Terralaboris asbl

Nullité d’une convention de rupture pour dol

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 16 octobre 2015, R.G. 14/424746/A

Mis en ligne le mardi 26 janvier 2016


Tribunal du travail de Liège (div. Liège), 16 octobre 2015, R.G. 14/424.746/A

Terra Laboris ASBL

Dans un jugement du 16 octobre 2015, le Tribunal du travail de Liège, Division de Liège, rappelle la notion de manœuvre doleuse au sens de l’article 1116 C.C., celle-ci étant appliquée à une convention de rupture soumise à une travailleuse en congé de maternité … à son domicile.

Les faits

Une société entreprend une restructuration, eu égard à la perte d’un client important, annoncée en conseil d’entreprise. Elle déclare envisager toutes les possibilités aux fins d’adoucir les effets des décisions à prendre.

Lors d’un conseil d’entreprise suivant, elle annonce le licenciement le jour même de plus de vingt travailleurs, et ce en dehors de toute concertation.

Parmi les travailleurs licenciés figure une personne en congé de maternité. Un représentant de l’employeur se présente à son domicile, en vue de lui soumettre une convention de rupture, celle-ci contenant l’annonce d’un préavis de trois mois et une renonciation à tout autre droit.

Cette convention est signée.

L’intéressée introduit, ultérieurement, malgré les renonciations, une procédure en paiement de l’indemnité de protection de la maternité.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal est saisi, en premier lieu, de la question de la validité des renonciations reprises dans la convention signée par la travailleuse. Il renvoie expressément à l’article 1116 du Code civil, qui prévoit la nullité d’une convention pour dol en cas de manœuvres pratiquées par une des parties, sans lesquelles il est évident que l’autre n’aurait pas contracté.

Reprenant par ailleurs l’arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 1999 (Cass., 16 septembre 1999, C.97.0301.N), le tribunal rappelle que constitue des manœuvres le fait d’induire sciemment l’autre partie en erreur en vue d’obtenir son consentement. Ces manœuvres peuvent prendre diverses formes : un mensonge, l’affirmation d’un fait inexact en vue de tromper ou encore le fait de taire une information importante.

Le tribunal souligne qu’il n’aperçoit pas les raisons impérieuses qui obligeaient l’employeur à soumettre aussi rapidement une telle convention à une travailleuse en repos de maternité et éloignée de l’entreprise. Rien ne permet dès lors de retenir qu’elle a renoncé en pleine conscience à ses droits. Il décide, en conséquence, de l’annulation de la convention, qui porte sur des droits relatifs à la protection de la maternité.

Il examine ensuite le droit de l’intéressée à l’indemnité de protection, eu égard à l’article 40 de la loi du 16 mars 1971. La charge de la preuve des motifs étrangers à l’état physique résultant de la grossesse ou de l’accouchement incombe à l’employeur et celui-ci est tenu de donner connaissance par écrit des motifs à la demande de l’intéressée. La société est dès lors tenue de prouver les motifs invoqués, étant les circonstances économiques qui constituent le contexte du licenciement, auxquelles elle ajoute une évaluation du travail de l’intéressée.

Le tribunal relève que les critères du licenciement ont été invoqués après que ceux-ci sont intervenus, la société ayant essentiellement visé les métiers impactés par la perte du client ainsi que les possibilités de redistribution des tâches entre les travailleurs restants.

L’organisation syndicale souligne cependant que, à supposer le motif économique avéré, l’employeur est encore tenu d’établir le lien de causalité entre celui-ci et le licenciement de l’intéressée. Or, il s’avère que celle-ci ne travaillait pas pour le client en cause.

Le tribunal relève que la question concerne en réalité deux employées, toutes deux dans la même situation (l’autre collègue également protégée dans le cadre de la maternité et ayant en sus eu un malaise lorsque la convention fut soumise à sa signature).

Le tribunal examine dès lors l’incidence des motifs sur les fonctions exercées étant « account manager » et « sales coordinator ». Il estime qu’à supposer la charge de travail allégée, celle-ci n’impliquait pas nécessairement un licenciement. En outre, deux personnes sont licenciées dans leur groupe et elles bénéficiaient toutes deux de la même protection.

Le tribunal procède donc à un rappel des règles en matière de preuve du motif étranger, renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 3 septembre 2014 (C. trav. Bruxelles, 3 septembre 2014, R.G. n° 2013/AB/370 et 2013/AB/378), dont il reprend de très larges extraits. L’employeur doit apporter une triple preuve, étant l’existence de faits objectifs permettant de retenir les motifs étrangers, ainsi que la sincérité de ceux-ci et enfin le lien de causalité avec le licenciement. L’employeur reste certes seul juge des nécessités de l’entreprise et de la valeur professionnelle des travailleurs mais s’il évoque la nécessité de réduire le personnel il doit l’établir.

Dans l’espèce à laquelle le tribunal se réfère, il était également constaté que l’employeur mettait en cause les capacités et performances professionnelles de la travailleuse et que paradoxalement celle-ci n’avait jamais fait l’objet de remarques pendant l’exécution du travail. La vérification du motif s’était dès lors avérée impossible. Sur le lien causal, la preuve faisait également défaut et il y avait également concomitance entre l’annonce de l’état de grossesse et la décision de licenciement.

En l’espèce, reprenant les fonctions réellement exercées ainsi que les éléments déposés, le tribunal constate que la qualité des performances ne peut intervenir sérieusement, vu l’indétermination des facteurs entrant en compte pour les évaluations.

La preuve du motif étranger à l’état de grossesse n’est ainsi pas apportée et le tribunal fait droit à la demande.

En ce qui concerne l’indemnité, il soumet celle-ci aux cotisations sociales et au précompte professionnel.

Intérêt de la décision

Outre l’examen du motif de licenciement, dans le cadre de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971, qui est une application des principes en matière de contrôle du motif du licenciement - et qui s’inspire d’ailleurs très fortement des critères dégagés par l’ancien article 63 de la loi du 3 juillet 1978 en cas de nécessités de fonctionnement de l’entreprise -, le jugement commenté est intéressant sur le plan de l’analyse de la convention soumise au moment du licenciement. Malgré les renonciations qui y figurent, la convention n’a pas pu empêcher le recours au tribunal, le juge ayant acté un dol affectant celle-ci de nullité.

Le procédé auquel il a été recouru est en effet particulièrement douteux, le jugement ayant relevé à plusieurs reprises que l’on ne comprenait pas l’empressement de l’employeur à dépêcher un membre de la direction au domicile de l’intéressée aux fins d’obtenir sa signature derechef, et ce alors qu’elle était fragilisée et était sans contact avec son milieu professionnel.

Sur le plan des principes, le tribunal a renvoyé à un important arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 1999, qui a illustré la notion de dol : il peut s’agir d’un mensonge, de l’affirmation d’un fait inexact en vue de tromper l’autre partie ou encore du fait de taire une information importante.

Relevons enfin que la deuxième affaire tranchée le même jour et similaire porte le RG 14/424613/A.


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