Terralaboris asbl

Assujettissement au statut social des travailleurs indépendants : exigence de revenus de nature professionnelle

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 13 octobre 2015, R.G. 2014/AL/656 et 2015/AL/89

Mis en ligne le jeudi 11 février 2016


Cour du travail de Liège, division Liège, 13 octobre 2015, R.G. 2014/AL/656 et 2015/AL/89

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 octobre 2015, la Cour du travail de Liège (division de Liège) rappelle que, en la matière, c’est à l’administration fiscale et non pas à l’I.N.A.S.T.I. ou aux caisses d’assurances sociales de déterminer s’il y a des revenus professionnels découlant d’une activité professionnelle quelle qu’elle soit et qu’il n’y a pas lieu de revenir devant les juridictions sociales sur cette qualification donnée par le fisc à ces revenus.

Les faits

Un docteur en médecine preste en qualité de salarié et est par ailleurs assujetti en tant qu’indépendant complémentaire pour des prestations effectuées au sein d’un établissement hospitalier.

Cette activité est arrêtée fin de l’année 2003, suite à une promotion dans les fonctions salariées et l’impossibilité pour lui d’exercer une fonction extérieure.

Trois ans plus tard, cette interdiction est supprimée et l’intéressé reprend une activité indépendante dans une autre clinique à raison d’un jour par semaine.

L’I.N.A.S.T.I. l’informe ultérieurement de la perception de revenus d’indépendant (information donnée par l’administration des contributions directes) pour l’année 2004. Celui-ci signale ne pas avoir perçu de revenus de nature professionnelle et avoir introduit une réclamation fiscale, considérant qu’il s’agissait d’activités liées à des formations, ce que le fisc admit, taxant ainsi ses revenus de revenus divers.

Le même problème se posa un peu plus tard pour des revenus perçus pour deux A.S.B.L. (établissements d’enseignement). L’I.N.A.S.T.I. considère alors que ses revenus, correspondant à des cours donnés à des professionnels du secteur, devaient être déclarés dans le cadre d’une activité indépendante à titre complémentaire. Une décision est alors prise par la Caisse en vue de la régularisation de l’assujettissement à titre complémentaire pour la période passée, et ce sans interruption.

Une procédure est dès lors introduite, opposant l’intéressé à sa Caisse. L’I.N.A.S.T.I. est appelé en intervention forcée.

Par jugement du 3 novembre 2014, le Tribunal du travail de Liège considère que les formations constituaient un acte isolé, impliquant ainsi l’absence d’assujettissement pendant la période litigieuse.

Tant la Caisse que l’I.N.A.S.T.I. interjettent appel.

Les débats visent essentiellement l’activité de « formateur », dont l’I.N.A.S.T.I. considère qu’elle a été exercée dans un but de lucre et avec régularité, le critère sociologique devant primer. C’est également la position de la Caisse, qui ajoute que l’intéressé détient un mandat d’administrateur dans une des deux A.S.B.L.

Quant à l’intimé, il fait valoir le caractère limité de ses interventions (simple orateur), ajoutant qu’il n’était pas le seul intervenant et que sa mission s’inscrivait dans un cadre unique et isolé. En outre, il rappelle que, fiscalement, il a été admis que les revenus n’étaient pas de nature professionnelle, la rémunération étant, d’ailleurs, modique.

La décision de la cour

La cour examine successivement la présomption fiscale, ainsi que les autres critères à retenir relativement à l’activité exercée, étant d’une part le brut de lucre et, d’autre part, son caractère habituel et/ou régulier.

La cour constate que la présomption fiscale n’est pas applicable, puisque l’intéressé n’a pas perçu de revenus professionnels au sens de l’article 3 de l’arrêté royal du 27 juillet 1969 (alinéa 2), selon lequel toute personne qui exerce en Belgique une activité susceptible de produire des revenus professionnels au sens du C.I.R. est supposée être un travailleur indépendant.

