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Indemnisation en accident du travail et en mutuelle : possibilité de cumul ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 juin 2015, R.G. 2014/AB/389

Mis en ligne le vendredi 26 février 2016


Cour du travail de Bruxelles, 24 juin 2015, R.G. 2014/AB/389

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 juin 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle une règle très utile sur la question : si l’incapacité couverte en accident du travail est supérieure à 35%, l’incapacité à prendre en charge en A.M.I. ne peut être supérieure à 66%. Le cumul n’étant pas autorisé, il y a lieu de déduire de l’indemnité d’invalidité l’indemnisation liée à l’accident du travail.

Les faits

Un assuré social est indemnisé des séquelles d’un accident du travail, à raison de 50% d’I.P.P. depuis 1984. Il bénéficie parallèlement d’indemnités A.M.I. à charge de sa mutualité. Ultérieurement, le Conseil Médical de l’Invalidité de l’A.M.I. considère qu’il n’y a plus incapacité de travail au sens de cette législation.

Suite à un recours introduit, un expert est désigné et, par jugement du 22 septembre 1987, la décision du C.M.I. est annulée, l’intéressé étant considéré comme étant toujours en incapacité de travail. Il est dès lors réadmis.

Se pose ultérieurement une discussion relative à la mesure dans laquelle les séquelles de l’accident doivent être prises en compte pour l’indemnisation en AMI. L’organisme assureur considère en effet qu’il y a un indu, dans la mesure où les indemnités d’incapacité ont été versées sans que ne vienne en déduction l’indemnisation en accident du travail. Pour lui, le montant journalier est en effet à réduire du montant de la rente (sous diminution des cotisations de sécurité sociale).

Le décompte est adressé et, par jugement du 16 juin 1994, le recours de l’assuré est déclaré non fondé. Appel est interjeté et… l’affaire est examinée à l’audience de la 8e chambre de la cour en date du 27 mai 2015.

La décision de la cour

La cour examine longuement les règles relatives au cumul entre une indemnité d’invalidité et l’indemnisation en accident du travail. La question se pose eu égard à la circonstance que l’incapacité permanente partielle est, ici, de 50%.

Elle rappelle que le cumul n’est pas possible dès que l’incapacité découlant de l’accident du travail atteint au moins 35%. En effet, reprenant l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 1992 (Cass., 18 mai 1992, n° 7.812, avec conclusions de l’Avocat Général LENAERTS), elle rappelle que ces indemnités couvrent un même dommage, étant la perte de la capacité de gain. Elles ont certes des causes différentes, mais, sur le plan du cumul des indemnisations, les prestations doivent être refusées lorsqu’il y a indemnisation du même dommage ou d’une même partie de dommage.

Il ne pourra dès lors s’agir de cumul que pour autant que les préjudices couverts soient entièrement (la cour souligne) distincts. Ceci découle du fait que la Cour de cassation a visé la couverture d’une même partie de dommage.

En conséquence, dès lors que l’incapacité en accident du travail dans le cadre de l’I.P.P. est au moins égale à 35%, le dommage à couvrir en A.M.I. - qui doit légalement être supérieur à 66% - va nécessairement comprendre une partie du préjudice indemnisé en risque professionnel.

La cour reprend encore les commentaires sur la question de Ph. GOSSERIES (« Difficultés d’interprétation et d’application de la règle d’interdiction de cumul de la réparation du même dommage par la législation sur l’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité et une autre législation nationale ou étrangère (L. 14 juill. 1994, art. 136, § 2). Analyse comparée des législations de l’A.M.I., des accidents du travail, des maladies professionnelles et du droit commun », J.T.T., 2000, p. 267, la cour renvoyant au n° 64).

En outre, deux autres arrêts ont encore été rendus par la Cour de cassation sur la question, dont un du 22 octobre 1993 (Cass., 22 octobre 1993, n° 8.034, arrêt rendu en A.M.I.), qui confirmé que, pour qu’il y ait cumul, il faut que l’incapacité qui n’est pas déjà couverte par une autre réparation (en l’occurrence en droit commun) excède les 66% (voir également Cass., 4 juin 1982, n° 3.516).

La cour va dès lors appliquer ces principes au cas d’espèce, rappelant que, dans le régime de l’assurance indemnité, il ne peut être question d’admettre une indemnité globale de plus de 100%, dans la mesure où l’incapacité doit se situer entre 66% et 100%.

En l’espèce, l’incapacité couverte en accident du travail étant supérieure à 35%, l’incapacité en A.M.I. ne pourrait être supérieure à 66%. Le cumul n’étant pas autorisé, il y a lieu de déduire de l’indemnité d’invalidité l’indemnisation liée à l’accident du travail.

La cour confirme le décompte fait par l’organisme assureur, qui a procédé en l’espèce à la comparaison avec l’indemnité d’invalidité (inférieure à la rente AT), considérant ainsi qu’elle ne devait rien payer. Par contre, lorsque l’indemnité d’invalidité était supérieure à la rente AT, l’organisme assureur a admis devoir payer la différence, ce qui a été fait.

Intérêt de la décision

La question tranchée est fréquemment abordée, étant la possibilité du cumul des indemnisations. L’interdiction/limitation ne figure pas dans la loi du 10 avril 1971 mais dans celle du 14 juillet 1994, dont l’article 136, § 2 dispose que les prestations sont refusées lorsque le dommage découlant d’une maladie, de lésions, de troubles fonctionnels ou du décès est effectivement réparé en vertu d’une autre législation belge, d’une législation étrangère ou du droit commun. Lorsque les sommes accordées en vertu de cette législation ou du droit commun sont inférieures aux prestations de l’assurance, le bénéficiaire a droit a la différence à charge de l’assurance (le montant des prestations accordé par l’autre législation étant le montant brut diminué du montant des cotisations de sécurité sociale prélevées sur ces prestations).

Il s’agit, ainsi que précisé par la Cour de cassation dans divers arrêts, d’indemniser le même dommage ou la même partie de dommage, ce qui permet à la cour du travail de retenir dans la présente affaire que il ne pourra être question de cumul que pour autant que les préjudices couverts soient entièrement distincts.


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