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Preuves à apporter par le demandeur et le défendeur

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 juin 2015, R.G. 2014/AB/180

Mis en ligne le lundi 8 février 2016


Cour du travail de Bruxelles, 12 juin 2015, R.G. 2014/AB/180

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 juin 2015, la Cour du travail de Bruxelles examine les conditions d’un licenciement intervenu suite à une reprise du travail consécutive à une longue période d’incapacité, et ce au regard des règles générales de l’abus de droit d’une part et de la loi anti-discrimination de l’autre, soulignant la distinction sur le plan de la charge de la preuve dans le cadre de ces deux mécanismes.

Les faits

Une employée au service d’une A.S.B.L. tombe en incapacité de travail fin 2011. Celle-ci fait suite à des problèmes médicaux très sérieux. Une entrevue a lieu avec son directeur, début avril 2012, en vue de la reprise du travail.

Elle est licenciée deux mois plus tard par lettre recommandée du 25 juin 2012, moyennant préavis avec dispense de prestation. Elle est à ce moment en vacances annuelles. Quelques jours plus tard, ses collègues sont informés de la rupture.

Le document C4 porte la mention « réorganisation ».

Le conseil de l’intéressée conteste le licenciement en septembre 2012 et l’employeur fait valoir comme motif à la base de celui-ci l’attitude générale de l’intéressée (manque de collégialité, d’esprit constructif et de sens de la collaboration). Le Centre pour l’Egalité des Chances intervient, considérant qu’il y a infraction à la loi du 10 mai 2007, le licenciement étant intervenu peu après la reprise du travail. Il estime qu’il y a présomption de discrimination et que l’employeur doit établir l’absence de celle-ci.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Louvain, l’intéressée demandant, à titre principal, une indemnité de 6 mois de rémunération pour abus de droit de licencier, ainsi qu’une autre indemnité, du même montant, du chef de discrimination. Subsidiairement, elle réclame un seul de ces deux postes seulement, étant celui relatif à l’abus de droit.

Elle est déboutée de sa demande par jugement du 9 janvier 2014 et interjette appel.

La décision de la cour

La cour examine en premier lieu les principes relatifs à l’abus de droit, appliqués au droit de licenciement.

Le rappel est général, la cour renvoyant notamment à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2005 (n° S.05.0035.F). La charge complète de la preuve appartient au travailleur, tant en ce qui concerne la faute elle-même que l’existence et l’étendue du dommage dont la réparation est demandée.

En l’espèce, il s’agit de vérifier si l’intéressée a été licenciée par son employeur de manière manifestement déraisonnable.

La cour retient que présente ce caractère la brusquerie de la décision. Elle relève que, lors de la reprise, deux notes ont été rédigées par l’employeur, dans lesquelles il n’est pas fait état d’un risque de licenciement si l’intéressée n’améliorait pas ses performances. Or, le licenciement n’est intervenu que deux mois plus tard et aucun avertissement n’a été fait, pendant cette période, quant à un dysfonctionnement éventuel de l’employée. Viennent encore renforcer le caractère brusque de la mesure le fait que l’intéressée a été licenciée peu de temps après son retour d’une incapacité de travail de longue durée liée à un grave problème de santé et, par ailleurs, la notification du licenciement pendant une période de vacances. Il s’agit, pour la cour, d’un comportement manifestement déraisonnable dans le chef de l’A.S.B.L. Les dommages et intérêts sont fixés forfaitairement à un montant de 5.000€.

La cour en vient ensuite à l’examen des dispositions de la loi anti-discrimination dont la violation est alléguée.

Elle rappelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 février 2009 (C. const., 12 février 2009, n° 17/2009), selon lequel les faits avancés doivent être suffisamment forts et pertinents. La cour recherche le critère qui serait en l’espèce protégé et retient qu’il peut s’agir de l’état de santé actuel ou futur visé à l’article 3, mais non d’un handicap, dont elle reprend la définition donnée par l’arrêt RING (C.J.U.E., 11 avril 2013, Aff. n° C-335/11 – JETTE RING – et C-337/11 – LONE SKOEBOE WERGE).

Sur le plan de la preuve, l’intéressée doit apporter des éléments permettant de faire présumer l’existence d’une discrimination, à savoir qu’elle a été traitée différemment que d’autres personnes dans une situation similaire. Ce n’est qu’une fois ceux-ci établis que l’employeur doit prouver qu’il n’a pas eu un comportement discriminatoire.

Or, elle ne fait valoir aucun élément à cet égard. N’est pas davantage documentée l’hypothèse d’une discrimination indirecte. En conséquence, aucune réparation n’est à envisager dans le cadre de cette loi.

Intérêt de la décision

La cour développe, dans cette espèce, un raisonnement à deux niveaux. Elle examine en premier lieu l’abus de droit, dans la mesure où ce chef de demande a été introduit à titre principal (étant par ailleurs le seul chef de demande maintenu dans le cadre de la demande subsidiaire). Ce n’est qu’après avoir procédé à l’analyse des circonstances du licenciement que la cour en vient à l’examen du respect de la loi du 10 mai 2007.

Sur l’abus de droit, elle reprend des principes généraux, tant sur la notion de l’abus dans le droit du licenciement (pour laquelle elle retient le concept de licenciement manifestement déraisonnable) que sur le plan de la preuve. Un des cas souvent rencontrés de l’abus de droit est la brusquerie, et c’est ce seul élément qui est retenu en l’espèce et justifie l’octroi de dommages et intérêts de 5.000€.

Par ailleurs, le dossier n’aboutit pas sur le plan de la discrimination, eu égard au mécanisme de la répartition de la preuve. Il appartient à la personne qui s’estime victime d’une discrimination d’avancer des éléments faisant apparaître la plausibilité d’un tel comportement, éléments qui – s’ils sont retenus par le juge – vont amener l’employeur à devoir prouver que la décision de licencier n’a pas un caractère discriminatoire, étant que la personne n’a pas été traitée différemment que d’autres qui se seraient trouvées dans une situation similaire.

La conclusion est, dès lors, logique : ayant été traitée avec une légèreté coupable, l’intéressée a été victime d’un abus de droit de licencier (comme le serait toute personne dans la même situation). Celle-ci n’établissant cependant pas des faits qui pourraient permettre de conclure à l’existence d’un comportement discriminatoire (devant, ici, prouver qu’elle a été traitée différemment que d’autres personnes dans la même situation), aucun manquement à la loi du 10 mai 2007 ne peut être retenu.


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