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Accident du travail dans le secteur public : les frais médicaux constituent-ils des indemnités au sens légal ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 septembre 2015, R.G. 2010/AB/175

Mis en ligne le lundi 7 mars 2016


Cour du travail de Bruxelles, 21 septembre 2015, R.G. 2010/AB/175

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 septembre 2015, la Cour du travail de Bruxelles reprend quelques règles très utiles relatives à la réparation de l’accident du travail dans le secteur public, soulignant que, dans la mesure où les textes définissent les remboursements de frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques, hospitaliers, de prothèse et d’orthopédie comme ‘indemnités’, l’action judiciaire introduite en vue d’obtenir l’indemnisation des séquelles de l’accident inclut nécessairement ceux-ci et que cet acte introductif d’instance a ainsi interrompu la prescription pour une telle demande, qui peut être précisée plus tard, en dehors du délai légal.

Les faits

Une enseignante est victime d’un accident de la circulation (en 1987), ainsi que d’un autre accident ultérieur, sur les lieux du travail (1988).

Ces accidents connaissent des suites judiciaires qui vont s’avérer longues et complexes.

Dans le cadre du règlement des séquelles, une procédure est introduite en novembre 1990, soit dans le délai légal eu égard à la date de survenance du premier accident. L’intéressée y demande le paiement « des indemnités » et rentes découlant des deux. Le tribunal admet la qualification d’accident du travail (contestée pour le premier des deux) et, suite à l’appel de ce jugement formé par la Communauté française devant la cour du travail, la décision est confirmée par un arrêt du 7 mars 1994.

Le tribunal du travail désigne ensuite un expert par jugement du 18 avril 1997. Après la désignation de l’expert, ce jugement est signifié et il n’en est pas interjeté appel.

Les conclusions du rapport de l’expert judiciaire sont en fin de compte entérinées par un autre jugement du 4 octobre 2007, jugement dont la Communauté française interjette appel en octobre 2010.

Dans le cadre de cet appel, l’intéressée forme un appel incident en ce qui concerne le remboursement d’importants frais médicaux. L’organisme assureur AMI fait quant à lui une intervention volontaire avec le même objet.

La procédure devant la cour donne ainsi lieu à un arrêt du 19 novembre 2012, par lequel la cour se fonde sur l’autorité de la chose jugée du jugement avant dire droit du 18 avril 1997, par lequel le tribunal a, dans la mission d’expertise, chargé l’expert de déterminer les périodes d’incapacité ainsi que le taux d’I.P.P., la date de consolidation et, encore, la nécessité d’appareils de prothèse et d’orthopédie. Cet arrêt ordonne la réouverture des débats pour la question des frais médicaux.

Ceci donne l’occasion à l’Etat belge d’intervenir à la cause à ce stade de la procédure.

L’enseignante forme alors une demande vis-à-vis de ce dernier en vue de faire prendre en charge les frais médicaux non encore remboursés, se fondant sur l’article 25 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, selon lequel ces frais doivent être réglés par le MEDEX, qui dépend de l’Etat. La mutuelle fait de même. L’Etat belge rétorque que la demande est prescrite,

La victime prend encore des conclusions ultérieurement, par lesquelles elle met en cause la responsabilité de la Communauté française, qui n’aurait pas informé le MEDEX de la situation (article 1382 C.C.).

La décision de la cour

La cour est saisie, dans ce chassé-croisé de demandes, de la recevabilité des demandes incidentes. Elle constate que, les parties n’ayant pas invoqué de moyen d’irrecevabilité quant aux demandes nouvelles et à la demande reconventionnelle, elle ne doit pas soulever cette question d’office, dans la mesure où elle n’est pas d’ordre public. Elle souligne encore que, la réouverture des débats ayant eu lieu devant un nouveau siège, des demandes nouvelles étrangères à l’objet de celle-ci pouvaient être débattues, et ce conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (notamment Cass., 13 mai 2013, n° S.12.0045.N).

Elle peut ainsi en venir à la question de la prescription de la demande de remboursement des frais médicaux. Le délai applicable à l’époque était repris à l’article 20 de la loi, étant qu’il prenait cours au moment où le droit à l’indemnité était né, à savoir au début de la période d’incapacité temporaire, soit le jour de l’accident.

Les règles relatives à l’indemnisation figurent, en premier lieu, à l’article 3 de la loi du 3 juillet 1967, dont le 1°, a), prévoit le droit pour la victime à une indemnité (la cour souligne) pour frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques, hospitaliers, de prothèse et d’orthopédie. Le même terme (indemnisation) revient dans l’arrêté royal du 29 janvier 1969 relatif à la réparation, en faveur de membres du personnel du secteur public, des dommages résultant des accidents du travail et des accidents survenus sur le chemin du travail (article 4, 1°). C’est le Trésor public qui doit prendre en charge ces frais, en application de l’article 25 du même arrêté royal.

La cour relève que la citation introductive a été formée dans le délai légal de 3 ans et qu’elle vise le paiement des indemnités (la cour souligne encore) découlant de l’accident, demande qui comprend virtuellement les frais médicaux. S’agissant d’une demande d’indemnités découlant des deux accidents du travail, y sont incluses les demandes de paiement de ces frais, qui sont à comprendre comme des indemnités de l’accident du travail. En introduisant une action contre la Communauté française, la victime a dès lors interrompu valablement la prescription en ce qui concerne les frais dont elle demande le remboursement.

Quoique ceux-ci soient à charge du Trésor public (et payés par le MEDEX), l’action en justice pour ces frais doit être dirigée contre la Communauté française. C’est la règle contenue à l’article 19, alinéas 2 et 3, de la loi du 3 juillet 1967, qui impose de diriger l’action en justice exclusivement contre la Communauté (ou la Région ou le Collège dont l’agent relève), et ce sauf si celle-ci porte uniquement sur le paiement de la rente, de l’allocation d’aggravation ou de l’allocation de décès.

Il en résulte que la prescription a été valablement interrompue, et ce même à l’égard du MEDEX et de l’Etat belge.

La cour condamne dès lors l’Etat au remboursement des frais médicaux postulés et fixe, à ce stade de la procédure, des montants provisionnels, réservant à statuer pour le surplus.

Intérêt de la décision

Dans cet imbroglio de demandes croisées, la cour du travail examine une question bien spécifique, étant de savoir si les remboursements de frais médicaux et assimilés constitue des indemnités dans le cadre de la réparation de l’accident du travail dans le secteur public. La cour statue au regard des dispositions de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, qui confirment, sur le plan terminologique, la disposition légale. Les frais en cause constituent une indemnité au sens de l’article 3, 1°, a), de la loi. Une demande introduite en indemnisation porte dès lors aussi sur les frais exposés.

La cour dégage une seconde règle importante, étant que, même si la réparation est à charge du Trésor public, l’action en justice doit être introduite exclusivement contre la Communauté française. Aussi, l’interruption de la prescription de l’action vis-à-vis de cette dernière vaut-elle également pour le débiteur final de la réparation.


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