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Preuve d’un accident du travail : valeur probante des attestations de tiers

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 octobre 2015, R.G. 2014/AL/589

Mis en ligne le jeudi 18 février 2016


Cour du travail de Liège, division Liège, 9 octobre 2015, R.G. 2014/AL/589

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 octobre 2015, la Cour du travail de Liège, division Liège, rappelle les règles de l’article 961 du Code judicaire, relatif aux attestations produites en justice : dès lors qu’elles sont suffisamment claires et convaincantes, elles peuvent constituer des présomptions graves, précises et concordantes et dispenser le juge de tenir des enquêtes.

Les faits

Un pompier (statutaire), au service de Brussels Airport, a un accident du travail en juin 2012.

Un litige survient en ce qui concerne la déclaration de l’accident, deux exemplaires du formulaire étant produits et ceux-ci étant divergents. La déclaration du travailleur fait état de la présence d’un témoin et non seulement cette mention ne figure pas sur l’exemplaire produit par l’employeur mais cette dernière contient une mention spécifique, selon laquelle il n’y aurait pas de témoin.

L’assureur de l’employeur public va considérer dans un premier temps qu’il met le dossier en suspens, estimant ne pas avoir d’informations suffisantes. Dans le cours de l’enquête menée par cet assureur ensuite, le travailleur confirme à plusieurs reprises sa version initiale et atteste de la diligence avec laquelle il a rempli ses obligations. Suite au refus de l’assureur d’intervenir, 5 mois plus tard, l’employeur public informe l’intéressé de son refus de reconnaître l’accident, à défaut de preuve des faits.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège. Celui-ci déboute l’intéressé, qui interjette appel.

Moyens des parties devant la cour

L’appelant reprend la chronologie des faits, étant que son départ en ambulance a été organisé quelques minutes après l’accident qu’il a relaté. Il dépose une attestation de témoin, qui a vu son état avant les faits et l’a vu au retour. La victime confirme également avoir mentionné l’existence du témoin dans la déclaration manuscrite figurant au dossier. A titre subsidiaire, il demande l’audition de deux collègues.

Quant à l’employeur public, il sollicite, comme l’on doit s’y attendre, la confirmation du jugement, plaidant l’absence de preuve de l’accident.

La décision de la cour

La cour statue essentiellement sur le système probatoire en matière d’accident du travail.

Après avoir rappelé le mécanisme des présomptions légales, elle souligne que la victime doit cependant établir la réalité de l’événement soudain ainsi que celle de la lésion. Sur le plan de la preuve, il y a ainsi application de l’article 870 du Code judiciaire, selon lequel chacune des parties a la charge de prouver les faits qu’elle allègue. Cette preuve peut être apportée par toutes voies de droit, témoignages et présomptions de l’homme compris.

Pour ces dernières, visées à l’article 1353 du Code civil, elle rappelle qu’elles sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes.

La cour fait également une appréciation stricte de la valeur des déclarations de la victime, considérant que la seule déclaration ne suffit pas, ce qui ne serait pas conforme au prescrit de l’article 870 du Code judiciaire. Il faut dès lors qu’elle soit confortée par une série d’éléments, pouvant être retenus au titre de présomptions graves, précises et concordantes.

En l’espèce, se pose la question de l’examen des déclarations divergentes. La cour souligne en premier lieu que le formulaire de « déclaration d’accident du travail » ne bénéficie d’aucune force probante particulière. Elle relève en outre que l’exemplaire déposé par l’employeur ne contient pas la signature du travailleur.

Par ailleurs, ce dernier dépose deux déclarations de témoins (étant ceux dont il demande l’audition à titre subsidiaire). La cour retient que celles-ci sont établies conformément au prescrit de l’article 961/1 du Code judiciaire et que l’employeur ne relève aucun élément de nature à mettre en doute leur crédibilité. Les deux déclarations sont par ailleurs concordantes avec la déclaration d’accident, de telle sorte que la cour estime ne pas devoir entendre les témoins. S’ajoute à leurs explications le fait que l’intéressé a été immédiatement transporté en ambulance à l’hôpital. Il y a en l’espèce des éléments concordants, considérés comme suffisants à la preuve de l’événement soudain.

Quant à la lésion, elle n’est pas contestée.

La cour ordonne, dès lors, la désignation d’un expert, après avoir réformé le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail est l’occasion de rappeler les conditions de la force probante d’attestation de tiers, dans le cadre du procès civil.

Un article 961/1 a été inséré dans le Code judiciaire par la loi du 16 juillet 2012, disposant que, lorsque la preuve testimoniale est admissible, le juge peut recevoir de tiers des déclarations, sous forme d’attestations de nature à l’éclairer sur les faits litigieux dont ils ont personnellement connaissance. Les attestations doivent respecter certaines formes. Celles-ci sont reprises à l’article 961/2, introduit par la même loi. Les attestations peuvent être produites par les parties ou à la demande du tribunal. Elles doivent être établies par des personnes qui remplissent les conditions requises pour être entendues comme témoins au sens du Code judiciaire et doivent contenir certaines mentions (relation des faits auxquels l’auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés ; nom, prénom, date et lieu de naissance, domicile et profession de l’auteur, ainsi que, s’il y a lieu, lien de parenté ou d’alliance avec les parties, lien de subordination à leur égard ou encore de collaboration ou de communauté d’intérêts).

Une mention particulière est en outre exigée, étant que l’attestation doit indiquer qu’elle est établie en vue de sa production en justice et que l’auteur a connaissance qu’une fausse attestation de sa part l’expose à des sanctions pénales. Enfin, elle doit être écrite, datée et signée de la main de son auteur, celui-ci étant en outre tenu d’annexer, en original ou en copie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant également sa signature.

Si les attestations respectent ces conditions, elles ont une valeur probante élevée, dans la mesure où elles sont considérées comme étant comparables à des déclarations verbales dans le cadre d’une enquête de témoin (voir à cet égard notamment C. trav. Bruxelles, 18 novembre 2014, R.G. 2013/AB/1.226). Le juge conserve, bien entendu, tout pouvoir d’appréciation sur la fiabilité et la sincérité de telles déclarations. Ainsi, dès lors qu’elles manquent de précision, elles seront considérées comme ne permettant pas d’établir les faits requis.

Par ailleurs, les attestations qui ne rempliraient pas les conditions de l’article 961 du Code judiciaire ont valeur de simples renseignements.


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