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Contrôle du motif étranger en cas de crédit-temps

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 septembre 2015, R.G. 2014/AB/645

Mis en ligne le jeudi 18 février 2016


Cour du travail de Bruxelles, 7 septembre 2015, R.G. 2014/AB/645

Terra Laboris

Un arrêt du 7 septembre 2015 de la Cour du travail de Bruxelles est exemplaire de l’étendue du contrôle judiciaire dans l’examen des motifs d’un licenciement survenant après une demande de crédit-temps : l’employeur doit établir preuves à l’appui le motif étranger à la cause de suspension du contrat, et ce conformément aux exigences de l’article 870 du Code judiciaire. Les éléments concrets d’une réorganisation des fonctions et tâches sont ainsi exigées. A défaut, l’indemnité forfaitaire prévue par la C.C.T. n° 77bis est due.

Les faits

Un travailleur, au service d’un musée bruxellois dépendant du secteur public, demande le 5 février 2012 à bénéficier d’un crédit-temps d’un an, aux fins de s’occuper de sa mère âgée et très malade en Afrique. Il formule cette demande deux nouvelles fois, soit les 9 et 17 février, et ne reçoit pas de réponse.

Le même 17 février, le musée met un terme au contrat de travail moyennant le paiement d’une indemnité de rupture de 112 jours. Le motif du licenciement est présenté comme étant la situation budgétaire du musée, imposant de dégager des priorités nouvelles. Le C4 mentionne comme motif prévis du chômage : « réorganisation et restrictions budgétaires ».

L’intéressé conteste son licenciement, via son organisation syndicale, et, vu l’absence de rapprochement des parties, il introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Louvain, demandant, à titre principal, paiement de l’indemnité de protection et, à titre subsidiaire, une indemnité pour licenciement abusif.

Par jugement du 21 février 2014, le Tribunal du travail de Louvain fait droit à sa demande, en tant qu’elle porte sur l’indemnité de protection.

L’Etat belge interjette appel, demandant que l’intéressé soit débouté de la totalité de sa demande. A titre subsidiaire, il sollicite que l’indemnité restant due soit diminuée de l’indemnité de préavis déjà versée.

La décision de la cour

La cour rappelle en premier lieu les dispositions pertinentes. Il s’agit de l’article 20, § 2, de la C.C.T. n° 77bis du 19 décembre 2004 (modifiée à diverses reprises).

Cet article 20, § 2, dispose que l’employeur ne peut faire aucun acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail, sauf pour un motif grave ou pour un motif dont la nature et l’origine sont étrangères à la suspension du contrat de travail ou à la réduction des prestations à mi-temps du fait de l’exercice du droit au crédit-temps, ou encore à la diminution de carrière ou de prestations à mi-temps visée à la C.C.T.

Cette interdiction prend effet à la date de l’avertissement écrit, auquel renvoie la C.C.T. en son article 12. Le travailleur qui souhaite exercer son droit au crédit-temps (ou à la diminution de carrière ou de prestations) est en effet tenu d’avertir par écrit son employeur, et ce dans un délai déterminé, délai fixe, fixé à 3 mois à l’avance si l’entreprise occupe plus de 20 travailleurs, ou 6 mois s’il y a 20 travailleurs ou moins.

En l’espèce, il ne fait pas de doute que le licenciement est intervenu pendant la période d’interdiction. L’employeur doit dès lors établir les motifs qu’il invoque, ceci devant correspondre au libellé de l’article 20, § 2, de la C.C.T., à savoir qu’il doit s’agir d’un motif dont la nature et l’origine sont étrangères à la cause de la protection. La preuve doit être apportée conformément au prescrit de l’article 870 du Code judiciaire. La cour du travail renvoie ici à un arrêt de la Cour de cassation du 14 janvier 2008 (Cass., 14 janvier 2008, n° S.07.0049.N).

En l’espèce, le motif avancé par l’Etat belge est que le licenciement est consécutif aux restrictions budgétaires du musée. La cour relève que cet élément est insuffisant pour constituer un motif de licenciement, étant que, en présence de telles restrictions, il fallait licencier l’intéressé. Pour la cour, à supposer même qu’il y ait une diminution du budget, il faut relever que celle-ci a été portée à la connaissance du musée le 16 février et que l’intéressé a été licencié le lendemain. Cette précipitation est suspecte et la cour relève également que l’employeur n’établit pas que le poste de l’intéressé était superflu. La fonction exercée étant une fonction technique d’huissier , elle souligne que l’Etat reste en défaut de prouver les affirmations qu’il allègue, à savoir que (i) il était fait recours aux services Bpost, (ii) le poste devait être centralisé à l’accueil de chaque bâtiment, (iii) un seul service par jour était organisé, (iv) le service technique en avait repris une grande partie des tâches, (v) le tri du courrier était effectué par le personnel de l’accueil et (vi) les services partageraient les tâches.

Aucun de ces éléments n’étant établi – alors qu’il s’agissait des points avancés comme étant à la base de la décision de licencier –, la cour rejette l’appel, confirmant que la preuve n’est pas apportée de l’existence d’un motif étranger à la cause de la protection.

Enfin, en ce qui concerne la prise en compte des montants déjà versés au titre d’indemnité compensatoire de préavis, la cour rappelle qu’en vertu de l’article 20, § 4, de la C.C.T., l’indemnité est forfaitaire. Il n’y a dès lors pas lieu de faire venir en déduction les montants déjà versés à un autre titre.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le motif allégué doit être prouvé à suffisance de droit et que de simples explications rendant une situation plausible mais non avérée ne suffisent pas. La preuve précise et circonstanciée des motifs allégués est exigée. En l’espèce, s’agissant d’éléments d’ordre financier, étant une réduction du volume du subventionnement accordé, la cour exige, à supposer cet élément établi (encore qu’elle souligne qu’il est simplement mentionné dans des documents), que la preuve du lien de causalité directe avec le licenciement soit apportée.

Par ailleurs, pour constituer un motif étranger, celui-ci doit être établi dans toutes ses composantes et la cour pousse le contrôle judiciaire jusqu’à vérifier l’organisation concrète du travail, la répartition des tâches et une éventuelle nouvelle organisation des services.

Le contrôle judiciaire porte donc à la fois sur l’existence du motif lui-même et sur le lien de causalité.

L’on rappellera encore que, dans son arrêt du 14 janvier 2008 cité, la Cour de cassation a mis fin à une controverse en matière de preuve. Le pourvoi soutenait que la cour du travail avait violé les articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire en décidant que la charge de l’allégation, ainsi que la charge de la preuve, incombaient à l’employeur. Selon le pourvoi, il appartenait au travailleur d’établir qu’il avait été licencié pour un motif dont la nature et l’origine n’étaient pas étrangères à la suspension. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi, rappelant qu’en vertu de l’article 20 (§§ 2, 3 et 4) de la C.C.T., c’est à l’employeur qu’il appartient, lorsqu’il a mis fin unilatéralement à l’occupation d’un travailleur ayant exercé son droit au crédit-temps au cours de la période d’interdiction de licencier prévue à l’article 20, § 2, de prouver, lorsque l’indemnité forfaitaire est réclamée, qu’il a résilié le contrat de travail pour un motif grave ou pour un motif dont la nature et l’origine sont étrangères à la cause de la protection. Cet arrêt a mis fin à la discussion sur cette question.


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