et confirme la décision de l’ONEm. Sur le second recours, se pose la question de l’existence ou non d’une récidive.

L’avis de l’Auditeur du travail

L’Auditeur du travail dépose un avis écrit. Sur la sanction, il renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 1976 (Pas., I, p. 1053). Pour lui, il n’y a pas de faits antérieurs pouvant justifier la notion de récidive, dans la mesure où les premiers faits commis-ci n’étaient pas définitivement établis lorsque les nouveaux faits se sont produits. La procédure était en effet toujours en cours à ce moment.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 16 juin 2014, le tribunal rejoint l’avis du Ministère public : le fait antérieur ne pouvait être considéré comme établi lorsque l’ONEm a pris sa seconde décision. Il ne pouvait dès lors fonder la récidive retenue. La sanction est en conséquence réduite à quatre semaines.

La position des parties devant la cour

Pour l’ONEm, qui renvoie aux articles 154 et 157 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, il suffit de constater que les faits relatifs au dossier en cours ont été commis dans l’année qui a suivi la première infraction et après la notification de la décision administrative. La notion de récidive est dès lors présente et la sanction ne peut être inférieure au double de la première. Pour l’Office, c’est la décision administrative qui compte et non la décision judiciaire. La seconde décision n’aurait pu être revue que si la première décision avait été annulée – ce qui n’est pas le cas.

Quant à l’intimée, elle fait valoir sa bonne foi et demande la réduction de la durée de l’exclusion. Elle reprend la thèse du premier juge en ce qui concerne le caractère non encore définitif de la première infraction lors de la commission des faits litigieux.

L’avis du Ministère public

Le Ministère public confirme les conclusions de l’Auditeur du travail en première instance, étant que les conditions de la récidive ne sont pas rencontrées.

La décision de la cour

La cour relève qu’elle n’est saisie que de la hauteur de la sanction, elle-même dépendant de l’existence de la récidive.

Eu égard au texte des articles 154 et 157, elle relève que deux questions doivent être réglées, étant de savoir si l’infraction (2e) a été commise avant que la décision relative à la précédente ait été notifiée et, ensuite, si cette deuxième infraction a été commise plus d’un an après la première. Elle renvoie à la notion de récidive telle que l’a énoncée la Cour de cassation dans l’arrêt du 2 juin 1976 (cité), étant que la privation du droit aux allocations ne peut être fondée sur un fait antérieur qui n’a pas fait l’objet d’une décision passée en force de chose jugée. Cet arrêt a été rendu dans le cadre de l’arrêté royal du 20 décembre 1963, mais son enseignement est transposable à la réglementation actuelle, et la cour signale que cette notion renvoie même à l’article 56 du Code pénal sur la notion de récidive en cette matière.

Les sanctions de l’ONEm ont un caractère pénal au sens de la C.E.D.H. et la cour souligne qu’en conséquence, l’on n’ajoute pas une condition au texte lorsque l’on interprète la notion de récidive en chômage comme en matière pénale, mais qu’au contraire, l’interprétation est ainsi donnée au regard des standards applicables en raison de sa nature (8e feuillet). Lorsqu’à l’article 157, 1°, de l’arrêté royal est visée la « décision relative à l’infraction précédente », il faut entendre la décision judiciaire coulée en force de chose jugée et non la décision administrative. En l’espèce, eu égard à la chronologie des faits, il n’y a pas récidive.

Il n’y a pas davantage récidive au sens de l’article 157, 2° de l’arrêté royal (selon lequel il n’y a pas de récidive lorsque l’infraction a été commise plus d’un après l’infraction précédente).

La cour conclut qu’il lui appartient de statuer sur la hauteur de la sanction sans être tenue par un minimum. En l’espèce, sans retenir la récidive, la sanction de 8 semaines paraît adéquate, vu le caractère flagrant de la volonté de l’intéressée de ne pas tenir compte de ses obligations alors que celles-ci lui avaient été dûment rappelées.

Intérêt de la décision

Cet arrêt marque un point de droit important, étant qu’il précise ce qu’il faut entendre par « décision relative à l’infraction précédente » à l’article 157, 1° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Cette disposition prévoit les deux hypothèses exclusives d’une récidive, étant lorsque l’infraction a été commise avant que la décision relative à l’infraction précédente n’ait été notifiée au chômeur (1°) et lorsque l’infraction a été commise plus d’un an après la précédente (2°). La cour du travail renvoie à un ancien arrêt de la Cour de cassation, qui avait, sous l’empire de l’arrêté royal du 20 décembre 1963, considéré que la décision visée n’est pas la décision administrative mais la décision judiciaire passée en force de chose jugée.

Un autre point utile de l’arrêt est l’appréciation de la hauteur de la sanction, étant que, même sans admettre la notion de récidive, le juge peut retenir le comportement persistant du chômeur, en l’occurrence le caractère flagrant de sa volonté de poursuivre une activité contraire à la réglementation.


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