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Enfants suivant leurs études au Portugal : droit aux prestations familiales garanties ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 juin 2015, R.G. 2013/AB/114

Mis en ligne le jeudi 18 février 2016


Cour du travail de Bruxelles, 17 juin 2015, R.G. 2013/AB/114

Terra Laboris

Dans un arrêt du 17 juin 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règlements européens : la présence des enfants dans un autre Etat membre ne fait pas in se obstacle à l’octroi des prestations familiales garanties. Il y a lieu d’examiner si les conditions d’octroi sont remplies comme s’ils étaient sur le territoire belge.

Les faits

Une mère de trois enfants bénéficie de prestations familiales garanties depuis le 1er janvier 2009. En 2011, elle informe FAMIFED de l’absence de deux des enfants de Belgique depuis deux ans, ceux-ci ayant été scolarisés au Portugal et ayant résidé chez leur grand-mère. Ceux-ci reviennent, cependant, à la rentrée scolaire 2011. Un indu est alors réclamé par l’O.N.A.F.T.S. pour la période de deux ans. Pour l’Office, les prestations familiales garanties ne peuvent être accordées que si les enfants sont exclusivement ou principalement à charge d’une personne qui réside en Belgique (article 1er de la loi du 20 juillet 1971), les enfants devant par ailleurs résider sur le territoire belge (article 2).

Le recours introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles aboutit à un jugement du 24 décembre 2012, qui déboute l’intéressée et déclare la demande de l’Office fondée.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour examine les dispositions légales applicables, étant les articles 1 et 2 de la loi du 20 juillet 1971 sur les prestations familiales garanties. Elle rappelle qu’en vertu des alinéas 4 et 5 de l’article 1er, un enfant est considéré comme étant principalement à charge d’une personne physique si celle-ci supporte plus de la moitié du coût de son entretien. Jusqu’à preuve du contraire, elle est présumée remplir cette condition s’il résulte de l’inscription au registre de la population (ou au registre des étrangers ou au registre national des personnes physiques) que l’enfant fait partie du ménage.

L’article 2, 1°, impose cependant que les enfants résident effectivement en Belgique.

C’est dès lors la condition de la résidence en Belgique qui est au cœur du débat.

Les éléments de fait n’étant pas contestés (scolarisation au Portugal et vie chez les grands-parents), la cour constate que ceux-ci ne font pas nécessairement obstacle à l’octroi des prestations familiales garanties. En vertu des règlements européens de coordination (soit le Règlement 1408/71 en vigueur jusqu’au 30 avril 2010 et le Règlement 883/2004 ensuite), il est tenu compte des enfants qui résident dans un autre Etat membre comme si ceux-ci résidaient dans l’Etat dont la législation est applicable. Il faut donc vérifier les conditions légales comme s’ils résidaient en Belgique.

Tout en déplorant que cet examen n’ait pas été fait au stade de l’instruction du dossier, la cour constate que FAMIFED ne conteste plus que la présence des enfants au Portugal ne devait pas in se faire obstacle à l’octroi des allocations.

La position de l’Office est cependant modifiée, celui-ci estimant alors qu’il faut vérifier si un droit prioritaire n’était pas ouvert au Portugal, celui-ci pouvant passer avant le droit aux prestations familiales garanties prévues par la législation belge.

La cour du travail considère ne pas devoir suivre la position de FAMIFED sur la question de la priorité. En effet, si un droit prioritaire existait au Portugal, la Belgique pourrait néanmoins être tenue de payer un complément différentiel, situation prévue dans les deux règlements (articles 76, § 1er du Règlement 1408/71 et 68, § 2, du Règlement 883/2004). En l’espèce, il s’avère qu’il n’y a aucun droit prioritaire, l’administration portugaise ayant confirmé qu’il n’existe pas dans ce pays de regroupement enfants/grands-parents. La cour conclut dès lors qu’il faut envisager la situation comme si les enfants résidaient en Belgique.

Les autres conditions d’octroi des prestations familiales garanties sont dès lors examinées, la cour rappelant que la loi du 20 juillet 1971 contient une présomption : les enfants sont présumés à charge à partir de l’inscription dans les registres (registre de la population, registre des étrangers ou registre national des personnes physiques). Or, ils sont restés inscrits à l’adresse et, d’ailleurs, fiscalement, ils sont également restés à charge. S’agissant d’une présomption légale, il appartient à l’Office de la renverser, c’est-à-dire d’apporter la preuve de ce que les enfants n’ont plus été réellement à charge des parents.

La cour relève encore que le devoir d’éducation et d’entretien n’a pas été transféré pendant le séjour et les enfants n’ont, eu égard à la modicité des revenus de leur grand-mère, vraisemblablement pas pu être pris en charge à plus de 50% par cette dernière. La cour confirme dès lors que la présomption légale n’est pas renversée et que les enfants doivent être considérés comme étant restés à charge de leur mère.

Intérêt de la décision

La cour du travail a l’occasion d’appliquer, dans cette affaire, les règles des règlements européens de sécurité sociale à la matière des prestations familiales garanties.

Elle renvoie également au mécanisme des règles de priorité dans la matière des allocations familiales, rappelant à cet égard qu’est peut-être dû à charge des institutions belges, en cas d’ouverture du droit à des prestations familiales dans un autre Etat-membre, un complément différentiel.

Enfin, elle rappelle de manière claire que la loi contient une présomption légale, présomption selon laquelle les enfants sont présumés à charge dès lors qu’il y a une inscription dans les registres. Il appartient dès lors à FAMIFED d’apporter la preuve contraire.

L’on peut encore rappeler, sur la question, que la loi du 20 juillet 1971 contient, en son article 2, alinéa 2, une règle en vertu de laquelle le Ministre ou son fonctionnaire dispose d’un pouvoir discrétionnaire en matière de dérogation à la condition de la résidence dans les cas dignes d’intérêt. Dans un arrêt du 11 décembre 2006 (Cass., 11 décembre 2006, n° S.06.0016.N), la Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour du travail de Gand du 28 novembre 2005, en ce qui concerne la compétence des juridictions du travail pour se prononcer sur l’intérêt en cause. La Cour de cassation a considéré que l’obligation de motivation formelle prescrite par la loi du 29 juillet 1991 porte sur la légalité externe de l’acte administratif, les juridictions du travail étant compétentes pour contrôler la décision à la lumière de cette loi. Lorsque le Tribunal du travail connaît en vertu de l’article 580, 8°, b, du Code judiciaire d’une contestation concernant la décision prise par le Ministre ou son fonctionnaire en vertu de ce pouvoir discrétionnaire, il ne peut priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation, mais peut contrôler la légalité de la décision.


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