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La loi sur la durée du travail est-elle applicable dans les postes diplomatiques étrangers ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 octobre 2015, R.G. 2013/AB/1.051

Mis en ligne le lundi 7 mars 2016


Cour du travail de Bruxelles, 7 octobre 2015, R.G. 2013/AB/1.051

Terra Laboris

Dans un important arrêt du 7 octobre 2015, la cour du travail de Bruxelles conclut qu’il faut, pour le personnel occupé dans les postes diplomatiques ou consulaires étrangers en Belgique et n’étant pas visé par les Conventions de Vienne, faire application de la loi sur le travail du 16 mars 1971 et de la réglementation du travail applicable aux travailleurs du secteur privé, ces postes ne pouvant être considérés comme participant de l’exercice de l’autorité publique belge.

Les faits

Un travailleur conclut un contrat de travail d’employé pour une durée indéterminée avec l’Ambassade des Etats-Unis, en 1999. Dix ans plus tard il demande à prendre une interruption de carrière et émet dans le même courrier des revendications en matière de temps de travail, de jours de vacances et d’indexation de sa rémunération.

Il introduit une action devant le Tribunal du travail de Bruxelles sur ces postes.

En septembre 2011, il est licencié pour motif grave. Il introduit dès lors une seconde procédure, qui ne fait pas l’objet de la décision de la Cour du travail du 7 octobre 2015 (l’affaire étant toujours pendante).

Décision du tribunal

Dans la présente affaire, le tribunal a statué par jugement du 25 septembre 2012. La demande d’interruption de carrière étant, suite au licenciement intervenu entretemps, sans objet, ceci a été constaté. Le tribunal a cependant condamné l’employeur au paiement d’une somme de plus de 22.000€ au titre d’arriérés de rémunération et accessoires.

Position des parties en appel

Appel est interjeté par l’employeur, qui demande en premier lieu de retenir une exception d’incompétence des juridictions du travail, ainsi que de conclure au non fondement de la demande relative aux arriérés de rémunération. Le premier juge ayant rejeté une demande de paiement d’arriérés de pécule de vacances ainsi que d’indexation de la rémunération, il sollicite la confirmation du jugement sur ces points.

Quant à l’intimé, il demande la confirmation du jugement d’abord en ce qui concerne la compétence des juridictions du travail pour connaître du litige et ensuite sur son bon droit à des arriérés de rémunération, ceux-ci étant fondés sur l’application de la loi du 16 mars 1971. Le montant avancé et de l’ordre de 31.500€. Il revient sur sa demande relative à l’indexation de sa rémunération, poste qui avait été rejeté par le premier juge.

Décision de la cour

La cour examine, en premier lieu, le déclinatoire de compétence, question à laquelle elle réserve des développements très fouillés. L’employeur invoque en effet l’immunité de juridiction, considérant qu’il ne peut être attrait devant les juridictions belges dans une procédure initiée par un employé. Il fait valoir que l’intéressé a exercé des tâches et des responsabilités directement liées à la manière dont l’Etat organise l’exécution de ses pouvoirs publics (sécurité publique, archives au sein des locaux de l’Ambassade). Il déduit de l’ensemble des éléments de fait qu’il avance que la fonction exercée par l’employé était essentielle au bon fonctionnement de la fonction publique de l’Ambassade tant d’un point de vue organisationnel que sécuritaire.

La cour balaie ces arguments, reprenant la théorie constante, selon laquelle, s’agissant d’un ressortissant belge exécutant son contrat de travail en Belgique et n’occupant aucune des fonctions, n’exerçant non plus aucune des prérogatives de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1991 ou celle sur les relations consulaires de 1963, il s’agit en l’espèce d’une réclamation dont les juridictions du travail sont saisies et qui concernent le respect de la législation belge du travail. La cour précise qu’une telle réclamation ne porte pas sur une situation impliquant une appréciation souveraine de l’Etat étranger. C’est une demande similaire à toute action relative à des actes pouvant être posés par une personne civile dans le cadre de relations régies par le droit du travail, en d’autres termes, d’actes de gestion privée. L’employé a en effet été engagé en tant qu’assistant informatique et il n’est stipulé nulle part que ces fonctions devaient intervenir dans le cadre de l’exercice de la puissance publique de l’Etat étranger, s’agissant de tâches de nature technique, comme il s’en rencontre dans la plupart des entreprises d’une certaine dimension. Le déclinatoire de compétence est dès lors rejeté.

Quant au fond, la cour en vient à la question de l’application de la réglementation du temps de travail à un Etat étranger.

