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Faux indépendant : de la difficulté d’obtenir la requalification d’un contrat de prestation de services en contrat de travail

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 23 mai 2006, R.G. 7.472/03

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Liège, sect. Namur, 23 mai 2006, R.G. 7.472/2003

TERRA LABORIS – Sophie Remouchamps

La Cour du travail de Liège dans l’arrêt annoté s’est penchée sur la demande de l’ONSS de voir requalifier des contrats d’étudiants prestant en qualité d’indépendants dans un car-wash. La cour a ainsi l’occasion de rappeler l’étendue de la présomption de contrat de travail édictée par l’article 121 de la loi du 3 juillet 1978 mais encore de préciser les limites du contrôle judiciaire dans le cadre d’une demande de requalification vu la jurisprudence récente de la Cour de cassation.

Les faits

Une société exploite une station de montage de radios, d’alarmes et de gsm sur véhicules. Elle dispose également de deux car-wash.

Pour assurer les prestations car-wash, elle occupe un ouvrier mais fait également régulièrement appel à des étudiants sous contrat d’entreprise, lorsqu’il y a un surplus de travail ou que l’ouvrier n’est pas disponible.

En 1999, l’ONSS décide de procéder à une enquête et entend ainsi l’administrateur délégué de la société ainsi que deux étudiants.

L’administrateur délégué expose qu’il a choisi de recourir à des collaborateurs indépendants en raison de l’irrégularité de son activité, tributaire du temps. La société fait ainsi appel à des collaborateurs assujettis à la TVA, qui ne répondent à ses appels qu’en fonction de leurs propres disponibilités. La société admet fournir les produits, fixer les prix, percevoir les recettes et payer à ses collaborateurs indépendants une rémunération à l’heure, sur la base de factures établies par ceux-ci. Il expose par ailleurs à l’ONSS n’avoir jamais rencontré le cas d’un collaborateur refusant d’exécuter une prestation et que, lorsqu’il y a des réclamations des clients, ceux-ci sont invités à recommencer le travail et sont payés pour ce faire. Il précise par ailleurs ne pas autoriser le remplacement de ces indépendants.

Les étudiants auditionnés dans le cadre de l’enquête confirment la mise à disposition du matériel ainsi que la fixation par la société des prix et de la rémunération horaire. Ils confirment cependant la fixation des horaires de prestation d’un commun accord.

Eu égard à ces circonstances, l’ONSS prend la décision d’assujettir au régime des travailleurs salariés les étudiants indépendants prestant pour le compte de la société, considérant qu’il existerait des éléments de preuve suffisants pour conclure à l’existence d’un contrat de travail. La décision administrative se réfère à une obligation de respecter un horaire, la fixation du salaire horaire et des tarifs par la société ainsi que le fait que les travailleurs seraient soumis à l’autorité du gérant.

La décision du Tribunal

Le tribunal, se fondant sur l’absence d’autonomie de gestion des étudiants, le fait qu’ils travaillaient à la demande ainsi que le fait qu’ils ne pouvaient se faire remplacer, conclut à l’existence d’un lien de subordination.

La décision de la Cour

Quoique les parties n’aient pas contesté que la charge de la preuve de l’existence du lien de subordination reposait sur l’ONSS (demandeur originaire), la cour soulève d’office cette question, eu égard à la qualité des travailleurs indépendants (étudiants).

Il rappelle ainsi qu’en vertu de l’article 121 de la loi du 3 juillet 1978, le contrat conclu entre un employeur et un étudiant, nonobstant toute stipulation expresse, et quelle que soit sa dénomination, est réputé contrat de travail jusqu’à preuve du contraire. La cour rappelle que cette présomption peut être invoquée par l’ONSS.

Examinant les arrêtés royaux des 27 avril 1990 et 14 juillet 1995, pris par le Roi en application de l’article 122 de la loi du 3 juillet 1978 (disposition qui autorise le Roi à exclure certaines catégories d’étudiants du champ d’application de la présomption de contrat de travail), la cour en conclut que les étudiants exclus dudit champ d’application (notamment ceux qui travaillent depuis au moins six mois) ne peuvent bénéficier de la présomption.

Dans le cas d’espèce, les deux travailleurs concernés prestant depuis plus de six mois, la cour confirme que l’ONSS ne peut se prévaloir de la présomption (qu’il n’avait d’ailleurs pas invoquée) et qu’il supporte la charge de la preuve de l’application du régime de sécurité sociale des travailleurs salariés.

Quant au fond, c’est-à-dire quant à l’existence d’un contrat de travail, la cour rappelle les principes applicables comme suit :

  • c’est le lien de subordination qui est le critère de distinction entre le contrat de travail et les autres contrats ;
  • le lien de subordination existe dès lors qu’une personne peut, en fait, exercer son autorité sur les actes d’une autre personne, de sorte que l’autorité doit être possible mais non nécessairement effective ;
  • c’est le lien d’autorité qui constitue la caractéristique de la subordination juridique, la subordination économique existant également dans les relations autres que celles régies par contrat de travail ;
  • quant à la charge de la preuve (hors application de la présomption), elle repose sur l’ONSS, c’est-à-dire la partie qui invoque l’existence du contrat de travail ;
  • quant au pouvoir du juge de disqualifier la convention des parties, la cour du travail rappelle l’enseignement de la Cour de cassation, selon lequel le juge ne peut, même à l’égard de tiers, disqualifier la convention des parties que si les éléments soumis à son appréciation excluent le maintien de la qualification conventionnelle. La cour en conclut dès lors que la méthode indiciaire (comparaison des indices révélateurs et/ou exclusifs d’un lien de subordination) ne peut plus être utilisée. La méthode imposée par la Cour de cassation suppose premièrement que l’on détermine la qualification conventionnelle donnée par les parties au contrat et ensuite que l’on examine si les éléments invoqués par le demandeur en requalification sont inconciliables avec la qualification conventionnelle.