En ce qui concerne le mandat d’administrateur, mandat exercé à titre gratuit, la cour relève que l’A.S.B.L. n’est pas assujettie à l’impôt des sociétés et n’exerce pas d’activité lucrative. Aucune activité professionnelle ne peut dès lors être retenue. Quant au but de lucre, la cour rappelle que, pour être qualifiée de professionnelle, l’activité doit remplir deux conditions, étant (i) être exercée dans un but de lucre et (ii) présenter une certaine régularité (et/ou être habituelle).

En l’espèce, il s’agissait d’un professeur invité, rétribué au titre de conférencier, moyennant une rémunération horaire de 50 €, conformément au statut pécuniaire du personnel. Dans la mesure où cette rémunération est alignée sur celle des autres enseignants, le but de lucre est retenu.

Cependant, pour ce qui est du caractère habituel et/ou régulier de l’activité, la cour rappelle qu’est intervenue une modification législative en 2001 concernant la nécessité d’une formation complémentaire du personnel médical en imagerie médicale et que celle-ci a été prise en charge au sein de hautes écoles. Une quinzaine d’intervenants ont été recrutés aux fins d’effectuer la remise à niveau de plus de mille personnes.

L’intéressé a donné 20 heures de cours une année, 52 heures l’année suivante, 44 heures ensuite et, enfin, 18 et 16 heures les deux dernières années. La formation est actuellement supprimée, ayant été intégrée dans le cours normal des études. Pour l’I.N.A.S.T.I., l’activité a eu un caractère régulier, puisqu’il y a eu répétition de celle-ci pendant plusieurs années.

La cour relève que le litige provient de l’attitude de l’administration fiscale, en début de dossier, puisqu’elle a considéré qu’il s’agissait de revenus professionnels, ce qui a attiré l’attention de l’I.N.A.S.T.I. La chose a été corrigée ensuite.

C’est, pour la cour, à l’administration fiscale et non pas à l’I.N.A.S.T.I. ou aux caisses d’assurances sociales de déterminer s’il y a des revenus professionnels ou non découlant d’une activité professionnelle quelle qu’elle soit. Dès lors qu’il a été admis par le fisc que l’activité de formateur n’est pas une activité professionnelle susceptible d’engendrer des revenus professionnels, il n’y a pas lieu de revenir sur cette qualification. Il faut, pour la cour, une cohérence à la perception des cotisations. La cour conclut ainsi à l’absence d’activité professionnelle exercée en tant qu’indépendant pendant la période litigieuse et, dès lors, à l’absence de cotisations dues.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, l’I.N.A.S.T.I. et la Caisse d’assurances sociales ont plaidé la primauté du critère sociologique par rapport au critère fiscal. La cour a signalé ne pas contester – bien sûr – cette position du législateur, puisqu’elle permet d’identifier une personne ayant exercé ou non une activité professionnelle, quelle que soit cette activité et quel que soit son statut dès lors qu’elle a bénéficié des revenus issus de celle-ci. Cependant, pour la cour du travail, dans la mesure où il y a eu requalification sur le plan fiscal, il n’y a pas lieu de revenir, dans le cadre du statut social, sur la question de la qualification de l’activité exercée.

Rappelons que la question de la primauté du critère sociologique a été rappelée dans un arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 1980 (Cass., 2 juin 1980, J.T.T., 1982, p. 76). Pour qu’une activité soit qualifiée de professionnelle, elle doit être exercée dans un but de lucre, même si, en fait, elle ne produit pas de revenus. Cette activité doit également avoir un caractère habituel, c’est-à-dire viser un ensemble d’opérations liées entre elles, répétées et accompagnées de démarches en vue de cette répétition. Cette jurisprudence a été judicieusement rappelée dans un arrêt de la Cour du travail de Mons du 14 juin 2013 (C. trav. Mons, 14 juin 2013, R.G. 2011/AM/248 et 2012/AM/378 – précédemment commenté).


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