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Un nouvel arrêt de la Cour de Cassation sur les sanctions en matière de chômage

Commentaire de Cass., 21 septembre 2015, n° S.13.0008.F

Mis en ligne le lundi 8 février 2016


Cour de cassation, 21 septembre 2015, n° S.13.0008.F

Terra Laboris

Par arrêt du 21 septembre 2015, la Cour de cassation a jugé que la différence de traitement entre les sanctions prévues pour des faits de chômage volontaire au sens de l’article 51 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et les sanctions prévues dans le cadre de l’obligation de rechercher activement du travail a une justification objective et raisonnable.

Les faits et antécédents de la cause

Par décision du 14 décembre 2009, l’O.N.Em. a, sur la base des articles 59sexies, §§ 6 et 7 et 59octies de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (soit à l’issue du troisième entretien) réduit pendant six mois le montant de l’allocation de chômage de Mme K., travailleuse ayant charge de famille, et l’a exclue du bénéfice des allocations de chômage après cette période.

Mme K. a contesté cette décision devant le tribunal du travail de Charleroi qui l’a déboutée de son recours.

Elle a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 17 octobre 2012 (R.G. n° 2011/AM/59), la quatrième chambre de la cour du travail de Mons, après avoir constaté que Mme K. n’a pas respecté un des engagements du second contrat d’activation, annule, sur la base de l’article 159 de la Constitution, la décision administrative et rétablit Mme K. dans ses droits. La cour du travail décide que l’article 59sexies, § 6, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 viole les articles 10 et 11 de la Constitution dès lors que le chômeur exclu sur base de cette disposition est traité différemment du chômeur dont le plan d’accompagnement ou le parcours d’insertion a été arrêté ou a échoué à cause de son attitude fautive (51, 52 et 52bis, de l’arrêté royal). En effet, En cas de sanction pour chômage volontaire, il est possible d’en moduler l’importance en fonction de la situation personnelle et de la gravité du manquement et le directeur peut assortir la sanction d’un sursis ou se limiter à un avertissement, tandis que la sanction prévue par l’article 59sexies et octies n’offre pas ces possibilités.

L’O.N.Em. s’est pourvu en cassation contre cet arrêt.

La Cour de cassation casse, sur avis conforme écrit du ministère public, l’arrêt attaqué pour violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

Le ministère public a conclu, en substance, que la procédure d’activation présentait des spécificités par rapport à l’exclusion pour chômage dû au propre fait du chômeur.

Dans les situations visées par les articles 51 et suivants, les manquements sanctionnables sont uniformément décrits sans particulières adaptations aux situations concrètes et personnelles des chômeurs effectivement concernés. Dans ce cadre, le législateur a délégué à l’O.N.Em. et au juge le cas échéant le soin d’adapter ultérieurement ces sanctions à la situation personnelle du chômeur concerné.

Par contre, le processus régi par les articles 59bis et suivants est inverse : il définit au préalable et de manière consensuelle en les adaptant aux circonstances concrètes de la cause et à la situation personnelle du chômeur les mesures dont les manquements seront susceptibles d’entraîner une sanction. Consensuel quant à la détermination individualisée et personnalisée du manquement sanctionnable, le législateur peut dès lors se vouloir plus rigide dans la sanction applicable à l’inexécution d’obligations déjà taillées sur mesure.

La Cour rappelle tout d’abord que la règle de l’égalité des belges devant la loi, contenue dans l’article 10 de la Constitution, et celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés qui leur sont reconnus, contenue dans l’article 11 de la Constitution, implique que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière. Ces dispositions n’excluent pas qu’une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable. L’existence d’une telle justification doit s’apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise. Le principe d’égalité est également violé lorsqu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

La Cour décide que « les travailleurs qui deviennent chômeurs par suite de circonstances dépendant de leur volonté et les chômeurs complets qui manquent à leur obligation de rechercher activement du travail constituent des catégories de personnes que distingue un critère objectif et raisonnable dès lors que les seconds seuls bénéficient d’un suivi encadré de leurs efforts ».

Intérêt de la décision

La vérification de la légalité des sanctions prévues aux articles 59quinquies (deuxième entretien) et 59sexies (troisième entretien) fait l’objet de controverses.

Les juridictions de fond ont abordé cette question sous divers angles.