L’intéressé a en effet fait valoir, dans son acte introductif, que devait lui être appliquée la réglementation belge en matière de temps de travail, étant la loi du 16 mars 1971 sur le travail ainsi que la loi du 14 décembre 2000 fixant certains aspects de l’aménagement du temps de travail dans le secteur public. Le tribunal du travail a retenu, comme le relève la cour, qu’était applicable la loi du 16 mars 1971. La cour constate que l’employeur se fonde quant à lui sur la loi du 14 décembre 2000, qui vise le secteur public. La cour règle dès lors cette première question, étant de savoir si l’Etat étranger doit être, au regard de la réglementation en matière de temps de travail, considéré comme un employeur du secteur privé ou un employeur du secteur public. Pour la cour – à l’instar du tribunal – lorsqu’il est question, dans la législation, des pouvoirs publics, il s’agit des pouvoirs publics belges et la réglementation qui les concerne ne s’applique pas à une ambassade en Belgique d’un Etat étranger.

Examinant, dès lors, les conditions d’application de la loi du 16 mars 1971 à la présente affaire, la cour constate que, suite à la réduction du temps de travail de 40 heures à 38 heures depuis le 1er janvier 2003 (suite à la loi du 10 août 2001 relative à la conciliation entre l’emploi et la qualité de vie), les dépassements de la durée de 38 heures par semaine ne sont autorisés qu’à la condition que pendant une période d’un trimestre il ne soit pas travaillé en moyenne plus de 40 heures par semaine (art. 26bis de la loi du 16 mars 1971), la période de référence pouvant être prolongée par le règlement de travail ou une convention collective de travail dans certaines conditions.

Reprenant la règle selon laquelle le sursalaire est dû à partir de la 41e heure (dont la cour rappelle qu’elle est suivie par une bonne partie de la doctrine) pour les travailleurs dont la durée du temps de travail est déterminée par la loi et non par une convention collective de travail, la cour constate que l’intéressé a presté 2 heures en plus de l’horaire normal depuis son engagement, étant 40 heures par semaine. Aucun repos compensatoire ne lui a été accordé. Il est dès lors autorisé à bénéficier de la rémunération correspondante. Elle constate cependant qu’il n’établit pas avoir effectué plus de 40 heures par semaine, sa demande étant considérée comme fondée pour les prestations réellement avérées.

En ce qui concerne le pécule de vacances simple, la cour rejette une demande du travailleur, qui s’était fondé, pour réclamer un complément, sur la loi du 14 décembre 2000. Or celle-ci vise le secteur public et la législation en cause n’est pas applicable. C’est l’arrêté royal du 28 juin 1971 relatif aux vacances annuelles des travailleurs salariés ainsi que celui du 30 mars 1967 qui doivent intervenir. L’intéressé a été occupé à raison de 5 jours par semaine et dès lors ses vacances légales doivent être fixées à 20 jours par an.

Reste encore le poste relatif à l’indexation de la rémunération, pour lequel l’intéressé a fait un appel incident. La question est ici de savoir si une indexation est due, sachant qu’une majoration de la rémunération est intervenue en cours de contrat, celle-ci étant décidée unilatéralement chaque année sur la base d’une analyse faite par la division de l’emploi outre-mer (« Overseas Employment Division ») du Département d’Etat américain. Pour l’employeur, l’adaptation à laquelle il a été proposé ne peut impliquer qu’il y a lieu d’augmenter les salaires sur la base d’un critère invariable, l’augmentation intervenue étant, selon lui, laissée à la discrétion de l’employeur.

Dans son examen des arguments qui lui sont soumis, la cour constate que l’intéressé invoque un usage mais que cet usage n’a pas été appliqué pendant les années correspondantes, faisant ainsi en sorte que la condition de constance fait défaut. Le chef de demande est dès lors abandonné.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles statue dans le cadre d’une relation contractuelle entre un employé technique et une ambassade en Belgique d’un Etat étranger. Il est, à la différence de nombreuses autres décisions, rendu dans le cadre strict de l’application de la réglementation du travail et particulièrement de la loi sur le travail. En général, les litiges mettant en cause des ambassades ou autres postes diplomatiques concernent la déclaration de personnel à l’ONSS.

En l’espèce, le très grand intérêt de l’arrêt (ainsi que du jugement a quo) a été de considérer que l’Etat étranger ne peut pas être assimilé à l’Etat belge, les règles existantes en ce qui concerne le secteur public ne concernant que les autorités publiques belges. Dans la mesure où l’Etat étranger n’exerce pas une parcelle de l’autorité publique belge, il ne peut pas se voir appliquer la législation correspondante. Il va dès lors, comme la cour le relève, devoir relever de celle applicable au secteur privé.


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