Partant du constat que les parties ont qualifié leur relation contractuelle de contrat d’entreprise (il s’agit ici d’un contrat verbal), la cour, en application des principes rappelés supra, considère qu’il incombe à l’ONSS d’établir l’existence d’éléments incompatibles avec cette qualification conventionnelle.

En l’espèce, les éléments invoqués par l’ONSS résultent de l’absence d’autonomie de gestion (fixation des prix et de la rémunération horaire des étudiants par la seule société, absence de liberté dans l’exercice du travail confié, matériel appartenant à l’entreprise ; le fait qu’il s’agit d’un travail « à l’appel » ; l’impossibilité pour l’étudiant de se faire remplacer ; la possibilité pour l’entreprise d’exercer son autorité et enfin l’obligation de recommencer le travail incorrectement exécuté, ce dernier élément démontrant, aux yeux de l’ONSS, l’existence d’ordres mais également l’absence de responsabilité personnelle dans le chef de l’étudiant).

La cour examine ces éléments pour vérifier leur incompatibilité éventuelle avec la qualification donnée. Cet examen se révèle négatif.

En effet, l’absence d’autonomie de gestion n’est pas considérée comme incompatible, puisque c’est la société qui est propriétaire du matériel et assume seule les coûts d’exploitation. Selon la cour, il est dès lors normal qu’elle puisse fixer et percevoir le prix des services à la clientèle.

Il en va de même du caractère unilatéral de la fixation de la rémunération horaire des étudiants, la cour estimant qu’il y a consensus sur celle-ci. Elle se fonde par ailleurs sur le fait que les horaires ne sont pas imposés mais fixés d’un commun accord entre d’une part les disponibilités de l’étudiant et d’autre part l’offre de travail de l’entreprise.

Quant à l’impossibilité de se faire remplacer, elle est également considérée comme compatible avec la qualification conventionnelle, eu égard à la considération que la société doit être en mesure de vérifier les compétences du prestataire et de la bonne utilisation faite par lui du matériel appartenant à l’entreprise.

Enfin, quant aux instructions générales pour l’exercice du travail, elles sont considérées comme n’étant pas incompatibles, d’autant qu’en l’espèce l’existence d’instructions générales résultait de l’obligation pour l’étudiant de recommencer le travail mal effectué, obligation qui ne vise en réalité qu’à obtenir la satisfaction du client et qui peut d’ailleurs découler d’un mauvais fonctionnement de la machine.

En conséquence, la cour estime que les éléments avancés par l’ONSS, qu’ils soient pris séparément ou conjointement, ne sont pas incompatibles avec la qualification donnée par les parties. La cour rappelle au passage qu’on ne peut confondre la dépendance juridique et la dépendance économique.

Intérêt de la décision

Cet arrêt illustre les difficultés auxquelles est confronté le demandeur, qu’il s’agisse de l’ONSS ou du travailleur, qui souhaite obtenir la requalification d’un contrat d’entreprise en contrat de travail.

Les développements récents de la jurisprudence de la Cour de cassation rendent en effet l’exercice beaucoup plus difficile que précédemment. Comme la cour l’a rappelé, il était d’usage, en jurisprudence, de recourir à une méthode indiciaire pour vérifier l’existence ou non d’un lien de subordination. Ainsi, étaient comparés entre eux les éléments témoignant de l’existence de ce lien de subordination (l’autorité que l’employeur pouvait exercer sur le travailleur) et les éléments qui contredisaient l’existence de cette subordination et/ou qui plaidaient en faveur d’une prestation de travail dans un cadre indépendant.

En obligeant le juge à partir de la qualification conventionnelle donnée par les parties à leur contrat, la Cour de cassation rend toute demande en requalification beaucoup plus aléatoire et en tout état de cause beaucoup plus difficile sur le plan de la preuve à rapporter. En effet, pour obtenir la requalification d’un contrat d’indépendant, le demandeur aura l’obligation d’établir l’existence d’éléments incompatibles avec la qualification conventionnelle, exercice qui peut se révéler très difficile, d’autant que la plupart des éléments peuvent se retrouver à la fois dans une relation indépendante que dans une relation de subordination.

D’où l’intérêt, ainsi que la cour le souligne, d’examiner en premier lieu si la situation d’espèce ne peut se voir appliquer une présomption de contrat de travail. En ce cas, en effet, la charge de la preuve serait inversée et ce serait alors au défendeur en requalification de prouver l’existence d’éléments incompatibles avec le lien de subordination.


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