Ainsi, dans un arrêt du 22 juin 2010, la treizième chambre de la cour du travail de Liège, section de Namur, a décidé que la mesure d’exclusion prévue à l’article 59quinquies de l’arrêté royal revêtait un caractère pénal au sens de l’article 6 de la C.E.D.H., en sorte que la cour du travail devait vérifier la nature proportionnée de la sanction. Jugeant la sanction de quatre mois non proportionnée, elle a été remplacée par un avertissement. Cet arrêt se réfère notamment à J.-F. NEVEN et E. DERMINE (« Le contrôle de l’obligation pour le chômeur de rechercher activement un emploi », in Actualités de droit social, CUP, n° 116, p. 132). La cour du travail relève que le débat sur la conformité de la mesure aux articles 10 et 11 de la Constitution est ainsi rendu sans intérêt.

Cet arrêt a été cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 2012. L’arrêt de la cour du travail et l’arrêt de la Cour de cassation ont été commentés précédemment.

La Cour de cassation décide que la mesure prévue à l’article 59quinquies de l’arrêté royal ne constitue pas une sanction mais une mesure qui est prise à l’égard d’un jeune travailleur qui ne remplit pas les conditions d’octroi des allocations d’attente, à savoir rechercher activement un emploi, et, dès lors, être privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté, et qui, partant, n’a pas droit aux allocations. L’article 6, § 3, de la C.E.D.H. ne s’applique pas à une telle mesure.

Dans un arrêt du 29 juin 2010 (4e ch., R.G. n° 2008/AM/21037), la cour du travail de Mons a comparé la sanction prévue dans l’hypothèse d’un chômeur dont le plan d’accompagnement ou le parcours d’insertion a été arrêté ou a échoué par son propre fait et les sanctions prévues en matière de recherche active d’un emploi. Elle a décidé que la différence de traitement entre ces deux catégories de chômeurs ne reposait pas sur un critère objectif et raisonnable et ne se situait pas dans un rapport de proportionnalité avec l’objectif poursuivi par le législateur. Elle a ensuite considéré que l’article 159 de la Constitution ne lui permettait pas de combler cette lacune.

Cet arrêt a été cassé par un arrêt du 10 octobre 2011 (n° S.10.0112.F) pour violation de l’article 159 de la Constitution.

Un arrêt de la cour du travail de Mons du 20 décembre 2012 annule, pour défaut de base réglementaire, une sanction prise pour non-respect du deuxième contrat. La cour ne déduit pas cette annulation d’une comparaison entre les chômeurs sanctionnés pour chômage dû à leur propre fait et les chômeurs sanctionnés pour défaut de recherche active d’emploi mais décide que l’inconstitutionnalité réside en ce que l’article 59sexies ne permet pas d’adapter la sanction qu’il prévoit à la situation de chacun des chômeurs auxquels elle s’applique.

Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 16 février 2015 (S.13.0038.F). La première branche du moyen supposait que l’arrêt attaqué comparait la situation du chômeur volontaire et celle du chômeur n’ayant pas recherché activement un emploi. S’agissant d’une interprétation inexacte de l’arrêt attaqué, la Cour de cassation décide que le moyen manque en fait. La seconde branche invoquait la violation des obligations de disponibilité sur le marché de l’emploi et de recherche active d’emploi « en refusant de voir dans un manquement au second contrat d’activation l’expression d’un manquement répété et continu aux conditions des articles 56 et 58 ». En cette branche, le moyen est dit irrecevable car il obligerait la Cour en l’absence de constatation de l’arrêt sur ces points à rechercher si la chômeuse était disponible sur le marché de l’emploi et a recherché activement du travail. D’autres décisions ont écarté l’existence d’une différence de traitement non justifiée entre les sanctions prévues par les articles 51 et suivants et celles prévues dans le cadre du comportement de recherche active d’un emploi (voy. C.T. Brux., 8e ch., 20 mai 2010, Chr. D.S., 2012, p. 182).

On observera encore qu’une autre différence de traitement dans le cadre des sanctions en matière de recherche active d’emploi fait l’objet de controverse, à savoir la différence de traitement entre les bénéficiaires d’allocations de chômage et les bénéficiaires d’allocations d’attente (insertion). Le litige qui opposait Mme O. à l’O.N.Em. a fait l’objet de quatre commentaires pour SOCIALEYENEWS). Le dernier arrêt commenté est l’arrêt de la Cour de cassation du 8 octobre 2012 (R.G. S.11.150.F) qui tranche la question en décidant que la différence de traitement est justifiée par la différence entre les allocations de chômage et les allocations d’attente : les premières sont octroyées à des travailleurs qui ont cotisé à l’assurance chômage et perdent leur emploi pour des circonstances indépendantes de leur volonté, tandis que les allocations d’attente sont octroyées à des jeunes qui n’ont pas travaillé ni cotisé de manière significative durant ce temps. Leur objectif est de faciliter l’accès des jeunes au marché du travail.


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